D comme...

Portraits

Frédéric Pajak est un être curieux, dans tous les sens du terme. Le drapé de distance dont il s’emmitoufle souvent laisse cependant entrevoir qu’il demeure à l’écoute de l’autre. Il est curieux de celui qui lui fait face, quelle que soit la pensée dans laquelle il est plongé au même moment, et rend l’autre curieux de lui. Est-ce ce regard un peu vagabond et poète, qui vient contraster la rapidité de son propos ? Est-ce cette passion pour l’art sous toutes ses formes, qui vibre avec tant force chez lui ? En tous cas, Frédéric Pajak attire cette fois la curiosité sur une collection inédite, qui a vu le jour sous son aile chez Buchet-Chastel. Nouveau projet dans lequel l’auteur s’est investi : les Cahiers Dessinés. Dont la genèse et la cohérence sont sans doute à chercher dans le parcours multicolore de leur fondateur.

Né dans les Hauts-de-Seine, Frédéric Pajak a toujours baigné dans un univers de créateurs, d’images et de livres. Sa mère est professeur de littérature allemande. Son père et son grand-père sont peintres, des hommes entièrement consacrés à leur œuvre. Frédéric Pajak opte pour un parcours tout aussi artistique et entre aux Beaux-Arts après avoir suivi un stage de gravure et de lithographie. Il voyage un peu partout, forme et affirme sa sensibilité. Rédacteur en chef de plusieurs journaux culturels et satiriques pour commencer, il publie également des dessins dans ses journaux (réunis dans Première partie, paru aux PUF en 2002), gagne un prix du scénario à Locarno pour un film en préparation, écrit (voir Le bon larron, roman de jeunesse publié chez Bernard Campiche).

Frédéric Pajak ne s’embarrasse pas des classifications, ne revendique pas de statut. Surtout, ne pas se confiner à un champ plutôt qu’à un autre. L’écriture et le dessin sont ses domaines de prédilection, alors il sera plutôt peintrécrivain. Le mélange et le glissement se produisent très spontanément : « J'ai su très vite que je ferai quelque chose de transversal, hors genres et catégories » confie-t-il dans une interview lors de ses débuts. Car les catégories sont les inventions d’une époque, et l’art doit justement pouvoir les transcender. Frédéric Pajak, peintrécrivain du réel. Peindre pour déformer, embellir ou réinventer le corps du réel, écrire pour en révéler la multiplicité des sens. Une vraie rencontre de deux mouvements, à tel point que l’on ne sait plus qui de la pointe du stylo ou du pinceau a commencé à s’agiter sur la feuille et inspiré l’autre.

L’Immense Solitude, avec Friedrich Nietzsche et Cesare Pavese, orphelins sous le ciel de Turin est salué par la critique. Format : un album constitué de textes accompagnés de dessins en noir et blanc, les deux n’ayant un rapport qu’allusif, subtil, voire caché. Le dessin est ici comme la bande-son ou les images d’un film d’auteur. Puis Pajak met en scène un certain Guillaume Apollinaire dans Le chagrin d'amour, livre qui procède de la même veine. Signalons par ailleurs que l’auteur expose les dessins originaux de ce dernier livre ainsi que ceux de Humour, une biographie de James Joyce à la Galerie Martine Gossieaux1 jusqu’au 23 novembre.

Le livre, on devrait pouvoir le lire et le regarder tout à la fois, le ressentir… telle pourrait être la devise de celui qui choisit d’emprunter aujourd’hui la casquette d’éditeur. Pas étonnant donc, ce dernier projet sorti de l’univers pajakien… Une collection de huit livres par an, plus l’édition bi-annuelle d’une revue dédiée au dessin, le Cahier dessiné : 160 pages, 24 €. Objectifs ? Offrir aux dessinateurs un support image-mot inédit. Et remettre le dessin, ce « parent pauvre des beaux-arts, celui qu’on appelle brouillon, croquis, esquisse voire gribouillis », à la carte.

Et pourquoi pas ? N’est-on pas friand de ces bulles que l’on retrouve tous les matins dans le Monde ou dans le Figaro ? Le public n’aime-t-il pas que l’on sollicite son imaginaire, qu’on lui permette d’appréhender la réalité sous des angles différents ? Alors que vive le dessin, forme première de l’art. Qui dit ce qu’elle a à dire avec ambages mais sans détour, avec un pragmatisme qui s’autorise toujours une large marge de rêve. Dessin avec un grand D. Décollage immédiat.

On aurait aimé pouvoir dire D comme décembre. Mais c’est sous le signe d’octobre que les Cahiers et le premier numéro de la revue paraissent… Au sommaire de cette dernière : des dossiers, des interviews, des critiques et bien sûr des dessins. Alors D comme Gustave Doré, avec lequel on s’invente une conversation ; D comme dialogue avec Sempé ; D comme débuts, puisque Pajak lui-même revient sur l’histoire du dessin. D comme le délicieux bestiaire d’un Tal Coat ; D comme dédales et déambulations, aux côtés d’Albert Yersin qui nous trimballe du Chili à New York, brève escale au pied des Alpes...

Il y aura aussi polémique, impros et innovation à travers les premiers Cahiers de la collection, à se procurer en librairie dès les premiers jours d’octobre. D comme délié ; et c’est la langue -ou plutôt la patte- de Copi qui s’en mêle la première. Ses BD humoristico-intellectuelles paraissaient au Nouvel Obs’ dans les années 60, et il compila ses dessins dans quelques recueils (Les poulets n’ont pas de chaises, ou encore Et moi, pourquoi j’ai pas une banane ?). Ici on publie Le Livre blanc, ouvrage paru à Milan en 1970. Puis D comme design, D comme drôles de débats. Et Gébé, (directeur de Charlie Hebdo) livrera ses réflexions en images dans Un pas de côté. Un Cahier qui promet…

D comme délires. Muzo évoquera les doutes capricieux des hommes et des femmes, leurs agitations sans fin, leurs fuites et leurs défilages, dans un ouvrage disponible en novembre. Deux autres Cahiers paraîtront en sa compagnie : D comme dix extrémités trempées dans l’encre, celles de Noyau, qui se chargent d’explorer les situations les plus inattendues (voir Les Doigts Sales) ; et D comme dissection, avec Anna Sommer, graveuse enthousiaste de tableaux d’instants fugitifs de la vie privée.

D comme inscription dans la durée : la récompense que l’on souhaite à Frédéric Pajak pour sa détermination.



1 Galerie Martine Gossieaux : 56 rue de l’Université, Paris 7e. Ouverte du mardi au samedi de 14h30 à 19h.

Jessica Nelson


Frédéric Pajak
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Last modified onlundi, 11 mai 2009 21:59 Read 2340 times