Parler d'amour avec Emmanuel Adely

Interviews
Mon Amour. Nul titre n’aurait pu mieux convenir à ce texte emporté, dont l’ambition du sujet n’a d’égale que l’oralité toute puissante de son expression. Pour son sixième roman, Emmanuel Adely s’attaque au plus ancien topoï de la littérature et parvient à en éviter tous les écueils. Et vous, comment parlez-vous d’amour ?

En compagnie de Frédéric Dumond, vous venez de lire des extraits de votre livre : c’est une habitude ?

La proposition à l’origine était de faire une simple signature mais je trouve que c’est offrir un cadeau supplémentaire au lecteur que de lui faire entendre différemment un livre, l’appréhender autrement, même si je suis loin de prétendre à un exercice d’acteur ! En revanche, c’est une envie récente, avant je détestais lire mes romans. Maintenant, je me rends compte que je suis (et pour cause !) celui qui sait le mieux où mettre des virgules, l’intonation, la ponctuation. Pour Mad about the boy, je lisais entièrement (toujours avec Frédéric) le texte – il fait 50 pages, ici c’est évidemment impossible mais du coup, on fait un choix de textes différents à chaque lecture.

Votre production est régulière depuis quelques années mais six ans séparent votre premier livre, Les Cintres (1993 chez Minuit), et le second, Agar-Agar (1999, aux éditions Stock). Pourquoi un tel écart ?

Quand j’étais jeune, je pensais naïvement qu’on pouvait vivre de l’écriture : or après Les Cintres, j’ai réalisé que ce n’était pas du tout le cas ! J’ai donc dû travailler, et puis je suis parti à l’étranger, en Grèce. Je n’ai pas abandonné les lettres pour autant car j’ai régulièrement publié des nouvelles dans des revues, et j’ai même créé en Grèce un journal culturel.
Une autre raison importante est que Minuit avait refusé Agar-Agar, souhaitant que je le retravaille, et si cet exercice n’était pas inintéressant, il changeait cependant le sens du livre. Et moi, j’y croyais tel quel. Trouver un autre éditeur n’a pas été facile car il se demande toujours pourquoi on a quitté le précédent !
Enfin, il y a aussi le fait que je n’estime pas évident, après un premier livre, de ré-embrayer très vite, de trouver un univers aussi fort que pour le premier. Un premier livre est toujours assez casse-gueule parce qu’on pense avoir fait le maximum… moi en tous cas je l’ai pensé longtemps ! Je me disais que je n’arriverai pas à reproduire un tel chef d’œuvre que Les Cintres ! En plus, j’utilisais le « je »narratif, (et j’ai continué jusqu’à Mad about the boy) et c’était difficile de lui trouver une cohérence nouvelle, savoir si je voulais qu’il soit différent ou au contraire identique. Bref, tout ça a pris du temps !

Dans Jeanne, Jeanne, Jeanne on part à la recherche de la mère, dans Fanfare, c’est l’image du père qu’on poursuit. Des critiques vous ont alors considéré comme un auteur d’auto-fiction vous rapprochant de Christine Angot. Qu’en pensez-vous ?

J’ai horreur de ça ! Je pense que l’auto-fiction n’est qu’un terme à la mode, comme les courants, créés pour classifier ce qui n’est pas classifiable. Dés lors qu’on écrit, il y a de la fiction. L’auto-fiction est un concept qui m’écoeure absolument. Il y a d’abord de bons et de mauvais livres, de bonnes comme de mauvaises fictions. La fiction est l’élément essentiel d’un livre, l’auto-fiction est un concept marketing, qui a fait beaucoup de mal à la littérature car cette question n’a pas vraiment d’intérêt. Certains auteurs qu’on a qualifiés « d’auto-fictionnels » sont au delà de ça, d’autres ont essayé d’épouser un courant dans lequel ils sont mauvais ! Pour moi, c’est un faux débat. La part « auto-fictionnelle » existe dans tous les livres et la phrase de Flaubert est toujours d’actualité : « Madame Bovary, c’est moi ».

Dans tous vos livres, il y a peu de ponctuation…

Mais non ! On dit que je l’utilise de façon anarchique et c’est faux ! A part Mad où il n’y en a effectivement aucune : ce n’était pas pour faire un exercice de style, ça s’est imposé comme cela. J’ai effectivement tendance à préférer la phrase longue et une ponctuation assez rare mais c’est pour que chacun y mette la sienne. Peu de ponctuation permet d’avoir plusieurs sens à une même phrase, de l’entendre différemment selon ce qu’on a envie d’y lire. Je considère ma ponctuation au contraire comme précise, en tous cas déterminée. C’est ma façon de savoir où je souhaite mettre du souffle, et c’est le seul intérêt pour moi de la ponctuation. En revanche, c’est vrai que je n’utilise que la virgule et le point qui sont à mes yeux assez équivalents.

Vous utilisez majoritairement le monologue dans vos textes, on peut parler d’une écriture de l’intimité, de l’intériorité. Vous avez envie un jour d’écrire un roman où l’action serait externe, où l’imagination serait reine ?

