Linda Le
Linda Le

Les choses indicibles

Chroniques

Si vous aviez encore des choses à dire après votre mort... À qui les diriez-vous ? Comment formuleriez-vous les secrets les plus marquants ? Dans Lame de fond, Linda Lê donne la parole à un trépassé et aux femmes de sa vie pour mieux mettre en lumière la vie, l'amour, la mort... Une confession au-delà du réel, puisqu'il reste toujours quelque part un goût d'inachevé.

De son vivant, Van n'était ni un croyant, ni tout à fait un grand spirituel. Tout au plus un pécheur à confesser, peut-être. Un homme scindé entre deux vies aussi, partagé entre deux amours. Mais surtout un Français métisse, au cœur de deux nations : toute sa vie aura été construite sur un départ... Même si, depuis longtemps maintenant, le Viet-Nam n'est plus qu'un souvenir.

Finalement, il aura fallu sa propre mort, à l'âge de quarante-six ans, pour que toutes les vérités - jusqu'aux plus inavouables - se voient criées à la face du monde, ou plutôt couchées sur le papier. Comme dans un jeu de résonnances, Linda Lê permet à son texte de planer au-dessus des genres littéraires : c'est ainsi que l'on se retrouve tour à tour dans le journal intime, le romanesque, l'article de fait-divers... En fait, sur le mode de l'intemporel et de l'après-vie, l'auteure laisse s'exprimer Van, cet être intrigant, du fond de sa tombe de Bobigny : l'homme se remémore Lou, son épouse qui l'a tué en l'écrasant avec son Audi, Laure, sa fille gothique qui ne l'a jamais appelé Papa, mais surtout Ulma... Ulma l'envoûtante, la glamoureuse, la sublime eurasienne qui aura quelque part généré sa perte.

Le poids du secret

Construit en quatre parties, le roman de Linda Lê prend naissance en pleine nuit, se poursuit en journée et finit au crépuscule. Successivement, les voix de nos quatre personnages se font entendre, mais ne se mélangent jamais... Car toutes ont leur singularité, leurs atours, leurs secrets. Journaux ultimes plutôt qu'intimes, monologues à la langue savamment travaillée, ces interventions sont autant d'invitations à découvrir le pourquoi d'une telle messe : jusqu'au secret, enfin avoué, qui viendra apaiser le défunt...

Dans ce roman surréel, on passe de la mort à la vie, et on réfléchit sur l'intérêt d'une disparition dans le cœur des autres... On pense au passage sous toutes ces formes aussi, et à ces transitions qui font la vie : comme celle, par exemple, qui consiste à passer d'un pays à un autre. On se confronte aux genres, aux métissages, aux voyages, aux parcours empruntés. Aux souffrances et à la paix qui en découle. Vietnamienne de naissance et francophone d'écriture, Linda Lê en sait quelque chose de toute façon : elle connaît le poids des conventions et des sacrifices qui mènent à la littérature...

Lame de fond
Linda Lê

Christian Bourgois
276 p. -17 €

Last modified onlundi, 24 septembre 2012 12:23 Read 2651 times