Dossier du Mill�nium

L'�criture de Michel Houellebecq ressemble au personnage Michel Houellebecq : elle ne paye pas de mine, et rel�ve pourtant, derri�re son apparente banalit�, d'une fougue lancinante et suicidaire.

Michel lancinant ?

Avec toi, chaque phrase se ressemble, s'enfonce maladroitement dans la monotonie. Et pourtant, cette uniformit� du discours, cette banalit� narrative illustre la vie de tes h�ros, cr�e le piment de ta vie, tout en s�cr�tant l'overdose de routine, finalement d�sesp�rante. Parce que trop proche de leur vie, donc de la tienne, pour le lecteur. Donc de la sienne.

Un exemple : " Consommateur sans caract�ristiques, il accueillait cependant avec joie le retour des quinzaines italiennes dans son Monoprix de quartier ".

De cette platitude ressort la force du r�cit, son implacable engagement. Cette platitude d�limite ton champ d'action, et l'on sent poindre dans cette �criture non seulement ta recherche d'un temps depuis toujours perdu, mais aussi  le drame qui noue ta vie, peut �tre aussi celui de tes lecteurs : l'impuissance et la vanit� de r�action qui bloque, qui te bloque. Rudy, ton belge de Lanzarote ira se r�fugier dans le cocon tristement confortable d'une secte lunaire, l� o� ton personnage Michel se conforte dans les affres d'une d�pression tranquillis�es par les petites pilules rouges et blanches qu'il ingurgite nuitamment. Toi, tu pars t'exiler en Irlande apr�s t'�tre perdu dans les tourments de la mondanit� parisienne.

Ton �criture ph�nom�nale joue de la situation de tes personnages. Tu cr�es leur univers mental et physique au travers du mode d'�criture qui te caract�rise : des phrases relativement br�ves, des situations toujours limite int�ressantes, des descriptions tenaces et infernales mais toujours d'une pr�cision d�vastatrice, des minces instants d'explosion vitale de tes personnages (notamment � travers le sexe mais pas seulement : tu parles beaucoup aussi de la t�l�vision et du processus cr�atif  dans les Particules).

Et l'on comprend mieux la nature de Michel Houellebecq, monstre adolescent rejet�, �crivain adul� parce que pol�mique : tu es l'�criture, tu es ton �criture, Michel, rien de plus : cultiv�e, pointilleuse, charmeuse, scientifique mais paradoxalement banale, raisonnable, contingent�e, exsangue de libert�.

Et donc, tes livres nous parlent un peu plus de toi et de la contingence qui t'affecte : tu es le regret, tu es le possible, tu es l'inachev�. Tu es comme nous, mais un peu plus car plus malheureux que nous : tu es victime du sensible. Donc forc�ment passionn� de mort.

Houellebecq suicidaire ?

"Nous pensons que Michel Djerzinski a trouv� la mort en Irlande, l� m�me o� il avait choisi de vivre ses derni�res ann�es. Nous pensons �galement qu'une fois ses travaux achev�s, se sentant d�pourvu de toute attache humaine, il a choisi de mourir."

Le " monstre " de l'Extension se donne la mort en continuant de vivre. De Lanzarote , il ne sortira rien sinon des photos organiques.

Houellebecq est dou� pour faire mourir ses personnages. Les titres de ses romans informent un peu plus sur l'homme : l'Extension du domaine de la lutte (1994), le Sens du Combat (1996) ?

A cela r�pond Rester vivant suivi de La poursuite du bonheur en 1997 qui pr�figure le virage " scientifique " et " biologique " de 1998 : Intervention et les Particules El�mentaires.

Bref, �l�mentaire pour qui le veut bien.

Le rapport de Houellebecq � soi passe par la n�gation : d'o� cet id�al r�volutionnaire, d'o� cette n�gation du soi vital dans la pratique d'un sexe mortel, charg� n�gativement.

Mais surtout, surtout, ne fais pas semblant de te vouloir " normal " (cf l'in�dit Zone) parce que tu ne l'es pas. Voir ton mani�risme ou comprendre ton �gocentrisme, sentir ce dandysme refoul� dans la timidit� de celui qui vainc, Prix de Flore ou Num�ro 1 des boutiques Relay, tu sais jouer de ta superbe m�diocrit�, tu sais mettre en sc�ne une faiblesse travaill�e.

Pour mieux conqu�rir ce qui te fait d�faut et console ta vie. Mais parler de toi comme d'un �crivain sexuel, c'est se m�prendre sur ta condition subliminale. Tu te voudrais perdu au milieu d'une for�t de vagins, l� o� tu te trouves ballott� par la mince touffe d'intrigantes toutes mont�es � la sauce parisienne. Et c'est l� Michel qu'on doit te poser la question : pourquoi ne les arroses-tu pas ? pourquoi n'oses tu d�fier la femme l� o� elle t'attend : dans tes rapports intimes et sentimentaux avec elle ? o� est la sinc�rit�, et y en a-t-il ?, dans ce que tu �cris ?

Se mettre en sc�ne et en tirer parti, c'est bien, mais �tre coh�rent avec soi et donner son suc vital, c'est mieux. En tout cas, c'est ce que faisait C�line, ton h�ros, ton exemple. Lui, il n'avait pas pris l'habitude de se faire mousser pour rien. Toi, tu te pavanes d�licatement � l'ombre douillette des copeaux de sensualit� mielleux et molletonn�s des deux ou trois attach�es de presse qui te dragouillent. L� o� lui se donnait totalement. Sans tr�pigner du besoin de reconnaissance ni la volont� outrepass�e d'�pater la galerie Saint-Germain des Pr�s.

Grand manieur de mots, tu l'es. Mais �crivain de tripes et de c�ur, en d'autres termes Grand �crivain, le doute s'installe.

Et c'est pour cela Michel que tu es reconnu majeur de ton vivant : c'est parce que l'on te sait denr�e p�rissable, parce que tu te r�clames du temps �ph�m�re et que tu fais jouir les derniers r�volutionnaires de soixante-huit, parce que tu es g�n�rationnel et que la g�n�ration a besoin d'un repr�sentant convenable, ni trop syst�mique, ni trop perturbant. Tu colles tout � fait � ce que la grande machine sociale attend de toi : tu ne fais pas de bruit, tu aimes les mondanit�s, tu as du talent� le parfait repr�sentant de son petit fond de commerce. Le r�volutionnaire bourgeois, celui qui crie fort mais qui reste clo�tr� chez soi.

Maintenant, en ce qui concerne les d�pressions posthumes et le cycle d�prime-d�pression sous anesth�siants stup�fiants, avec sa petite dose de pulsion sexuelle � l'arrach�, tu es parfait.

par Jean-Baptiste Vallet