A vrai dire, non ! Ce qui m’intéresse c’est l’humain, or ce n’est pas l’anecdote qui touche l’être mais ce qu’il vit. L’intérêt pour moi ce sont les rapports entre les gens, la dureté, ou la profondeur, ou la violence, ou la difficulté de ces rapports, cet éventail-là de sentiments qu’on peut tous éprouver. Je suis aussi passionné par la voix, ce que les gens pensent, ce qu’ils peuvent dire, la manière qu’ils ont de s’exprimer les uns face aux autres. Tout ça annule forcément toute anecdote. Etre dans cet intime-là des gens, me placer au-delà de l’apparence, des masques, voilà mon univers, voilà ce que je sais faire, ce qui me donne du plaisir à écrire.

Dans Mon amour, les personnages sont liés familialement, chacun donne sa vision de l’amour, mais tous sont issus d’un milieu social peu élevé. Qu’est-ce qui vous intéressait le plus : parler d’amour ou de ce milieu ?

Pour moi, il n’y a pas vraiment de milieu indiqué. Bien sûr, ce ne sont pas des aristocrates ni même des bourgeois mais ce n’est pas fondamental dans ma conception romanesque. Au départ, après le polyptique que constituaient Les Cintres, Jeanne…, Agar-Agar, et Fanfares, je voulais dépasser le « je » narratif et arriver à utiliser des personnages réellement de « fiction ». Et puis, dans ma propre écriture, quelque chose me gênait aussi, cette impression d’être arrivé au bout, en l’occurrence de ma perfection grammaticale, trop pure, trop classique. J’ai pris le temps d’y réfléchir, de réaliser que je souhaitais être plus proche encore du réel, par le truchement de la voix.
Cela faisait aussi longtemps que j’étais frappé par l’écart absolu entre l’expression écrite et orale. Ce fossé là m’apparaissait totalement aberrant : comment à partir de là faire une littérature en écrivant comme on parle, qui se lit comme on dit. ? En utilisant le vocabulaire tel qu’il est parlé par la plupart des gens, il y avait également une volonté d’entrer dans un véritable questionnement social. Les auteurs que je préfère comme Svetlana Alexievitch, François Bon (avec Daewoo) ou Valtinos, sont ceux qui se mettent en retrait, dont le propre style disparaît derrière ce que leurs personnages disent. C’est ce qu’il y a de plus difficile car il n’est pas si compliqué d’avoir un beau style. Or, posséder une oralité expressive n’empêche pas de conserver un certain style.
Je voulais donc utiliser le registre de l’oralité et le placer dans un discours qui permette le questionnement social, qui soit un accès et pas le questionnement en lui-même. Au lecteur ensuite de s’y intéresser s’il le souhaite, de se dire qu’il y a une fracture telle qu’effectivement les gens aujourd’hui vivent dans deux mondes séparés. Mais s’il y a bien un sentiment universel, partagé, c’est l’amour. Et peu importe le milieu. Pour moi, la littérature doit toujours être à un moment donné un témoignage du réel.

Vous avez un personnage préféré dans ceux de Mon amour ?

Tous ! Je me suis aperçu au cours de l’écriture de ce livre que le « je » narratif que j’utilisais dans mes romans précédents est un « je » sous-entendant que l’on parle de soi, alors que ce n’était pas le cas. Bien sûr, il y a des parties réelles mais on apparaît finalement beaucoup moins dans un « je » narratif que dans une pléiade de personnages comme dans Mon amour. Là encore comme pour Flaubert et Mme Bovary, je réalisais dans l’emportement de l’écriture (car je l’ai écrit d’une traite) que tous ces personnages étaient tous une partie de moi. Dans nos sentiments, on est tous schizophrènes, on a cette gamme en soi de bonheur, de jalousie, d’optimisme, de désespoir, que chacun de mes personnages incarne plus particulièrement.

Vous vous sentez proche de certains écrivains, passés/présents, ou au contraire vous faites seul votre chemin ?

François Bon encore dont j’aime beaucoup l’approche littéraire, Emmanuel Carrère, notamment à cause de L’Adversaire et de La Classe de neige, Svetlana Alexievitch que j’ai citée tout à l’heure avec des Cercueils de zinc ou La Supplication, Valtinos, Guyotat, Mauvigné… Ce sont des « fanions » littéraires vers lesquels j’ai envie d’avancer. Après c’est plus du domaine de la sociologie ou de l’étude politique, avec des gens comme Bourdieu ou Debord, dont je retire un enseignement. Je n’ai en tous cas pas vraiment d’auteurs américains ou hispanisants, à part Garcia Marquès que je prends plaisir à lire mais qui ne m’apprend pas vraiment.
Moi, j’ai vraiment envie de donner la voix, la parole aux gens, d’aller vers cette matière brute et de la donner à entendre au plus près d’une réalité orale.

Mon Amour, d’Emmanuel Adely
Editions Joëlle Losfeld.
15 € 50

Maïa Gabily

Mon amour
Emmanuel Adely
Ed.
0 p / 0 €
ISBN: 2070789543
Last modified onlundi, 08 juin 2009 20:24 Read 8546 times