Rencontre avec Benoît Jacquot et Louis Gardel

Interviews
Annoncé comme l'un des évènements du petit écran, Princesse Marie, consacré à la relation entre Marie de Bonaparte et Freud, sera diffusé sur Arte les 4 et 5 mars prochains. Ce téléfilm en deux parties qui réunit à l'écran Catherine Deneuve et Heinz Bennent, a été réalisé par Benoît Jacquot, sur un scénario cosigné par Louis Gardel et François-Olivier Rousseau, auteurs au Seuil. Un livre signé de Rousseau et portant le même titre est d'ailleurs paru chez cet éditeur (en association avec Arte éditions). Produit par Daniel Leconte (Film En Stock) et Nicolas Traub, (Pampa productions), Princesse Marie est à ce jour le plus gros budget débloqué par la chaîne franco-allemande.


ENTRETIEN BENOIT JACQUOT


Avant de vous rencontrer, j'ai lu la presse consacrée à Princesse Marie : j'avoue que cela m'ennuie de vous poser les mêmes questions...

Cela vous ennuie pour vous ou pour moi ?

Pour vous !

Vous savez, c'est la loi de la promotion ! Bien sûr, je trouverais ça amusant d'essayer de répondre chaque fois l'inverse de ce que j'ai dit précedemment mais hélas, je n'ai pas le temps?

Allons-y alors : comment avez-vous été intéressé au projet ?

Je connais Catherine Deneuve depuis longtemps, cela fait des années qu'on voulait faire un film ensemble : beaucoup de projets initiés n'avaient pas abouti, pour diverses raisons. Un jour Catherine est arrivée avec l'idée de Princesse Marie, qui lui avait été soufflée par Louis Gardel. J'étais assez perplexe au départ mais il y avait quelque chose d'encore plus décidé que d'habitude dans l'attitude de Catherine qui m'a conquis. J'ai rencontré ensuite Louis Gardel qui m'a expliqué l'état de ses recherches et donné un synopsis. Ce dernier était très bon mais je ne voyais pas où était ma place, certaines choses me déplaisaient : je lui ai expliqué ce vers quoi je voulais aller, il m'a écouté et est revenu avec un scénario qui jetait les bases du film que j'avais envie de tourner.

Et qu'est-ce qui vous déplaisait ?

Même si c'était amusant, j'y trouvais un côté trop « Sissi », accentué sur les mondanités de la princesse et où son intérêt pour la psychanalyse apparaissait comme un hobby. Au contraire, sa relation avec Freud était pour le coup un thème vraiment passionnant sur lequel je souhaitais tout concentrer.

Dans La Vie de Marianne, vous vous étiez déjà confronté au format télé : qu'est-ce qui vous intéresse par rapport au cinéma ?

Que je tourne pour la télé ou pour le cinéma, pour moi cela reste un film. Le plus intéressant est qu'on n'est pas tenu par les contraintes des salles de cinéma : les distributeurs deviennent frileux quand le film dépasse les 2 heures car ils ne sont pas sûrs d'avoir leurs 5 séances dans la journée? Du coup face à un film dont on est sûr qu'il nécessitera plus de 2 heures, on pense automatiquement à la télévision.
Par ailleurs, quand on va voir un film au cinéma, on est dans un schéma théâtral : on doit sortir de chez soi, acheter son ticket, et une fois dans la salle, on va regarder le film avec des inconnus. Au contraire, à la télévision, on prend rendez-vous chez soi, on est dans un état d'esprit différent et cette idée me plaît beaucoup.
Malgré des propositions sérieuses de grands distributeurs de cinéma, je n'ai pour l'instant pas encouragé la mise en salle car à mes yeux le meilleur standard a toujours été la télévision. Il y a plusieurs diffusions qui permettront de faire en quelques soirées autant que plusieurs semaines au cinéma. C'est une longévité différente.

