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Pactiser avec le Diable

Au Diable Vauvert enfile les romans comme d’autres
les perles : David Foster Wallace, Douglas Coupland, Pierre
Bordage mais aussi Céline Vargaftig ou Nora Hamdi… Les
paradoxes ne sont qu’apparents entre tous ces auteurs: voilà la
génération montante! Oui, elle a une âme et elle l’a vendu au
Diable. Entretien méphistophélique avec Marion Mazauric,
fondatrice de la maison.


Au diable Vauvert apporte un certain renouveau dans
l’édition : couvertures colorées, parti-pris artistique fort.
Comment êtes vous perçu dans le paysage éditorial ?

A l’étranger, nous sommes perçus comme étant la maison
d’édition la plus intéressante. Le Diable commence
d’ailleurs à avoir un rayonnement international :Le Dernier
Testament
, de Philip Le Roy, dont les droits nous ont été
achetés, va être adapté au cinéma et produit par Jean-Jacques
Annaud. Son roman est déjà distribué dans quatre ou cinq pays.
On n’a jamais eu d’échos pour lui dans la presse généraliste
alors que la couverture par la presse internet a été excellente.
Nous, on le savait que c’était un auteur « best ». De manière
générale toutes les nouvelles cultures sont méprisées par les
critiques, il faut dire que les « anciens » sont incompétents dans
ce domaine. Pourtant quand la littérature ne puise que dans son
propre champ, elle devient académique, on n’y échappe pas.

C'est plus difficile de créer une rupture artistique en France
qu’ailleurs ?

La France a la réputation internationale d’avoir une édition très
conservatrice, comme toute notre culture, d’ailleurs. Si je
présente Trois jours chez ma mère chez un éditeur russe
ou chinois, il va pleurer. La France est un pays trop centralisé,
jacobin au mauvais sens du terme : toute l’oligarchie
intellectuelle française vit à Paris. L’avantage d’être ici à Vauvert
[ndlr : c’est à Vauvert que réside logiquement… le Diable
Vauvert], c’est qu’on ne perd plus de temps avec les petits
conflits de Saint Germain, les éternels
renvois d’ascenseur.

Qui sont vos lecteurs ?
C’est difficile à dire, la maison n’a pas cinq ans et le lectorat
évolue donc à chaque livre. On peut seulement dire qu’il est
jeune, entre 18 et 35 ans, et hyperconsommateur de culture. En
plus, c’est variable selon les auteurs : Bordage attire par
exemple tous les publics, alors que Nicolas Rey a un public
plutôt féminin tout comme l’une de nos meilleures vente,
contraceptions, mode d’emploi, de Martin Winckler.

On vous prête souvent l’étiquette « littérature de l’imaginaire
», qu’en pensez vous ?

Je me considère comme un éditeur « réaliste ». La science
fiction est une grande littérature du réel, American Gods
de Neil Gaiman ou Stephen King sont des grands réalistes.
Douglas Coupland dans son dernier Hey Nostradamus
est dans une veine à la fois moraliste et réaliste. Toutes les
cultures pop, science-fiction ou Fantasy -ce qu’on appelle la
littérature de l’imaginaire- ne sont qu’un moyen détourné de
parler de la réalité, du monde qui nous entoure. Ne serait ce
qu’au niveau de la langue, celle qu’utilisent ces auteurs est
réelle, commune et compréhensible par tous. Pourtant c’est de
la littérature.

La rupture est elle en train de se produire ? Le nouveau
réalisme contre l’ancien nombrilisme… Une génération contre
une autre ?

Oui, c’est une bataille esthétique. Comment douter en lisant
Identification des schémas de William Gibson qu’il est un
écrivain du réel ? C’est la bataille que j’avais mené chez J’ai
lu
. Ces auteurs sont cantonnés dans un ghetto, alors qu’il
n’y a pas plus grande littérature du réel que la science-fiction.
Ce qui lie ces auteurs, c’est la force d’une vision. Dans une
veine à la fois réaliste et ironique, on peut trouver des auteurs
comme Thomas Clément qui va publier son premier livre chez
nous ou Louis Lanher [ndlr : Auteur de Un pur roman et
Microclimats]. Ils ont placé leur narration dans une légère
anticipation, en 2010 par exemple. Pourquoi ? C’est finalement
un procédé voltairien, ils appliquent une vision d’en haut ou d’à
côté. Et ça peut prendre différentes formes : on va également
publier Scream test, un « slasher » mettant en scène un
serial killer. Ce roman n’est pas moins moral que la société ne
l’est.

D’où vient ce goût de la subversion, de l’ « à côté »
intellectuel ?

Mes premiers coups de sonde chez Flammarion date de 1994.
J’avais dans l’esprit l’indépendance esthétique et culturelle de
ma génération, qui est celle de Houellebecq, de Ravalec. J’ai
été bercé de comics, de bandes dessinées… Autant Stephen
King que l’Iliade et l’Odyssée ! C’est Jacques Sadoul chez
J’ai lu, qui m’a donné les clefs pour tout comprendre. Je
le répète, une guerre esthétique est en cours : pour moi Stephen
King est l’Alexandre Dumas du XXème siècle. C’est le public qui
triera : le marché n’est pas très bon en ce moment, mais le
Diable Vauvert n’a aucun problème. Science fiction ou pas peu
importe, comme le dit James Morrow, les catégories littéraires
ne sont que des catégories commerciales.

Laurent Simon


Marion Mazauric
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Dernière modification le Wednesday, 10 June 2023 22:41

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