Acide gastrique

Interviews
Trois questions à Chuck Palahniuk
« Je suis un sociologue »


Zone : Votre oeuvre se rapproche un peu du journalisme “gonzo”, la description brute et subjective des recoins de notre société. Pourrait-on dire que vous êtes sociologue ?

Chuck Palahniuk : Oui. Ou plutôt comme un historien cherchant à préserver des petits bouts de notre culture ignorés de la plupart. Dans le futur, nos descendants pourront ainsi connaître nos vies dans leur intégralité. Je déteste l’idée que toutes ces histoires pourraient mourir avec nous et soient perdues à tout jamais.

Après avoir fait vomir et rire vos lecteurs, est-ce que vous avez commence à écrire ce roman dont vous « rêvez » et qui ferait pleurer les gens ?

J'essaie toujours, mais il est moins compliqué d'éviter les sentiments, comme je le fais, que d'en générer chez le lecteur. Parmi les écrivains que je connais, seule Amy Hempel y arrive très bien. C'est d'ailleurs pour cela que je l'adore. (Amy Hempel est une journaliste/écrivain américaine, spécialisée dans les nouvelles: son style est qualifié de minimaliste, tout comme celui de Chuck Palahniuk NDLR)

Est ce que Rant, qui sortira en mai 2007 aux USA, sera aussi violent que à l’estomac ? Ou retournerez vous vers la face plus douce de votre œuvre ?

Rant a choqué mes amis, mais il n’est pas aussi extrême que Haunted (A l’estomac en VO, NDLR). J’essaie de varier en intensité de livre en livre !
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« Il y a plein de belles histoires dans le monde, mais ce n’est pas celles que je raconte ». En un mot comme en cent, la meilleure nausée que vous ayez connu. Préparez le sac à vomi.

Physique. La lecture du dernier Palahniuk est physique. Les dizaines de personnes qui se sont évanouies pendant les lectures que l’auteur a fait de Tripes, la bien nommée première de la trentaine de nouvelles qui composent son dernier roman, peuvent en témoigner. L’américain évolue dans la même jugulaire que Greg Mac Lean ou Thomas Clay, cinéastes respectifs de Wolf’s creek et de The great ecstasy of Robert Carmichael, avec pour fil rouge un discours paradoxal par rapport à la violence : elle est partout, elle vous imprègne à un point que vous ne pouvez imaginer. Pourtant ce que vous appelez violence n’en est pas. Celle des films est stylisée, celle de l’info est éloignée, en Irak ou au Darfour. Et le veau qui a gueulé sous les coups de matraques électriques du boucher l’a fait à bonne distance de votre assiette. La violence sourd, s’insinue et, quand elle jaillit dans sa forme la plus pure, elle fascine : celui qui a vu l’exécution de Daniel Pearl ou les photos d’Abou-Ghraïb ne les ont pas oublié, persuadé d’avoir vu LA vérité. Enfin. Les légendes urbaines autour des snuff movies sont là pour le prouver. Ecrire ou filmer la violence – la vraie, la sale – serait donc œuvre de salubrité.

Tare académie

Alors en voilà une dose : A l’estomac ne fera qu’empirer votre ulcère naissant. Journal Intime était déjà alambiqué dans la forme, le petit dernier de Palahniuk l’est encore plus : il alterne poèmes, nouvelles et le métarécit qui relie tous ces organites littéraires. Palahniuk tend d’ailleurs de plus en plus à l’expérimentation stylistique, le talent aidant. Le pitch, quant à lui, est simple : une petite annonce appelle ving trois écrivaillons à se retirer tous frais payés pour produire le chef d’œuvre de leur vie. Nourri, logé, blanchi, pour des scribouillards en manque de reconnaissance : le rêve. Tous produiront du verbe… à leur corps défendant. Jusqu’à retourner l’œuvre contre eux, à lui appartenir. La vision qui sous-tend toute l’œuvre de Palahniuk est crypto-anarchiste : enlever le vernis sociétal et il ne restera de l’homme qu’une boursouflure de son propre ego. « Faire de sa vie quelque chose que l’on peut vendre », comme cela est crument résumé dans son dernier opus. Le plus effrayant est le flou volontaire que l’auteur entretient sur son rôle : historien, sociologue ou reporter ? Le bougre est diplômé de journalisme et l’on connaît son attachement à la folie ordinaire. Son précédent recueil de reportage Le festival de la couille, avec de vrai morceau de crasse dedans, est là pour en témoigner.

Gêne et plaisir

Difficile de ne pas voir beaucoup de complaisance dans cette démarche : certains critiques aux USA s’en sont donnés d’ailleurs à cœur joie, la morale toujours à portée de plume. Violence gratuite ? Etalage opportuniste ? Chuck Palahniuk raconte volontiers, avec un sourire gourmand, avoir été copieusement engueulé par son agent pour avoir raconté en public des histoires de masturbation d’enfants. Pas de pédophilie, mais une gamine de sept ans découvrant le plaisir grâce à un coussin vibrant/chauffant : « le meilleur orgasme de ma vie, jusqu’à ce que je sois surpris par ma mère », dira-t-elle à Palahniuk, confident de beaucoup d’histoires de ce genre. Pourquoi les rapporter ? « Parce que c’est la vérité », répondrait-il avec une douceur en totale contradiction avec les projections glaireuses de ses phrases. En grossissant le trait de l’ignominie jusqu’au grand guignol, A l’estomac flatte le sale gosse en nous, celui qui torturait les mouches et faisait fumer les crapauds jusqu’à explosion. Sa lecture vous fera patauger sans bottes dans une fange que tout le monde n’aime pas remuer. Vous êtes prévenus.

Laurent Simon

A l'estomac
Chuck Palahniuk
Ed. Denoel
536 p / 25 €
ISBN: 2207257037
Last modified onlundi, 15 juin 2009 23:00 Read 3956 times