Rencontre avec Christophe Paviot

Interviews
Le ciel n'aime pas le bleu. (Le Serpent à Plumes)

Explique-moi ce titre curieux : le plafond écaillé de la chambre de Lebenn ? la couleur de ses yeux sur lesquels le ciel aurait déchaîné ses foudres ?

C'est un peu moins compliqué… Je voulais simplement partir de cette petite phrase que l'on répète souvent, à savoir que la vie est rose –ou ne l'est pas. Eh bien comme ce bouquin traite d'un sujet dramatique, l'inceste, l'existence dont je parle n'est pas belle, n'est pas rose, et le ciel de cette existence est plus couverte de nuages que de bleu…


Et cette citation de Lynch " Un jour, j'ai utilisé une crème dépilatoire sur une souris pour voir à quoi ça ressemblait sans les poils : c'était très beau " : dans la directe prolongation de ce sujet grave et brûlant dont tu vas parler…

Je trouve cette phrase géniale. Elle exprime exactement ce vers quoi je tendais en abordant le thème : le laid n'est pas toujours là où on s'attend qu'il soit. La souris dépoilée n'est pas si moche que ça ; et le monde rural, en osmose avec la nature, n'a pas toutes les vertus qu'on lui prête. Sous une apparente beauté et un certain calme se cachent des atrocités, et l'inceste en fait partie, d'une fréquence bien plus importante qu'on ne le croit. Tu n'imagines pas les horreurs qu'on découvre si l'on consulte certains documents, papiers officiels, reportages et rapports...


Tu t'es beaucoup documenté pour écrire ce roman ?

Le travail de récolte de l'information est souvent indispensable ! J'ai fouillé, pisté, exploré les archives, récolté des témoignages… Lorsque l'on décide de traiter ce genre de sujet il faut avoir des données précises, des récits d'expériences vécues, des statistiques… Je procède de cette manière pour tous mes écrits, pour certains détails qui le nécessitent, comme lorsque je parle des parents décédés de Lebenn, ingénieurs en stabilité au Cambodge.


Pourquoi cette espèce de poème avant le début du roman, dont les vers constituent les titres de tes chapitres ?

Pas vraiment un poème, même si tu peux l'appeler comme ça. Plus précisément, je souhaitais annoncer le crescendo, cette montée de la violence perceptible tout au long de l'histoire. Le " poème " décrit l'invasion du sang par l'alcool, donc un brouillard et une certaine forme de folie, d'égarement, sentiments et processus vécus par Lebenn. A mesure que les chapitres -les vers- s'écoulent, le trouble grandit, ainsi que le besoin de vengeance, de violence. Alors que le début est assez soft. Un crescendo qui ne peut qu'aboutir à la mort de Lebenn ; le mal qu'il avait subi était irréparable, son fardeau est destiné à être porté jusqu'à la fin, et ce malgré la fuite, malgré la mort du bourreau. Je ne voulais pas terminer simplement sur cette dernière, par ailleurs accidentelle ; retourner la violence subie sur soi me paraissait l'issue la plus adaptée. Il me semble être parvenu à améliorer la structure de l'ensemble, relativement au premier roman. Par exemple, faire coïncider dans un même chapitre la première révolte de Lebenn à douze ans (flash back) et sa libération définitive par la mort brutale de Noël, me semblait constituer un parallélisme intéressant.


Pourquoi as-tu choisi d'écrire sur l'inceste ? Ce n'est pas une expérience que tu as vécue, et pourtant tu sembles si bien te fondre dans le personnage principal, que tu mets en scène en utilisant le Je…

Tu sais, moi l'autofiction ça m'emmerde. Dans mon premier roman, Les villes sont trop petites, je suis devenu une femme. J'ai exploré ses ambitions, approché d'aussi près que possible ses sensations, ses émotions, sa détermination et les enjeux de l'aventure qu'elle vivait sous mon stylo… Ma vie est banale, l'écriture me permets d'en sortir, de connaître ce qui est différent de moi, et qui m'intéresse dix fois plus. J'aime avoir plusieurs vies, celles de mes personnages, aussi douloureuses soient-elles ; plus elles sont opposées à la mienne et plus elles me plaisent. Acteur d'une multitude de rôles, de facettes, plusieurs incarnations : dans mon genre je suis un Paco Rabanne de l'écriture ! Pour le prochain roman, j'ai décidé de mettre en scène ces enfants dont le vieillissement est accéléré ; et pour ce faire j'ai déjà commencé le travail de recherche en amont.


