Rencontre avec Christophe de Ponfilly

Interviews

Christophe de Ponfilly, tu es un « grand reporter » reconnu et tu as déjà réalisé plus de quarante documentaires pour la télévision et le cinéma. La question que j’ai tout de suite envie de te poser, c’est : que diable viens-tu faire sur le site de Zone littéraire ?

Comme plus d’un millier de Françaises et de Français je suis entré en Afghanistan après que les Soviétiques ont envahi ce pays en 1979, alors je peux très bien entrer clandestinement sur un site de critique littéraire! Comme pour mon film Massoud l’Afghan, j’ai voulu prolonger Vies clandestines grâce à l’écrit puisque seul l’écrit permet d’entrer dans les nuances, d’être didactique tout en transportant de l’émotion. Bien sûr, ce n’est pas un livre littéraire, mais la langue écrite m’a permis de véhiculer moi aussi des expériences, des histoires que nombre de romanciers voudraient trouver par leur imagination ; celles que je raconte ont néanmoins toutes existé dans le réel. Je les ai trouvées « avec mes pieds », en allant là-bas en Afghanistan. Pour répondre à ta question, le livre, comme l’interview, pourront peut-être toucher un autre public : le public qui lit.

Et pourtant, dans Vies Clandestines, tu choisis une forme et un style journalistique : le livre est divisé en 12 chapitres qui présentent chacun un personnage qui a soutenu l’Afghanistan à qui tu poses des questions...

C’était la forme la plus directe et la plus juste. Je n’avais pas besoin de romancer une histoire qui contenait déjà en elle tous les ingrédients du roman : des personnages incroyables, des intrigues, un décor, une atmosphère. Je voulais avant tout rendre compte des parcours de 12 hommes et femme qui ont soutenu l’Afghanistan à une époque où les télévisions et les hommes politiques occidentaux se sont si rapidement lassés de ce pays qui semblait être en guerre pour toujours. Mais l’enjeu n’était pas évident: les personnes du livre sont tous mes amis. Je devais être honnête, juste et critique à la fois, mais ne pas les décevoir et refaire exister ce que nous avons tous vécu.

Les hommes et femme que tu présentes semblent tellement imprégnés de littérature : parmi eux, Patrice Francheschi, Mike Barry sont des écrivains; beaucoup ont eu envie d’entrer en Afghanistan après avoir lu Les Cavaliers de Kessel ou les Sept Piliers de la Sagesse de Lawrence d’Arabie...

Oui, la plupart d’entre nous avons découvert l’Afghanistan à travers des livres. Et puis, dès qu’on revêtait des habits afghans, c’est comme si entrait dans les pages d’une bande dessinée. Quant aux Cavaliers, c’est un roman bien sûr, mais aussi un reportage qui dépeint la réalité afghane. Mais, le problème pour nous, ce n’est pas seulement de dire pourquoi on est entré en Afghanistan mais aussi comment on en est sorti en retrouvant la vie quotidienne à Paris.

Cette opposition entre ces deux mondes : celui des dernières alvéoles intactes du poumon de l’humanité et celui de la ville moderne revient de façon récurrente dans le livre. Tu parles d’une Confrérie de personnes qui ont retrouvé là-bas certaines valeurs qui étaient de plus en plus absentes de notre quotidien.

Dans la société française, le confort anesthésie les gens. C’est comme s’il n’y avait plus de combat à mener et avec cette peur de perdre leur confort les gens ne sont pas libres. Il faut savoir qu’en France on ne peut même pas filmer le monde du travail : impossible d’entrer une caméra dans une entreprise, et de trouver des employés osant s’exprimer à visage découvert. La seule communication omniprésente, c’est la publicité qui martèle des messages de propagande dans le seul but de vendre. En Afghanistan, on a voulu chercher autre chose: le sens de la fraternité, de la destinée humaine dans une nature magnifique. On y a appris que tout est fragile. Ici, on croit que tout est acquis, que la paix sera toujours là. Mais la situation la plus juste pour l’homme, c’est celle de la plus grande des instabilités, du mouvement...

Dés le début de ton livre, tu évoques Antoine Blondin qui, parlant de l’humanité et de son état, disait qu’il fallait mieux en rire. Mais tu ne sembles pas adopter la même distance un peu cynique face à la bêtise des hommes.

Blondin avait tout compris. Et il a noyé sa lucidité extrême dans l’alcool. Il était peiné, lui le fêtard amoureux de la vie de voir que les hommes sont si prompts à ternir les vibrations de la vie. Mais il n’était pas cynique, il éprouvait une grand tendresse pour les hommes. Et si, entre autre, au début du livre, je dénonce d’une façon incisive et cruelle cette mission parlementaire qui s’est rendue en Afghanistan l’année dernière, c’est pour avoir vu nos chers députés français se servir de ce voyage comme un faire-valoir sans rien apporter pour la paix en Afghanistan.

Ton film Vies clandestines, nos années afghanes est passé dimanche 22 avril à 23 h15 sur France 2 et il n’a réalisé que 1 point d’indice d’audience. Crois-tu que le livre va mieux marcher?

Si j’ai autant de lecteurs que de spectateurs, mon livre serait un best-seller. Un point représente quand même 580 000 téléspectateurs, alors je n’en demande pas plus !

Karine Bailly

Vies clandestines
Christophe de Ponfilly
Ed. Florent Massot
250 p / 16 €
ISBN: 2845880235
Last modified onvendredi, 01 mai 2009 22:50 Read 8735 times