Bord de mer

Chroniques
C'est court c'est criant c'est en un souffle et en une traite que ça se lit.

C'est une femme sans nom, sans âge et sans autre visage que celui que dessinent ses gencives trouées. Elle n'ose plus vraiment rire ou chanter. Parler ? Mais en dépit des assistantes sociales, qui ont la grande bonté de ne pas la laisser sans famille, elle ose emmener ses deux bambins, 4 et 9 ans, voir la mer. Avant que. Avant que quoi ? On sent l'immanence d'un grand vide au travers de ceux qui assaillent cette femme trop régulièrement, et qui la précipitent dans des profondeurs probablement terrifiantes pour ses deux témoins impuissants.

Donc on ne sait pas vraiment qui elle est. Démunie, ça oui c'est sûr, cinquante-deux francs trente-cinq constituent le fond de ses poches trouées. Mais de l'amour, elle en a. Elle en déborde. Elle est débordée. Peut-être tente-t-elle de retrouver une quelconque amarre dans ce périple incertain. Bord de mer, résolution ? Repartir avec un peu d'espoir ? Est-ce que c'est ça, la clé de l'histoire ? Car le trio est parti sous la pluie, destination inconnue ou presque, hôtel crasseux, fête forraine, tout est bon pour oublier la détresse de cette mère qui galère et culpabilise de ne pouvoir ni savoir offrir mieux.

C'est sans grande innovation mais ça a le mérite d'étonner dans la linéarité, ce qui n'est pas courant. Elle n'est pas junkie, et semble pourtant sous l'emprise quasi permanente de quelque drogue. Elle n'est pas normale, mais n'a d'illusion sur rien. Un trop de lucidité affolant ? La plume de Véronique Olmi est rude, ses jets d'encre révoltés mais soumis nous plongent dans un univers lugubrement poétique, puis nous laissent quartier libre quant à son interprétation. Et invitent à croire que la suite de ses écrits pourrait se révéler plus qu'intéressante.

On sent la dramaturge qui met en scène son tout premier roman. L'importance des décors. Des dialogues. Des soliloques, surtout. Cette histoire est avant tout un soliloque un peu désespéré de se contempler dans le miroir d'une mer trop terne. Se referme comme une huître malgré l'entrain des deux enfants qui attendent, à cause de ces deux enfants qui attendent peut-être trop.

Je voulais retrouver la nuit d'avant, celle sans rêve et sans insomnie, celle qui me détachait de moi, je voulais retrouver ce trou sans menace au fond duquel j'étais tombée mais je l'avais perdu pour de bon. (…) et mon sommeil est un couteau qui cisaille les fils (lesquels ?) auxquels je me raccroche en plein jour. Je suis lâchée. Larguée. (…) J'entendais encore les garçons, je me suis accrochée à leurs voix, il fallait me lever vers elles, leur répondre.

La fin ? On se dit, non elle va pas le faire, non... Elle le fait, cash, elle en arrive exactement là où on savait qu'elle viendrait sans trop y croire. C'était du trop facile, elle va pas tomber dans le piège… elle y tombe, mais avec une emphase théâtralesque et presque virtuose qui nous tire quand même la larme de l'œil. Elle sait tirer sur la corde pour faire tomber le rideau. C'est bien, cette gradation de tension pour en arriver à l'apothéose de la fin, mais attention au misérabilisme qui frôle l'exaspérant lorsqu'on est pas d'humeur suffisamment tristounette pour accrocher. On vous laisse découvrir l'issue de ce roman qui mérite un bon coup d'œil.



Jessica Nelson

Bord de mer
Véronique Olmi
Ed. Actes Sud
120 p / 12 €
ISBN: 2742732497
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:43 Read 2092 times

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