En tant que spectateur, on est touché en voyant réuni à l'écran Catherine Deneuve et Heinz Bennent, qui jouaient déjà dans Le dernier Métro de Truffaut un couple d'artistes où la femme, française, sauvait son mari, juif, des nazis. Est-ce vous qui avez choisi cet acteur ?

A vrai dire, oui, même si je m'amuse de lire souvent dans les interviews de Catherine que c'est elle qui a pensé à lui ! Je voulais impérativement un acteur de langue allemande pour toucher le plus possible à la véracité historique. L'équipe avait suggéré entre autre les noms de Max Von Sydow ou de Ben Kingsley mais je tenais à ce que ce soit Bennent. Le fait que Catherine et lui aient déjà eu un précédent de tournage aussi fort que celui du Dernier métro contribuait à installer un lien unique entre eux et que je pense avoir réussi à capter cette intensité avec ma caméra.

Vous êtes réputé pour vous intéresser à la psychanalyse (vous avez fait un documentaire consacré à Lacan, et Le septième Ciel, un de vos films, met en scène un psy et sa patiente) : l'avez-vous envisagée de façon particulière ici ?

Je n'ai pas de façon personnelle d'envisager la psychanalyse : d'ailleurs je n'ai jamais fait d'analyse ! Ici je n'ai pas cherché à faire une reconstitution ou un documentaire sur Freud. J'ai plutôt essayé de retranscrire ce que pouvaient être des séances au début de la psychanalyse, avec l'intérêt qu'elles soient pratiquées par le père de cette discipline sur un personnage fascinant tel que Marie de Bonaparte. Je n'ai pas voulu montrer ce qu'était vraiment la psychanalyse, j'ai simplement essayé de mettre en scène une relation qui repose sur ce domaine. Ceux qui sont intéressés par l'analyse freudienne ? C'est d'ailleurs un pléonasme car l'analyse est toujours freudienne au départ, sinon ce n'est pas de l'analyse ! ? Y trouveront peut-être des éléments intéressants, je ne sais pas.

Princesse Marie se divise en deux parties et l'on ressent que la façon de filmer s'adapte à ces rythmes différents. Pouvez-vous m'en dire plus ?

Il y a effectivement deux mouvements temporels. En réalité, sur l'ensemble du téléfilm, on trouve trois régimes de film, trois cinématographies différentes. Il y a d'abord le temps littéralement analytique, constitué par les séances se déroulant dans le cabinet de Freud et qui est presque un film dans le film. Il y a ensuite le temps anecdotique, mondain, qui regroupe les scènes de la vie familiale et mondaine de Princesse Marie. Enfin, il y a un temps historique, représenté par les images d'archives où l'on voit le monde tel qu'il est en train de devenir à mesure que l'histoire se déroule. Le régime proprement freudien occupant la majeure partie du premier épisode, ce dernier a donc nécessairement un rythme très différent du deuxième qui contient bien plus d'éléments historiques et anecdotiques.

Justement, pourquoi ce choix d'images d'archives ? Par un souci d'économie ?

Ce n'était pas pour des raisons économiques car sinon j'aurais pu le faire. C'est plutôt par principe : je trouve que tout ce qui s'est passé dans le monde après l'invention du cinéma, c'est-à-dire tout ce qui a pu être filmé ou photographié supporte très mal les reconstitutions. La reconstitution ne tient pas à côté de l'image qu'on a en tête, je veux dire, comparée à celle qu'on peut nous donner à voir. Par exemple pendant la seconde guerre mondiale, on a beaucoup d'images photographiées ou filmées de violence qui nous restent à l'esprit : dans ce cas, en proposer une reconstitution devient presque un acte de dévoiement. C'est l'éternel débat entre Spielberg et Lanzmann : faut-il faire La Liste de Schindler ou Shoah ? J'avoue que je reste un partisan de Shoah, même si le film de Spielberg m'intéresse, mais plus à titre de « contre-épreuve » : il a très bien fait ce qu'il ne faut pas faire !

Louis Gardel m'a confié qu'il s'était beaucoup attaché à la personnalité de Marie de Bonaparte depuis le film : est-ce votre cas ?

