Passer l’été avec Olivier Adam

Interviews
"Poids léger", adaptation par Jean-Pierre Améris du dernier roman d’Olivier Adam est depuis quelques jours sur les écrans. Depuis, Adam a publié "Passer l’hiver", un recueil talentueux qui a reçu le Goncourt de la nouvelle et le tout frais Prix des Editeurs. Comment ce jeune auteur dont on commence à beaucoup parler a-t-il vécu l’aventure de l’adaptation ?

Vous avez regardé le football hier soir ?
Bien sûr ! C’était vraiment bien, enfin à partir de la 90ème minute ! Je ne suis pas un grand amateur, je ne regarde que les matchs importants. En revanche, quand j’étais petit, j’étais un grand fan, j’avais tous les albums Panini… C’est loin tout ça ! Mais attention, j’ai voté aussi : il y avait une autre actualité européenne importante hier.

Dans "Poids Léger" le héros, Antoine, évolue dans le milieu de la boxe : vous connaissez bien ce sport?

Avant le film, je n’avais jamais regardé un match de boxe, ni fréquenté ce milieu. Faire d’Antoine un boxeur a été un choix d’auteur, pas de connaisseur. J’avais vraiment envie d’écrire un livre sur l’endurance, sur la dégradation physique, encore plus que mentale. Sur le fait de se prendre des coups, de les encaisser plus ou moins bien, la boxe s’imposait ! Je voulais aussi me frotter à la langue qui exprime ces coups. Rares sont les sports qui ont un rapport aussi fort au corps, aussi immédiat. Ceci étant, mon personnage est né croque-mort avant d’être boxeur. Son rapport à la vie comme à la mort est d’abord physique : ses morts, il les porte à tous niveaux, physiquement dans son métier, mentalement au quotidien (ses parents sont décédés), ce deuil de toute chose qu’il n’arrive pas à faire… A l’inverse, dés qu’il est dans la vie, il s’y cogne. Antoine est soit complètement absent au monde, soit tellement présent qu’il s’y heurte en permanence. Il ne se sent vivant que dans le mouvement du corps, dans son épuisement, qu’il soit dû à l’alcool, le sexe, la boxe ou la fatigue.

Justement, comment est né "Poids léger" ?

J’étais en train d’écrire un livre polyphonique quand ma grand-mère est morte. Pendant l’enterrement, je suis sorti de l’église et j’ai trouvé sur les marches ce jeune type d’à peine 20 ans qui venait de porter le cercueil. Il avait desserré sa cravate, entrouvert sa chemise, était en train de boire une fiasque de whisky ; son arcade sourcilière recousue, un hématome sous l’œil, il semblait épuisé, contaminé par le chagrin alentour. Pendant des semaines le souvenir de ce type m’a poursuivi et j’ai fini par mettre des mots dans sa bouche, inventer une vie à cette image arrêtée. J’ai imaginé que son épuisement, ses cicatrices, venaient de la boxe et j’en ai fait un personnage mineur dans mon roman. Quand j’ai donné mon manuscrit à mon éditeur, Olivier Cohen, il m’a dit « C’est de la merde, sauf un personnage qui existe tellement fort qu’il en éclipse tous les autres ». C’était Antoine !
D’abord j’étais furieux car j’avais beaucoup travaillé sur ce roman – presque deux ans – et puis, cinq jours plus tard, mon orgueil ravalé, je me suis mis à écrire sur ce type, que finalement, je n’ai eu qu’à suivre pour que Poids léger existe.

Comment s’est mis en place le projet d’adaptation ?

Ca s’est passé très vite. A l’origine un comédien était très intéressé, il voulait interpréter le rôle et essayait de mettre en place une production. De son côté, Jean-Pierre Améris sortait de C’est la vie, un film très éprouvant car pour le réaliser il avait dû passer un an dans cette maison de fin de vie et les gens qu’il avait côtoyé là-bas étaient morts, pendant ou après le tournage. Il cherchait un projet qui le sorte de cet univers de deuil, qui le happe, lui redonne un coup de fouet, et il lisait donc beaucoup. C’est le libraire de l’Atelier, rue des Martyrs, qui lui a mis mon livre entre les mains. Quand il l’a fini, Améris l’a donné à son producteur et le surlendemain Le Seuil m’appelait pour organiser une rencontre. Moi j’avais vu "C’est la vie", "Le Bateau de mariage", et je me suis procuré "Mauvaises Fréquentations". De ce que je connaissais de lui et de ce que je savais du producteur, Philippe Godeau, distributeur des "Roseaux sauvages", des "Nuits fauves" et surtout producteur du "Garçu" de Pialat, je me sentais déjà en confiance. On a déjeuné et quelques semaines plus tard, le 24 décembre, le contrat était signé ! Mi-janvier, Jean-Pierre m’a envoyé une première version de scénario que j’ai un peu retravaillée, en avril, il entrait en préparation et le tournage débutait en juin.

