interview Karine Tuil

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<B> On a beau lire la mention roman sous <i> Douce France</i>, l'on serait plutôt tenté d'y voir un témoignage, presque un docu-fiction pour reprendre un terme normalement réservé à la télévision. Ce terme vous semble-t-il usurpé, exagéré ? </B>
<i>Douce France</i> n’est pas un document, c’est un roman, dans la forme, dans son projet… Mais j’ai voulu – à la manière de Truman Capote ou d’Emmanuel Carrère – confronter mon imaginaire à la réalité, me baser sur des faits réels dans un souci de crédibilité. L’écrivain devient alors un témoin, un passeur, un observateur de la société, rendant compte d’une situation donnée à travers le prisme de son imagination. Le texte n’est pas purement factuel, le style évolue au fil des pages, neutre au début puis plus rythmé, plus scandé quand la colère s’empare de la narratrice. Il me semble que ce livre ne marque pas une rupture avec mes textes précédents. Si le ton, la façon de travailler et l’approche sont différents, la thématique reste la même : l’identité.

<B>S'il n'interpelle pas directement les politiques, votre livre peut évidemment être lu comme un manifeste visant à attirer l'attention des gouvernants sur une situation insupportable en France. Sa date de sortie, en pleine campagne électorale, n'est-elle qu'une coïncidence opportune ou bien souhaitiez-vous pouvoir ainsi vous inscrire à votre manière dans le débat ? </B>
C’est une coïncidence. D’habitude, mes livres paraissent à la rentrée littéraire mais j’ai écrit ce texte plus vite que les précédents, guidée par une colère difficilement maîtrisable. Ce que j’avais vu dans le centre de rétention m’avait bouleversée, révoltée… Je ne souhaitais pas particulièrement me retrouver au cœur du débat public ou face à Nicolas Sarkozy lors d’une émission de grande écoute comme cela a été le cas. J’ai regretté que l’aspect politique occulte la dimension romanesque et littéraire. Toutefois, j’ai aussi écrit ce livre pour témoigner, pour dévoiler aux lecteurs l’envers du décor, le fonctionnement d’un centre de rétention, le statut des enfants d’immigrés…
Le rôle de l’écrivain varie d’une époque à une autre. Certains sujets nous interpellent plus que d’autres en fonction de notre histoire, notre identité, notre conscience politique. Mais je me sens assez proche de la vision développée par Sartre dans « Qu’est-ce que la littérature ? » : « L'écrivain "engagé" sait que la parole est action: il sait que dévoiler c'est changer et qu'on ne peut dévoiler qu'en projetant de changer. Il a abandonné le rêve impossible de faire une peinture impartiale de la Société et de la condition humaine.»

<B>Quel a été l'élément déclencheur de ce roman? Comment avez-vous procédé pour son écriture? L'accès aux centres de rétention vous a-t-il semblé aisé et transparent?<B>
La curiosité, sans doute. Le désir d’en savoir plus. Et j’avais lu un article écrit par des représentants associatifs alertant l’opinion publique sur l’existence de centres pouvant accueillir des familles. J’ai présenté un dossier auprès du ministère de l’Intérieur en insistant sur le fait que j’étais écrivain et non pas journaliste ; il faut savoir que rares sont les professionnels des médias qui ont pu avoir des autorisations de longue durée… L’accès aux centres a été difficile : j’avais demandé des autorisations pour visiter des centres très insalubres – elles m’ont été refusées. Je n’ai finalement obtenu que le droit de visiter le centre du Mesnil Amelot, le plus moderne de France…

Laurence Bourgeon

Douce France
Karine Tuil
Ed. Grasset
174 p / 14 €
ISBN:
Last modified onjeudi, 18 juin 2009 23:38 Read 1535 times