Maintenant et à mesure du tournage, je me suis moi aussi senti de plus en plus proche de Marie mais uniquement parce qu'elle était interprétée par Catherine Deneuve : ce n'est plus Marie de Bonaparte, mais Marie de Bonaparte en Catherine Deneuve. Un de mes principaux motifs de satisfaction pour ce film est d'ailleurs d'avoir donné à cette actrice un rôle, un personnage, une interprétation de ce niveau. Peut-être qu'elle haussera le sourcil en lisant cela mais dans Princesse Marie, j'ai autant fait un portrait de Marie de Bonaparte interprétée par Catherine qu'un portrait de l'actrice Deneuve en Marie de Bonaparte...

Vous avez souvent adapté au cinéma, quel est votre rapport à la littérature ?

D'abord je n'ai pas adapté tant que cela, en tous cas pas plus qu'un autre ! Si Adolphe était effectivement une adaptation du roman de Benjamin Constant, La Fausse suivante (Marivaux) n'était qu'une mise en scène filmée d'une pièce de théâtre.
Sade a une histoire particulière : le producteur de ce film avait demandé à l'écrivain Serge Bramly de faire un scénario sur la période d'emprisonnement de Sade pendant la Révolution. Comme le film ne s'est pas fait tout de suite, Bramly en a écrit un roman [voir critique Sade ou la terreur en archive actualité]. Entre temps, le producteur a obtenu de Bramly d'utiliser son livre très librement, et le scénario a finalement été écrit par Jacques Fieschi : moi-même, je n'ai jamais lu le roman et je ne considère donc pas mon film comme une adaptation.

De manière générale, quel est votre rapport à la littérature ?

J'ai un simple rapport de lecteur. J'ai beaucoup lu pendant longtemps (cela frisait même la toxicomanie !), un peu moins aujourd'hui par manque de temps. Lire fait partie de ma vie, alors quand je fais des films, cette activité de lecteur transparaît nécessairement dans mes réalisations ; mes idées de film peuvent passer par des livres puisque ces derniers sont des objets familiers.

Et quels sont vos livres favoris ?

Pour moi, il y a une distinction à faire entre les livres qu'on aime le plus, ceux qui ne vous quittent jamais, et ceux qui ont joué un rôle décisif dans votre vie.
Il y a donc les livres que je préfère à tous, ceux qui m'occupent en permanence sans que ce soit mes favoris, et ceux qui m'ont aidé à vivre, qui m'ont fait tel que je suis aujourd'hui, pour le meilleur et pour le pire. Dans cette dernière catégorie, je mettrais André Breton et les surréalistes, que je lisais à l'adolescence, moment où l'on façonne une partie de sa personnalité.
L'oeuvre de Dostoïevski, en revanche, fait partie de ces livres qui me hantent sans cesse. Mon premier long métrage m'a d'ailleurs été inspiré par l'un des romans de cet auteur.


ENTRETIEN LOUIS GARDEL


En plus d'être éditeur, vous êtes l'auteur de 7 romans et de scénarii encore plus nombreux : qu'est-ce qui vous a attiré dans le cinéma ?

