Haruki Murakami
Haruki Murakami DR

Insaisissable Murakami

Chroniques

Auteur discret et prolifique, surprenant et manipulateur, Haruki Murakami secoue cette fois la Toile en ouvrant un site d’échanges avec ses lecteurs. Jetant un peu de sel sur les cicatrices qu’il nous laisse à la lecture de chacune de ses oeuvres.

Lui qui habituellement refuse de participer au cirque médiatique et est plutôt du genre à fuir toute apparition en public anime depuis le 15 janvier un site temporaire d’échanges avec ses lecteurs. Baptisé « Murakamisan non tokoro » (« L’espace de M. Murakami »), l’auteur japonais reconnu et célébré dans le monde entier pour, notamment, sa trilogie 1Q84 ou son roman Kafka sur le rivage, répond aux questions… qui l’intéressent. Car l’anguille Haruki Murakami n’y traite en l’occurrence que d’amours et de sexualité, avec beaucoup de facétie, entre conseils adultérins et plaisanteries zoophiles ! De quoi épaissir encore davantage le mystère qui entoure l’homme et ses œuvres depuis qu’il sévit dans le monde littéraire.

Pèlerinage

Il plane en effet sur les écrits de l’auteur nippon un soupçon d’étrange, un fantastique devenu l’une de ses marques de fabrique. Celui qui a déclaré un jour penser que « la fiction était plus belle que la vie » se plaît à faire dérailler la réalité pour, le temps de centaines de pages, faire planer littéralement son lecteur entre le passé et le présent, entre le fantasme et le quotidien. Exactement comme dans son dernier opus traduit en français, L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, aussi retors et jouissif que prévu. Paru en septembre dernier, il y décrit les années cauchemardesques vécues par le jeune homme qui se voit brutalement et sans une once d’explication rejeté par ses quatre amis. Celui qui, effectivement de ce pentagone adolescent, est le seul dont le prénom ne se rapporte à aucune couleur quand les autres se sont mis à s’appeler par leur couleur – Rouge, Bleu, Blanche et Noire. Celui qui se considère comme un être approximatif, exempt de signe particulier, de talent, de passion quand les autres excellent en sport ou à l’école.

Accomplissement

Pour ce personnage « moyen en tout », pour ce garçon contemplatif, débutera alors le voyage introspectif d’une vie, au gré d’une rencontre amoureuse enfin d’importance. Parti sur les traces de son passé, décidé à affronter une vérité qu’il fuyait parce qu’elle lui semblait forcément insoutenable, Tsukuru Tazaki va longtemps léviter avant de trouver ses points d’ancrage, ceux qui feront de lui un homme. En chemin, son auteur distillera avec magie et poésie, comme à son habitude, un certain malaise existentiel, des questions d’orientation sexuelle, des dédoublements de personnalité, de la mélancolie, de la gravité aussi. Et le dénouement de se faire attendre, comme au cours du plus machiavélique des thrillers. En attendant – espérons-le – la prochaine traduction du dernier ouvrage de Haruki Murakami, un recueil de six nouvelles paru au Japon en avril 2014 et intitulé Les hommes qui n’ont pas de femme, il n’est pas trop tard pour se jeter sur L’Incolore Tsukuru Tazaki. Et faire connaissance avec – espérons-le encore – un futur prix Nobel.


L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage
Haruki Murakami,
Ed. Belfond,
384 p., 23 €.
Last modified onmercredi, 01 avril 2015 11:29 Read 1439 times
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