Comment je suis devenu écrivain

Chroniques
Martin Page essaye désespérément de vivre une vie tranquille (dixit). Il n'est pas sûr qu'après ce premier roman, cela lui soit permis. Du moment que, à l'instar de son héros, il ne pète pas les plombs à voir son talent reconnu par ce monde étrange qui l'entoure.

Antoine est un être qu'apparemment rien ne fait sortir du lot. Entre vingt et trente ans, pas beaucoup d'argent, quelques diplômes, cauchemar indéfini des libraires, fan de Flaubert, amateur de sorties entre amis et de jeux d'échecs. On le soupçonne néanmoins de quelques tares : un passé refoulé de premier de la classe, une connaissance strictement théorique de la sexualité... Ce que vous ne savez pas, c'est qu'il est à ses propres yeux quelqu'un de tout à fait extraordinaire. Son exceptionnalité se caractérise par une intelligence harcelante dans un contexte de connerie généralisée. On ne peut pas être heureux en étant trop intelligent, voilà le constat du narrateur. Pour se guérir du mal de vivre, un seul remède : la stupidité. Mais pas n'importe quelle stupidité : la grande, la vraie, la stupidité de première division. Elle s'habille en Nike, elle bouffe au Macdo, elle balance à la poubelle tous les livres, et elle comate devant la télé...

L'idée de départ est originale. Les thèses pseudo-intellectuelles d'Antoine (dont les développements nous font parfois douter de sa lucidité) sont grandiloquentes et cocasses. Certaines scènes, véritables jets d'encre simples mais vivants, sont particulièrement savoureuses, paradoxales. Antoine, maladivement responsable, n'a aucun égard pour les arbres abattus et reformatés en livres dont il déchire savamment les pages. Dommage que certains personnages fassent naufrage dans des interventions sans comique et sans grand intérêt. Relevées, il est vrai, par d'autres apparitions plus inventives : son copain As qui ne s'exprime, suite à un accident, qu'en alexandrins, l'ami Raphi maître ès finances, Sandi trop plate pour être tirée. Et remarquable, ce moment chez le docteur : un pédiatre.

A ceux qui regretteront les clichés : ce qu'il ne faut pas devenir (bourgeois satisfait par les imprévisibilités d'un destin décaféiné), ce qui est ridicule (ce culte de la perfection du corps), les dénouements à la va-vite (kidnapping terroriste), ce qu'il faut condamner et combattre (cette impitoyable société de consommation) ; on leur répondra que certes ils sont ici présents, mais que Martin Page a sans doute voulu parsemer d'images prédigérées une histoire qui elle ne l'est pas. Et qu'il sait faire preuve d'une certaine finesse de raisonnement. Antoine : faux adulte qui ne s'est pas laissé le temps de grandir et de vivre une spontanéité indispensable. Ce qu'il finit par comprendre, c'est qu'il n'est nul besoin d'être stupide pour vivre pleinement son évolution. Retrouver son enfance : tout se dénoue. Intervention du super-héros (surprenant Dany Brillant : mais où Page va-t-il chercher ça ?!??), boucle bouclée. On retourne aux barbes-à-papa et aux blagues, Vivre avec un grand V sans devenir un pauvre con, c'est possible.

Florian Mo

Comment je suis devenu stupide
Martin Page
Ed. Le Dilettante
218 p / 15 €
ISBN: 2842630408
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:39 Read 5020 times

More in this category:

« Borges ressuscité ! Self-made man »