Le point de départ a été l'adaptation de mon roman Fort Saganne, il y a plus de 20 ans. Lorsque la productrice a acheté les droits, je lui ai demandé de participer au scénario, par curiosité. Cette expérience m'a plu, j'ai fait des rencontres intéressantes comme celle avec Alain Corneau, le metteur en scène. Ensuite, les choses se sont enchaînées d'elles-mêmes, on m'a sollicité sur différents projets, souvent de qualité comme par exemple Indochine de Régis Wargnier. D'ailleurs, jusqu'à Princesse Marie, je n'avais jamais vraiment été à l'origine d'un film.
Quant à mon intérêt personnel, je trouve très agréable d'alterner roman et scénario. Fondamentalement, ils requièrent tous deux le même travail d'imagination, de construction. La différence n'est pas technique, elle tient à ce que l'un est une oeuvre solitaire alors que l'autre est écrit pour une équipe. Moi, j'aime travailler à plusieurs, me mettre au service d'un metteur en scène, d'autres scénaristes ou d'une histoire qui n'est pas à moi.
C'est aussi agréable d'être simplement scénariste car, au final, l'oeuvre appartient au metteur en scène : on se sent bien plus libre que lorsqu'on écrit un livre. J'aime ce côté « on est dans le coup mais on reste dans l'ombre ». Bien sûr, il m'arrive aussi d'en avoir marre du collectif ! Depuis Princesse Marie, je me suis remis au roman, j'ai besoin à nouveau de ne plus dépendre de personne.
J'avoue aussi avoir un côté midinette qui fait que j'adore travailler avec des stars !
Il y a enfin l'aspect de l'argent, j'en parle car les gens ne l'évoquent jamais comme si on travaillait sur la planète Mars ! Moi qui suis assez sollicité, je gagne pas mal à faire ce métier mais je refuse souvent car je privilégie les projets vraiment intéressants.

Maintenant, le passage obligé : pourquoi Marie de Bonaparte ?

Ce n'est pas Marie de Bonaparte, c'est d'abord Catherine Deneuve. J'aime beaucoup cette femme, avec qui j'ai travaillé plusieurs fois : c'est une vraie camarade professionnelle. J'adore aussi l'actrice : elle est à tous points de vue irrésistible ! J'apprécie ce qu'elle transporte à l'écran en dehors de ses qualités même de comédienne, son côté star, sa voix précipitée?
Nous étions ensemble sur un tournage, à l'étranger. Je venais de faire le scénario avec Erik Orsenna de La marche des Radetski, en deux fois 1h30 pour la télévision et j'avais apprécié ce format temps. Je lui ai demandé pourquoi elle ne faisait pas de télé ; elle m'a répondu qu'elle attendait qu'on lui propose quelque chose d'intéressant ! C'est ma femme, elle-même psychanalyste, qui a alors suggéré l'histoire de Marie de Bonaparte, car elle l'avait connu étant enfant (c'est elle à la fin du livre). J'en avais bien sûr entendu parler mais je me suis vraiment alors plongé dans ses livres, sa vie. Ensuite, j'ai proposé le sujet à Catherine qui connaissait le personnage et a accepté avec enthousiasme.

Vous dites que vous vous êtes ensuite passionné pour Marie, pour Freud : vous avez donc fait alors un vrai travail de documentation ?

Bien sûr j'ai beaucoup lu (biographies, oeuvres et correspondances) mais, chez moi, ce travail de lecture ne va pas sans l'écriture du scénario en parallèle : je prends des notes, j'imagine des scènes à partir de certains éléments d'information, je mélange documentation et création. Me renseigner me sert donc d'abord à écrire.

Et ces recherches, vous les avez faites seul ou François-Olivier Rousseau, qui signe avec vous le scénario, y participait déjà ?

J'avais déjà bien avancé les choses avec Catherine puis Benoît mais j'ai assez vite mis François-Olivier sur le coup, pour trois raisons : la première, parce qu'ainsi que je le disais tout à l'heure, j'aime le travail collectif et je trouve qu'on est plus intelligent (et plus rapide !) à deux qu'à un. La deuxième, parce que je connais cet homme depuis longtemps, que j'estime ses qualités d'écrivains et que nous sommes assez complémentaires. La dernière, parce qu'il avait déjà fait une analyse, contrairement à moi, et qu'il connaissait bien la période traitée.
En réalité, ce scénario, comme c'est souvent le cas, est le produit de nos discussions communes, Benoît, François, Catherine, et moi.

L'idée du livre était présente dés le départ ?

Elle est venue assez vite, en vérité. François-Olivier avait déjà écrit un beau livre à partir du film de Diane Kuris, Les Enfants du Siècle. C'est donc assez naturellement que je lui ai proposé de refaire une novélisation pour Princesse Marie.

