Dolce agonia

Chroniques
Ecriture simple et suave, écriture de l'esprit, tu rentres dans la classe creuse d'une Amérique déphasée, tu brises les myrtes, tu concasses les mythes dénudés. Pour nous rendre nus. Parce qu'il n'y a pas d'existence sans travers, parce qu'il n'y a pas d'enfance sans ambages, parce qu'il n'y a pas de vie qui ne succombe à l'appel macabre.

Nancy Huston est l'écriture de l'Esprit.

Une réunion. Thanksgiving. De la neige, blanche. Un enfant qui arrive, un Dieu qui regarde. Et des gens qui parlent et qui parlent, abordant sujets désuets sur sujets désuets, n'en pensant pas moins, bornés qu'ils sont par la turpitude de ce qui fait mal et déchire. Le malheur frappe à la porte des gens qui vieillissent et qui prennent le temps de se retourner sur leurs erreurs. Alors vous parlez d'une vie... voyez-y plutôt l'essence d'une agonie douce où la vie, ce mince fil ténu qui rattache l'homme à l'illusion de son monde, ne tient qu'à une farandole de désagréments triviaux.

Et dire que Nancy Huston raconte tout cela avec grâce et ferveur. Un détail pourtant : Nancy Huston tombe (trop) facilement dans l'abîme du malheur obsessif. Alors caricature bien sûr, mais l'intention peut être préjudiciable au récit. Jugeons un peu du malheur porté par le personnage de Chloé : une femme enfant hermaphrodite abandonnée par ses parents, fugueuse à 14 ans, cocaïnomane à 15 ans, prostituée à 16, orpheline de son frère (avec lequel elle commettra l'inceste) à 17 ans, recueillie à l'orée de ces vingt ans avant d'enfanter quelques mois plus tard un enfant qu'elle abandonnera à lui-même le jour de son suicide, quelques jours avant son trentième anniversaire : ne serait ce pas un poil trop pour une seule et même personne ?

Ne soyons pas dupe : la tragédie tient le lecteur !

L'intention est quoiqu'il en soit bonne : Nancy Huston fait admirablement ressentir le poids de l'âge, les frustrations dont il regorge ; le tout enrobé dans une critique en demie teinte de la "bonne société" américaine, prêt à tout pour conserver intacte les apparences sans lendemains, et déférer à la vie la banalité qu'elle requiert.

Douce agonie du temps qui n'a pas de prise, de l'image qui s'effrite, des espoirs qui se tarissent, sur un mode majeur avec des larmes et des rires, avec des fièvres sexuelles et des mensonges éhontés.

Un nouveau chapitre vital qu'il faut avoir lu puisque, comme il se doit, et à défaut d'originalité, Nancy Huston doit être considérée comme un des écrivains majeurs de notre temps.

Jean-Baptiste Vallet

Dolce agonia
Nancy Huston
Ed. Actes Sud
500 p / 21 €
ISBN: 2742731679
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:39 Read 1191 times

More in this category:

« Double Coeur Balades irlandaises »