Interview de Nora Hamdi

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Comment a commencé ce travail à quatre mains ? Vous connaissiez Virginie Despentes depuis longtemps?



Trois Etoiles devait être un film, mais le projet n'aboutissait pas, et je devais concrétiser l'histoire. J'ai vu Marion (Mazauric, éditrice du Diable Vauvert, ndlr) et Virginie, on en a parlé, puis le projet a commencé. La rencontre avec Virginie date d'une dizaine d'années, par l'intermédiaire d'un ami journaliste. La première fois que nous nous sommes vues, on s'est regardé en rigolant l'une de l'autre et on s'est dit : "Ah, je crois qu'on va bien déconner ensemble !". On ne venait pas de Paris, on a du se reconnaître à ce niveau-là. Notre collaboration tombait sous le sens.



Vos dessins montrent des personnages aux traits déchirés, violents dans leurs mots : considérez-vous que votre travail s'inscrit dans la vague trash ?



J'ai une formation Beaux-Arts, et après j'ai traîné dans le mileiu hip-hop. Virginie m'a rencontré dans ce mouvement-là. Quand on a commencé à bosser ensemble, elle connaissait mon travail, elle m'achetait des tableaux. Dans la mesure où on évolue dans le même esprit, c'est pas trash. Ça me paraît normal. Pour moi, mon travail est empreint de la réalité. Quand j'ai créé mes personnages, j'ai vu ces filles qui avaient du mal dans la société parce qu'elles étaient libres à tous les niveaux. Ça fait des siècles que les femmes sont éduquées à être bien, alors dès qu'une femme se met à parler autrement... C'est simplement intentionnel de les avoir habillées comme ça, en réaction à ce contexte de retour à l'ordre moral... On oublie trop vite l'exubérance des années 80. Mon rapport au corps est sans tabou et c'est pour ça que j'aime l'art : il n'y a pas de limite à ce niveau-là. Au contraire de ce que j'ai pu lire par-ci par-là... ce n'est pas de la provocation.



Comment réagissez-vous, justement, face à ces réactions ?



C'est curieux, car c'est déplacer le problème. Les gens se lâchent sur des mauvais arguments, style "les filles sont pas belles", mais c'est pas ça qui les gênent mais plutôt le propos de la bande dessinée. A partir du moment où l'on parle du viol, que des filles se battent, sont agressives verbalement, qu'elles fonctionnent comme un homme pourrait fonctionner, ça passe pour de la provocation alors que ce n'est que de la défense. Mais ce déplacement me paraît générationnel. Les jeunes me disent souvent "Ouais, c'est comme ça", et approuvent ce réalisme.



Comment jugez-vous cette réalité ?



C'est triste. C'est pas une découverte mais le monde souffre. La misère est à tous les niveaux : intellectuelle, physique ou autre, elle est présente au quotidien. Oui, c'est désagréable d'en parler, mais ce n'est pas de ma faute ! Simplement, je ne ferme pas les yeux, c'est tout. Je me confronte au problème. J'ai beau avoir habité plusieurs quartiers, le problème est toujours le même. Les différences sociales sont d'une grande violence.



En parlant de contrastes, Trois Etoiles montre une ville aux traits propres alors que les personnages "explosent le joli"...



On veut nettoyer la ville mais on ne peut pas nettoyer l'être humain. J'avais envie de montrer cette différence : on ne résout rien en décorant une ville. J'aimerais, c'est évident, que les villes soient à l'image des gens. Là, quand je vois le temps qui passe sur cet immeuble (elle désigne un immeuble tagué de la Place Pigalle, ndlr), ça va à l'encontre d'un HLM aseptisé. Nettoyer les villes revient à en faire des prisons. C'est une question de traces humaines. Des architectures sont très belles, mais sans passé.



Après avoir été censurée, l'idée d'adapter ce scénario au cinéma revient avec un casting différent : Virginie Despentes interprétera Marcelle, Coralie Trin Thi, Jennifer, et vous, Suzanne. Pourquoi avoir repris ce projet ?



Pendant la promo de Trois Etoiles, l'occasion s'est présentée. Les gens nous ont dit "En fait, Virginie, Coralie et toi, vous êtes les trois étoiles". On a rigolé avec ça et puis comme on se connaît très bien, un soir, on s'est sorti les répliques, comme ça. Ça marchait très bien. Les dialogues sur nous étaient crédibles. Virginie en Marcelle : discrète, farouche, douce... d'ailleurs, elle davantage comme ça dans la vie. Et Coralie, qu'on a vu ailleurs... les gens vont être surpris.



Le métier d'actrice ne vous avait jamais tenté auparavant ?



Non. Il me fallait mes deux pieds. J'ai souvent cherché à construire les choses. Pour moi, il fallait que je réalise pour me retrouver en équilibre. Suzanne n'est pas très coquette, mais davantage dans la réalité des choses... En plus j'aime les films d'arts martiaux. Me voir comme ça, toujours en réaction, ça me tente.



Et vos projets d'écriture ?



J'ai remis un manuscrit à mon éditeur, hier. C'est l'histoire de deux soeurs qui vivent dans une cité. Leurs destins vont se séparer : l'une va côtoyer un milieu riche pendant que l'autre l'observera. Un contraste fort que l'on ressent beaucoup à Paris. Ce sont deux adolescentes, période pendant laquelle on se construit. Les différences entre milieux sont violentes. Il faut parler de ça, c'est intéressant. C'est la vie, quoi.


Trois Etoiles
Texte : Virginie Despentes
Illustration : Nora Hamdi


Ed. Au Diable Vauvert

144 pages, 23€

Ariel Kenig

Trois Etoiles
Nora Hamdi
Ed. Au Diable Vauvert
144 p / 23 €
ISBN: 2846260419
Last modified onlundi, 11 mai 2009 21:46 Read 5172 times