Justement, quand on lit ce livre, certains épisodes relatés ne se retrouvent pas dans le film : faisaient-ils partie du scénario d'origine ?

Oui, tout y était. En fait, j'écris souvent des scénarii trop longs, on coupe donc, soit au fur et à mesure des différentes versions du scénario, soit pendant le tournage. Comme François-Olivier avait travaillé tôt sur l'écriture du scénario, il s'est logiquement inspiré de ce qu'il était à l'origine.

En tant qu'éditeur, que pensez-vous de la novélisation par rapport à l'adaptation ?

Pour commencer, je n'aime pas le terme de novélisation, j'emploie plutôt l'expression « adaptation littéraire ». Ce n'est pas qu'une question de vocabulaire, mais aussi de qualité.
Il est évident que pour Princesse Marie, je ne l'aurais pas fait faire par n'importe qui, juste pour exploiter un éventuel succès du film. Mais quand c'est un véritable écrivain qui s'y consacre, et qu'en plus il a participé dés le départ au projet, je trouve intéressant d'avoir deux supports pour une même histoire. Bien sûr, certains sujets s'y prêtent plus que d'autres.
Quant à l'adaptation, personnellement, ce que je déconseille - pour l'avoir fait - c'est d'adapter ses propres romans ! Je pense en effet que l'auteur n'y est pas bon car il manque de recul, même s'il faut reconnaître que ça va plus vite ! Sinon, la question de la fidélité à l'oeuvre originale est pour moi un faux débat : film et livre sont deux choses différentes. En tant qu'éditeur, je dis d'ailleurs toujours à mes auteurs à qui on propose une adaptation qu'ils seront de toute façon trahis !
En réalité, il y a deux aspects de l'adaptation : lorsque je travaillais sur La marche des Radetski, adaptation de Roth, nous sommes restés, Orsenna et moi, très proches du livre : nous nous disions que notre réussite serait que les gens aient ensuite envie de lire ce roman (ce qui a été par chance le cas). Notre démarche allait donc plutôt vers la popularisation d'une très belle oeuvre. Sinon, adapter, c'est simplement se saisir d'un livre pour en tirer un film qui aurait alors son existence propre, auquel cas c'est la patte du réalisateur qui importe, plus que le livre d'origine.

Pour en revenir à Princesse Marie, vous auriez été tenté de jouer l'un des rôles ?

L'envie m'est passée depuis longtemps ! J'ai en effet, lors du tournage d'Indochine, joué une scène qui a ensuite été coupée au montage : je suis un très mauvais acteur ! En revanche j'étais vraiment curieux de savoir ce que cela faisait de tourner un dialogue qu'on a écrit, de se retrouver sur un plateau, entouré de cinquante techniciens. C'est tellement étrange ce métier d'acteur? Alain Corneau me disait souvent « Les acteurs sont tous fous » !

Quand vous avez commencé à écrire le scénario, vous pensiez déjà l'axer autant sur la relation entre Marie et Freud ?

Au début, je pensais me focaliser sur Marie, personnage fascinant, ayant eu une vie particulièrement romanesque. Puis très vite m'est apparue la nécessité de me concentrer sur son lien avec Freud, d'abord parce que les deux parties du téléfilm se dessinaient toutes seules (Freud sauve Marie de sa névrose / Marie sauve Freud des nazis) et puis aussi parce que Freud a clairement été l'homme de sa vie. Par ailleurs, cela permettait de développer le thème de la psychanalyse, un aspect qui intéressait beaucoup Catherine et encore plus Benoît. Objectivement, Freud et Marie de Bonaparte forment un couple dramatiquement passionnant, notamment pour leur bonne foi intellectuelle l'un envers l'autre. Ils ne se mentent pas, sont capables de s'apprécier tout en conservant une distance critique.
Freud avait d'ailleurs lui aussi une personnalité intrigante : hormis son intelligence, universellement reconnue, il avait beaucoup d'humour, était cité comme très indiscret (le comble pour le père de la psychanalyse !), revendiquait son image de « petit bourgeois viennois ». Pire, alors qu'il avait le premier insisté sur l'importance de la sexualité, il avouait lui-même qu'il serait très choqué s'il apprenait que l'un de ses enfants avait une liaison extraconjugale !

