Borges ressuscité !

Chroniques
S’il ne fallait retenir cette année qu’une seule collection, ce serait sans doute « La Bibliothèque de Babel ». Histoire d’une renaissance.

La Bibliothèque de Babel, telle que la conçoit Jorge Luis Borges dans la nouvelle éponyme, est un espace composé « d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales » dont les murs sont couverts d’ouvrages de même format : « […]chaque livre a quatre cent dix pages, chaque page, quarante lignes, et chaque ligne, environ quatre-vingts caractères noirs. » En décrivant en 1941 de manière si précise cette bibliothèque interminable, Borges n’imaginait sans doute pas que, trente ans plus tard, reposeraient sur ces mêmes étagères, des livres au format certes plus incertain, mais dissimulant sous leur fine couverture cartonnée quelques-uns de plus grands textes de la littérature fantastique, réunis dans une seule et même collection, « La Bibliothèque de Babel ». L’histoire de cette collection n’est pas ordinaire. En 1972, Franco Maria Ricci, alors jeune éditeur d’art italien, se rend chez son ami Borges à Buenos Aires : « J'avais remarqué chez lui une petite bibliothèque avec les livres qu'il aimait. Je lui ai proposé de les éditer. On lui relisait le texte pour voir s'il était d'accord. Et il dictait ses préfaces. » Près de trente volumes ont alors parus en Italie, renfermant des textes souvent oubliés d’Edgar Allan Poe, Herman Melville, Franz Kafka, Oscar Wilde ainsi que d’autres écrivains plus méconnus, mais non moins remarquables. À l’époque, seule une poignée d’ouvrages traversa la frontière pour se retrouver dans les rayons des librairies françaises, néanmoins la plupart des tirages furent rapidement épuisés. En 2006, les éditions du Panama se sont associées aux éditions FMR pour faire renaître de ses cendres l’ensemble de « La Bibliothèque de Babel ». On peut se demander pourquoi aucune maison n’avait pensé plus tôt à cette collection tant les textes qu’elle propose sont riches. Mais après tout peu importe : l’essentiel est que nous puissions découvrir aujourd’hui les pépites fantastiques d’Henry James, de Gustav Meyrink, d’Arthur Machen, de Pedro Antonio de Alarcón et de Giovanni Papini.

Contes fantastiques

Chacun des cinq livres déjà parus renferme de courts textes, des récits obscurs chargés de mystères. Dans « La Bibliothèque de Babel », des êtres disparaissent sans laisser la moindre trace, des confréries secrètes se réunissent au cœur des nuits les plus noires, l’inquiétant se fait omniprésent et le monde réel est envahi par un monde invisible où les morts côtoient les vivants. Les forces occultes rôdent « […]dans un pays aussi réel et aussi vrai que notre monde, et pourtant simple reflet du nôtre – dans le royaume de ces doubles fantomatiques qui se nourrissent de leurs formes terrestres originelles et qui les épuisent tout en prenant des dimensions d’autant plus monstrueuses que leurs formes terrestres s’évertuent en vain espoir, en attente inutile de bonheur et de joie. » Les préfaces rédigées par les soins de Borges sont de profondes réflexions de l’auteur argentin converti pour l’occasion en directeur de collection. Loin des leçons académiques, il y présente le genre fantastique et ses principaux apôtres. Le résultat est passionnant. « La Bibliothèque de Babel » est sans conteste l’une des plus grandes réussites éditoriales de l’année passée. Outre la qualité des textes, les lecteurs apprécieront les couvertures d’origine de la collection qui rendent l’objet livre esthétiquement parfait. Gageons qu’elle rencontrera à la rentrée prochaine un succès égal avec la parution du Convive des dernières fêtes de Villiers de L’Isle-Adam. Comme les miroirs qui recouvrent les murs de la bibliothèque originale de Borges, cette collection semble là « pour figurer l’infini et pour le promettre… ».

Ellen Salvi



Ed. FMR/ Éditions du Panama
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Last modified onsamedi, 18 avril 2009 17:52 Read 2638 times