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La gifle

Chroniques

sinhafaceLe titre du deuxième roman de Shumona Sinha ne fera pas d’elle l’invitée idéale au Congrès du parti socialiste ni à la Fête de l’Huma...  Il est pourtant emprunté à un poème de Baudelaire extrait du Spleen de Paris. Le « pauvre » y est un mendiant auquel le narrateur décide de casser la gueule selon le précepte suivant : « celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir. » Ce n’est qu’en se battant que le mendiant prouve qu’il n’est pas forcément destiné à rester l’inférieur de l’autre.

 

Il serait tentant de définir le roman de Shumona Sinha comme un texte politique. En effet, les « pauvres » y sont des demandeurs d’asile et la narratrice, d’origine indienne, travaille dans une administration qui rappelle étrangement l’OFPRA (office français de protection des réfugiées et des apatrides). Elle exerce la fonction d’interprète et fait donc le lien entre le réfugié et l’officier chargé de mener l’interrogatoire. Qui peut, bien entendu, se solder par une fin de non-recevoir. Ce sont évidemment des sujets particulièrement brûlants dans la France et dans l’Europe d’aujourd’hui... Mais pour autant, la singularité d’Assommons les pauvres réside ailleurs. C’est le choix du point de vue qui donne toute sa force au texte. La situation de la narratrice est extrêmement inconfortable, elle est l’interprète de gens qui s’identifient à elle, à sa couleur de peau, mais à qui elle ne ressemble pas puisqu’elle vit désormais dans un pays qui leur restera peut-être inaccessible.

Assommons les pauvres pourrait également s’apparenter à une sorte de récit intimiste sur la quête d’identité de la narratrice. Pendant tout le roman, elle est en garde-à-vue pour avoir agressé un homme dans le métro. Et, à la différence du mendiant de Baudelaire, difficile de savoir si la bouteille fracassée sur le crâne de cet homme a permis à celui-ci de retrouver sa dignité. Lors de cet interrogatoire – dont elle est maintenant l’objet –, un personnage éminemment kafkaïen du nom de Monsieur K ne peut s’empêcher de faire un lien entre la fureur de son agression et la schizophrénie présumée de cette jeune femme qui ne sait plus de quel côté elle se trouve. Car à force de traduire toutes ces histoires qui se ressemblent jusqu’à l’épuisement (viol pour les femmes, menaces terroristes pour les hommes), elle finit par choisir son camp en éclatant de rire avec les officiers chargés de l’interrogatoire.

Maintenant, battez-vous

Car Assommons les pauvres est à bien des égards un texte drôle. Certes, on est loin du fou rire. L’humour s’y fait grinçant et l’on a presque honte de rire lorsque les interrogatoires virent à l’absurde : « - Le frère de cette fille était terroriste dans notre village. Il avait tabassé le petit ami de sa soeur. Il lui a interdit de voir sa soeur. Et la fille s’est pendue. Et on m’a accusé de meurtre. – Mais en quoi étiez-vous responsable ? Vous n’étiez pas son petit ami ! – Non... mais le terroriste et ses hommes avaient apporté le cadavre de la femme et l’avaient pendu au goyavier chez moi. – Pourquoi ? Il n’y avait pas de goyavier chez l’autre ? » Une poésie du désespoir perle. Mais pas seulement. En filigrane se dessine le trajet d’une femme qui s’émancipe de la voix des réfugiés, de celle des officiers et de celle du quotidien passé en grande partie dans un RER ou dans un métro pour faire émerger ses souvenirs, la nostalgie ou simplement les réminiscences d’un pays auquel elle n’appartient désormais plus complètement. En laissant l’homme agressé dans le métro, Shumona Sinha ne nous livre pas forcément la même morale que Baudelaire et la dignité s’en trouve peut-être plus difficile à retrouver....

sinhabookAssommons les pauvres
Shumona Sinha
Éd. de l’Olivier
154 p. – 14 €

 

Last modified onvendredi, 30 septembre 2011 16:26 Read 2633 times
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