Est-ce que tout dans le film, dialogues, évènements, analyses, est vrai ?

Mais certainement ! Marie avait publié ses carnets d'analyses avec Freud, ainsi que leur correspondance et nous nous en sommes servis. Le scénario est assez réussi car on a essayé de rendre vivants des éléments plutôt statiques, comme les séances d'analyse. Bien sûr, nous avons beaucoup coupé, raccourci, simplifié, mais rien n'est inventé. D'ailleurs, dans son livre, François-Olivier a remis des éléments que nous avions dû supprimer au moment du tournage, et qui donne à son roman une autre envergure.

Y compris donc le franc-parler célèbre de la princesse ?

En réalité, cela allait au-delà du franc-parler ! Elle n'hésitait pas à appeler un chat un chat, et utilisait volontiers le vocabulaire sexuel. Freud l'admirait d'ailleurs pour son manque total de réserve dans ce domaine. Par exemple, dans le film, sa conversation sur le sexe avec Ruth Mack était plus longue mais surtout bien plus crue qu'elle n'apparaît !

Si vous aviez pu rencontrer Marie, quelle question auriez-vous eu envie de lui poser ?

Pour être sincère, Marie a énormément écrit sur elle : je pense donc que tout ce qu'elle avait à dire l'a été. Je regrette en revanche de ne pas l'avoir connue car c'était quelqu'un qui dégageait une vitalité phénoménale. Faisant preuve de tous les culots, elle avait aussi ce côté un peu toqué pour son milieu ! Elle éprouvait cette curiosité insatiable de tout et de tous, regardait les gens comme ils étaient, sans se préoccuper de leur classe sociale. A vrai dire, vu sa naissance et ses richesses, elle n'avait pas besoin d'être snobe !
Cette curiosité qui la caractérisait est la raison pour laquelle j'ai écrit ce scénario pour Catherine. Quand Deneuve ne fait pas la star (et croyez-moi, elle le fait très bien !), lorsqu'on la côtoie en privé, on retrouve chez elle ce même intérêt pour autrui, cette énergie débordante. Catherine va toujours de l'avant, pour elle Princesse Marie est d'ailleurs déjà de l'histoire ancienne ! Marie de Bonaparte avait aussi cette habitude de se lancer sans cesse vers de nouveaux projets, elle aimait la vie. Ces personnes me passionnent, elles sont le sel de la terre, je les aime pour leur générosité à vivre. J'ai d'ailleurs cité un jour à Catherine ce joli mot de Gide, mais j'aurais pu aussi l'employer pour Marie : « De tout, beaucoup, deux fois ».

Princesse Marie
François-Olivier ROUSSEAU
Le Seuil / Arte éditions, 17 euros, 215 pages.


. Oeuvres majeures de Sigmund Freud (1856-1939)
L'Interprétation des rêves, 1900
Totem et tabou, 1913
Introduction à la psychanalyse, 1916
Malaise dans la civilisation, 1930


. Oeuvres de Marie Bonaparte (1882-1962)
Mythes de guerre, PUF, 1950
Psychologie et biologie, PUF, 1952
La sexualité de la femme, PUF, 1967


Marie Bonaparte a édité la correspondance de Freud et Wihelm Fliess
La naissance de la psychanalyse, lettres à Wilhelm Fliess, notes et plans (1887-1902) / Sigmund Freud ; publié par Marie Bonaparte, Anna Freud, Ernst Kris ; trad. de l'allemand par Anne Berman, Presses universitaires de France, 1969.

Maïa Gabily


Benoît Jacquot et Louis Gardel
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Last modified onmardi, 26 mai 2009 23:30 Read 4583 times