J’avais cru comprendre que vous n’aviez pas participé au scénario...

J’étais consultant. La première version du scénario était une sorte de copié-collé de passages de mon roman, à part la fin qui avait changé et une scène rajoutée, celle d’Antoine avec la secrétaire du club de boxe. Assez étrangement, j’avais imaginé ce moment dans mon roman mais j’avais finalement renoncé à l’intégrer ! Bref, nous avons travaillé sur cette première base mais le scénario définitif est celui de Jean-Pierre.

Que pensez-vous du choix des comédiens ?

Pour être franc, au départ, j’avais en tête pour Antoine Jalil Lespert, le comédien qui voulait monter le film au début. Quand je suis arrivé chez le producteur, il m’a montré la photo de Nicolas Duvauchelle et j’avoue qu’il collait parfaitement. Quand on le voit dans les premières scènes porter un cercueil avec ce costume trop large pour lui, où il a l’air d’un enfant dans un habit d’adulte, et qui porte des morts alors qu’il n’en a pas l’âge non plus, c’est vraiment troublant. Lorsque je suis allé au club pour la première fois et que je l’ai vu s’entraîner, cela m’a fait un choc tellement il était l’Antoine que je m’étais représenté. Dans le rôle de l’entraîneur, quand on m’a parlé de Campan, j’étais un peu réservé mais j’ai vite vu qu’il était très convaincant. En plus c’est quelqu’un d’une grande humilité alors qu’avec sa carrière on aurait pu croire l’inverse. Il est étonnant car il n’est vraiment pas sûr de lui, il a peur de ne pas être crédible. Quant à Sophie Quinton, je la trouve incroyable dans le film : son rictus mélangeant le sourire et les larmes fait très bien passer ces moments qu’on ne peut avoir qu’avec son frère ou sa sœur. En définitive, la chance a voulu que le casting me convienne parfaitement mais comme le rappelait récemment Jean-Pierre dans une interview, ça n’aurait pas été le cas, c’était pareil !

Vous êtes venu sur le tournage ?

Oui, plusieurs fois. Ca m’a confirmé que je ne ferai jamais de film ! Le réalisateur doit vraiment être partout : s’occuper des acteurs, régler les problèmes logistiques, techniques. On se demande vraiment comment il fait pour garder en tête son objet artistique ! Ceci étant, on m’avait toujours dit que les tournages étaient chiants : moi, j’ai trouvé ça d’une intensité incroyable, d’une énergie condensée, d’une vie impressionnantes.

Si on trouve la même rage de vivre, les mêmes dérives d’un héros en mal de tendresse, le film reste bien plus optimiste que votre livre : comment voyez-vous cette différence ?

Ma rencontre avec Améris est rapidement devenue un lien de fraternité artistique et personnelle évidente. J’ai vite assumé pleinement le film lui-même, notamment en ce qu’il avait de très différent du livre, de beaucoup plus doux, en ce qu’il était clairement une œuvre de Jean-Pierre Améris et non d’Olivier Adam. J’ai aimé le film, y compris ce que certains appellent des trahisons, qui n’en sont pas pour moi. A mes yeux, une adaptation ne se juge pas à la qualité supposée de fidélité au livre, qui n’est qu’un matériau. On doit juger le film en tant que tel et non en le mettant en face du livre. Sans parler de la fin, il y a de grandes différences. Par exemple, mon livre baigne dans l’alcool alors que le film n’en fait qu’un outil de consolation ponctuel, l’action du livre se déroule plutôt à l’automne quand chez Améris on est plutôt au printemps, etc. Je n’ai jamais eu de sentiment de dépossession pour ce film.
D’ailleurs, pour les lieux, alors qu’on n’en avait pas du tout parlé ensemble, le hasard des repérages de Jean-Pierre l’ont ramené aux lieux de ma propre enfance : la cité, le funérarium, l’église… C’est assez troublant mais loin de ressentir de la dépossession, c’est plutôt comme lorsqu’en lisant un livre ou en voyant un film, on a l’impression qu’il a été fait pour nous, comme un écho de choses qui vous animent, qui vous creusent. J’aime plus le film pour ce qu’il fait résonner en moi que parce qu’il est issu de mon livre.

