Maggie O’Farrell, la plus anglaise des Irlandaises

Interviews
Maggie O’Farell vient de publier chez Belfond son troisème
roman, La Distance entre nous, dans lequel elle fait
croiser les destins agités de Jake, un Anglais élévé au Japon
qui n'a jamais connu son père et Stella, immigrée italienne par
ses grands parents qui vit en Ecosse et dont la relation
exclusive avec sa soeur Stella est tenue par un lourd secret.
Nous avons aimé parler avec cette jeune auteur, réputée
Outre-Manche parmi la relève littéraire, un talent simple mais
efficace qui se lit avec énormément de plaisir et touche toutes
les générations.


Vous étiez critique littéraire, vous avez abandonné pour vous
consacrer à l'écriture, je suppose que vous avez fait des études
de lettres ?


Oui, j’ai étudié trois ans à la fac la littérature anglaise, ce qui est
assurément un atout quand on écrit : cela développe notre sens
de la lecture, ainsi bien sûr que la quantité de livres qu’on peut
lire. Plus de références, de bagages littéraire avec ça.

Votre premier roman, Quand tu es parti, était fondé
sur une narration éclatée entre fille, mère et grand mère. Dans
le troisième, vous réutilisez cette multiple narration puisqu’on
est tour à tour dans les pensées de Nina, de Stella, de Jack, de
leurs parents, de leurs grands parents… Qu’est-ce qui vous
intéresse dans ce procédé ? La famille est une donnée
romanesque importante à vos yeux ?


J’aime multiplier les points de vue car je pense qu’une histoire
n’est pas le produit d’un seul regard, d’une seule personne.Il y a
au contraire de nombreux aspects à considérer pour une même
situation, et surtout dans les familles. Les familles sont si
souvent compliquées, les personnalités qu’on y trouve sont si
différentes la plupart du temps.
Nous sommes tous individuellement à la fois le produit des
gènes, des influences, des décisions qu’ont prises nos parents.
J’ai lu quelque chose à ce sujet qui avait plutôt à voir avec des
maths alors je ne sais pas si c’est valable mais pour une
famille de cinq personnes il y a 25 types possibles de relations :
je trouve que c’est fascinant d’y penser et d’écrire à ce sujet. Les
relations différentes entre les parents, entre les parents et leurs
enfants, entre les frères et sœurs : on peut écrire indéfiniment à
ce sujet tant les possibilités sont innombrables !

Oui mais parfois, on est perdu, surtout au début, on ne sait
plus très bien qui parle…


Cet aspect assez complexe est délibéré, je trouvais intéressant
de mettre au défi le lecteur, sa compréhension, même si c’était
aussi prendre le risque de le lasser. La narration de mon
prochain livre est plus simple. D’un autre côté, je pense que ça
reflète bien la vie qui nous bouscule, qui nous demande
justement cette concentration face à son désordre, cette
capacité à attraper au vol les évènements inattendus qui la
constitue. Je crois que j’écris comme je considère le monde :
quelque chose de chaotique, des gens qui parlent, bavardent
sans cesse, c’est la vie que je ressens ainsi.

La Distance entre nous explore différents aspects
d’un même thème : la différence (entre malade et bien portants,
entre Anglais pure souche et immigrés italiens, entre
Européens et Asiatiques). Vous-même êtes née en Irlande du
Nord, vous avez grandi en Ecosse et vivez maintenant à Londres
: c’est une question qui vous touche ?


Je pense en effet qu’être irlandaise et vivre en Grande Bretagne
est une des raisons qui m’ont donné l’envie d’écrire ce livre.
Plus jeune, j’ai le souvenir qu’on m’ait demandé régulièrement :
« d’où viens tu ? » et qu’au lieu de répondre un mot, comme on
pouvait s’y attendre, je racontais toute une histoire ! J’ai toujours
été jalouse des gens qui pouvaient définir en un mot leurs
origines, dire « je suis grec », tout simplement. Je voulais être
comme eux, pouvoir me dire que j’appartenais à un seul lieu.
Mais c’est vrai aussi que cette complexité des origines est de
plus en plus fréquente, les gens vont d’un
pays à l’autre bien plus souvent qu’avant.