Tu es d'une crudité effarante lorsqu'il s'agit de décrire les scènes d'inceste. Cela n'a pas été trop difficile ?

Si, bien sûr, dans la mesure où lorsque je crée une histoire, un personnage, je me fonds directement et immédiatement en lui. L'identification est totale ou presque, et ce phénomène mène à des extrêmes que l'on a du mal à imaginer si on ne le vit pas. Pendant l'écriture, et encore quelques semaines après l'aboutissement du roman, j'étais encore enfermé en Lebenn, hanté par la vie que je lui avais donnée, par les démons que je lui avais infligés. Et puis ça finit par te quitter, jusqu'à ce que tu prennes encore une autre peau…


On ressent une certaine nostalgie lorsque tu parles de cette belle Bretagne dénaturée, violée par la technologie à outrance et une course effrénée à la modernité …

Attends, je suis carrément écolo ! La Bretagne, non seulement c'est mon enfance, mais c'est devenu –malheureusement- le symbole de tout ce que j'aborrhe ! Cette sur-création de bâtiments, de voies d'accès …. Plus de paysage ! Tu vas pas me dire qu'on a besoin de toutes ces autoroutes ! Si on les emprunte, c'est parce qu'elles existent ! Le besoin n'est pas pré-existant, il est créé, et je ne supporte pas ça.


Quel engagement… Le cadre de cette histoire te permet d'exprimer des convictions " politiques "…

C'était aussi le moyen de d'explorer l'opposé de ce que j'avais fait avant : des villes on passe au monde rural, avec tout son lot de problèmes, sa violence, ses habitants qui parfois se révèlent n'être qu'une bande d'adolescents attardés, de délinquants…


N'as tu pas l'impression de sombrer dans un misérabilisme agaçant ?

Je l'ai redouté. Mais finalement je ne pense pas. Je me contente d'observer la réalité ; et les réminiscences de Lebenn sur les violence sexuelles et sur la mort de ses parents sont décrits avec un œil froid, assez neutre je trouve. L'écriture est comme à distance du texte lui-même, sans véritable sentimentalisme, ce qui oblige aussi le lecteur à se repositionner face au récit, comme Lebenn qui se repositionne vis à vis d'un passé, des personnages de son passé.


On peut justement observer un drôle de positionnement face à la femme…

Ah, on ne va pas recommencer, je ne suis pas misogyne ! Gisèle le dégoûte, mais c'est aussi parce qu'elle est témoin passif et même indifférent de son calvaire. Son silence est révoltant, à la limite Lebenn lui en veut plus à elle qu'à Noël, qu'il considère comme un fou donc dans un certain sens comme irresponsable de ses actes… Sa sœur Guizeh est un clin d'œil à mon premier roman, elle porte le même prénom que mon héroïne précédente et lui emprunte une existence similaire. Dans Le ciel n'aime pas le bleu, la distance qui existe entre elle et Lebenn, le rejet qu'elle lui inspire à la fin, a pour origine le refus de celle-ci à affronter le passé alors que son frère en a éperdument besoin. Elle a opté pour la solution de facilité : tourner la page, fuir, oublier. Et il ne peut le tolérer. Quant à Anita, il est pris de remords face à la manière dont il s'est comporté plus jeune avec elle, face à la lâcheté dont il a fait preuve. Anita représente une bouée de sauvetage pour lui, puisque les rapports qu'il vit avec elle le réconcilient avec une forme de sexualité belle et souhaitée, pure.


Et au milieu de ces puretés et atrocités, tu n'as pas l'impression de te moquer de ton lecteur lorsque tu lui expliques le fonctionnement technique de l'ensilage ou encore du "copier-coller" sur Mac ?

Ces passages étaient nécessaires. Le reste est tellement lourd, tellement grave, qu'il fallait bien que je trouve un moyen d'aérer le texte, de créer des échappées pour ne pas justement tomber dans le misérabilisme. Les délires de la bande, la chasse, l'ensilage, la traite, tout ça permet de ne pas enrayer la progression du récit tout en lui ménageant des pauses. Et puis c'est un bon truc pour faire culpabiliser le lecteur : tu le fais rigoler un moment et tu le replonges au cœur de la noirceur. Il se dit " merde, j'aurais pas dû rire, c'est horrible ". J'aime bien jouer avec le lecteur…

Jessica Nelson


Cristophe Paviot
Ed.
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Last modified onmardi, 21 avril 2009 23:22 Read 5619 times