Autre différence, en lisant votre roman j’avais trouvé le lien entre Antoine et sa sœur, Claire, à la limite du normal alors que dans le film…

Leur relation est effectivement bien moins ambiguë. Dans le livre, il y avait une ou deux scènes d’enfance assez troublantes mais surtout une conversation entre Antoine et Su, sa petite amie, où elle lui disait qu’il ne l’aimerait jamais parce qu’il était amoureux de sa sœur. Dans le film, elle lui demande simplement s’il est déjà tombé amoureux. Ce lien trouble frère/sœur est bien plus la clé du livre que du film. D’ailleurs, dans le roman, le début de la chute est constitué par un des premiers passages où Antoine appelle sa sœur et qu’il entend le mec de Claire lui demander d’écourter la conversation. A ce moment, il se rend compte qu’il y a une coupure, que le lien fusionnel fraternel est brisé. Claire a sa vie alors que lui refuse de s’éloigner de son enfance, de faire le deuil de son passé. Fondamentalement Antoine aime Claire autrement que comme une sœur. Dans le film, c’est Su qui incarne l’amour, Claire a un côté adulte responsable quand Antoine ne l’est pas du tout ; chacun a ses arrangements personnels avec le passé, la famille, reconstruire ou non etc. Peut-être que c’est aspect des choses intéressait moins Jean-Pierre. D’ailleurs, alors que mes flash-back ont un sens précis, révèlent des évènements importants, ceux du film sont beaucoup plus flous, abstraits. Le cœur de mon livre était le deuil n’existe pas. Jean-Pierre a essayé de travailler visuellement l’encaissement des coups, moi c’était dans la phrase qui dérape, dans les perceptions embrouillés. D’ailleurs les combats filmés par Jean-Pierre rendent assez bien ce côté abstrait, plus que réaliste. L’aspect de la contamination permanente du présent par le passé est aussi bien respecté. Mais dans son film, Su vient sauver quelque chose alors que dans mon roman elle l’aggrave. De toute façon je ne pouvais que perdre mon personnage car il doit faire le deuil de l’amour qu’il porte à sa sœur : il n’a pas d’issu mais il l’empêche de vivre, d’aller vers les autres. En définitive, c’est la règle de l’adaptation et j’avais dés le départ assuré Jean-Pierre d’une totale liberté par rapport à mon texte. Je suis ravi car même si son trajet dans le film passe par d’autres étapes que les miennes, il a gardé le vrai fond de mon récit.

Vos projets ?

J’ai envie de continuer à travailler sur des projets cinématographiques pour l’aventure collective, qui change de la solitude de l’écriture. Cela dit, je viens de finir un scénario pour le prochain film de Jean-Pierre et je constate à quel point l’écriture scénaristique est pauvre. C’est heureusement compensé par la richesse des rapports humains, des échanges artistiques, par la magie de voir un matériau tels que les mots s’incarner par l’image. Participer à ce genre de projets, tant qu’on vient me chercher est agréable mais je ne pourrais jamais passer de l’autre côté comme Christophe Honoré. D’ailleurs lorsque j’ai achevé mon scénario, j’ai commencé le lendemain mon prochain roman !

Poids Léger, un film de Jean-Pierre Améris. Actuellement en salles.


Zone-litteraire remercie Francis Bugeaud du Café-Restaurant Les Editeurs. 4, carrefour de l'Odéon, 75006 Paris.
www.lesediteurs.fr


Maïa Gabily

Passer l'hiver
Olivier Adam
Ed. L'Olivier
0 p / 0 €
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Last modified onmercredi, 03 juin 2009 23:26 Read 4871 times