Mais dans votre livre, on a vraiment cette impression que
Nina et Stella enfants souffrent de leurs origines italiennes, que
la maladie de Nina va accentuer encore leurs mauvais rapports
avec leurs camarades qui refusent la singularité…


Les enfants sont toujours rapides à remarquer les personnes
différentes d’eux, celles qui ne parlent pas pareil, ne leur
ressemble pas et ils voudront tout de suite savoir pourquoi.
Je pense qu’être Irlandais en vivant en Ecosse, quand j’étais
petite était difficile,, les gens voulaient savoir d’où je venait
pourquoi j’avais ce drôle de nom. L’Irlande est à l’Angleterre un
peu ce qu’est la Belgique au niveau des blagues ! Je me
souviens que même les repas de ma mère étaient un peu
différent que et mes camarades me demandaient « Quel est ce
drôle de pain que tu manges ? ». Ce genre de souvenirs vous
marquent bien sûr mais je ne voulais pas écrire sur des
Irlandais en Angleterre car d’abord beaucoup de gens l’ont déjà
fait, et très bien, ensuite parce que je n’aime pas être dans
l’autobiographie. Du coup, c’était plus intéressant d’imaginer ce
que cela pouvait donner d’être Italien en Ecosse. Si ma propre
histoire a bien influé sur ce thème, je l’explore sous un autre
aspect, complètement imaginaire.

Votre livre parle d’amour, bien sûr, mais aussi de relations
fraternelles (avec Nina et Stella) et, à travers Jake, d’une
recherche du père. Ce sont des thèmes auquels vous êtes
particulièrement sensibles ou était-ce simplement pour les
besoins de l’histoire ?


En fait, l’histoire de Jake est fondée sur celle, vraie, d’un ami
dont la mère tomba enceinte d’un homme qu’elle ne revit plus
jamais après leur nuit passée ensemble. Mon ami pensait
souvent à ce père inconnu mais lui, contrairement à mon
personnage, n’a pas souffert d’une absence paternelle car sa
mère s’est mariée deux ans après sa naissance avec un
homme qui l’éleva comme son fils : il ne peut donc pas
m’accuser de lui avoir volé toute son histoire ! Je sais en tous
cas que malgré tout, il a toujours dans un coin de sa tête ce
père disparu et ce sujet, ce manque parental m’interpelle,
d’autant que je vois bien que ce sont des situations qui
continuent de se produire chaque jour. Cependant, je voulais en
faire une histoire positive, les liens entre Jake et sa mère sont
forts, tous deux sont plein de tendresse l’un pour l’autre. En fait,
c’est drôle parce que plusieurs amis hommes qui ont lu mon
livre m’ont dit ensuite qu’ils avaient cette peur parfois d’avoir
laissé un enfant derrière eux à la fin d’une liaison, sans le
savoir.

Dans votre livre, c’est comme si l’amour était la solution à
tout, c’est votre avis ?


Au début de mon livre, je cite une phrase de l’auteur américain
Jay McInerney. J’aurais aimé également citer ces mots de lui : «
vos amis sont un bon moyen de remplacer votre
famille ». Je pense la même chose des gens dont on tombe
amoureux : quelques que soient les difficultés, la chance, ce
dont vous héritez de votre famille, votre passé, la personne
qu’on aime peut colmater, réconcilier tout ça. C’est un peu
comme une nouvelle famille. En ce sens, trouver l’amour au
milieu d’une quête personnelle comme c’est le cas de mes
personnages, Stella et Jake, peut signifier pour eux un
apaisement, une accalmie de leurs problèmes. A vrai dire,
j’aimerais que l’amour permette vraiment de tout arranger
dans la vie, mais ce n’est pas toujours possible…

Certains critiques ont comparé votre second livre à
Rébecca de Daphnée du Maurier : quels sont vos propres
références littéraires ?


Un de mes livres favoris est Jane Eyre de Charlotte
Bronté et j’aime effectivement Rébecca. Sinon, Tolstoï,
Flaubert… Quand j’avais 16 ans, j’étais aussi folle d’Albert
Camus. Actuellement j’apprécie ?? Et en France, Marie
Darrieussecq. En fait je lis autant de contemporain que de
classiques et je m’intéresse aussi à la poésie.

Et vous avez une idée de votre prochain roman ?

Oui puisqu’il est fini ! Il sera publié l’année prochaine au
Royaume Uni. Pour la première fois, j’ai écrit un livre plutôt
historique. Cela se passe au 19ème siècle. J’ai du faire
beaucoup plus de recherches pour ce roman que pour les
précédents mais c’était passionnant.

Maïa Gabily

La Distance entre Nous
Maggie O'Farrell
Ed. Belfond
370 p / 20 €
ISBN: 271444080
Last modified onmardi, 09 juin 2009 19:28 Read 2191 times