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Moi, Sporus, pr�tre et putain

 Moi, Sporus, pr�tre et putain
Cristina Rodriguez
Calmann-L�vy
Prix éditeur
16.77 francs
300 pages
© Calmann-L�vy , 2001

"Le banquet"

" Lorsque j'arrivai, en liti�re s'il vous pla�t, au palais de N�ron, les convives, pr�s de deux cents, �taient d�j� attabl�s, et passablement so�ls pour la plupart.
La salle � manger �tait titanesque et le d�me du plafond, orn� d'�toiles et de centaines de personnages, tournait continuellement sur lui-m�me. A force de le fixer, on ne savait plus si c'�tait le plafond qui effectuait cette continuelle rotation ou la salle � manger elle-m�me.
Je m'aper�us � peine que S�rus m'avait doucement install� sur un lit, pr�s de N�ron, car j'�tais incapable de d�tourner mon regard du prodige.
_ C'est un syst�me hydraulique qui le fait tourner ainsi, m'informa P�trone.
Je tressaillis et regardai enfin ceux qui m'entouraient. J'�tais install� entre P�trone et P�ris, face � N�ron, et ce dernier souriait, enchant� de mon �bahissement.
_ Merveilleuse prouesse, n'est-ce pas ? fit-il. L'un des bijoux de cette maison !
Ses gestes �taient h�sitants, sa tunique �tait tach�e de vin et sa couronne de fleurs pendait de guingois. Il �tait so�l comme une barrique.
_ La surprise �tait de taille, C�sar, fis-je timidement.
N�ron s'agita alors, en poussant sur ses avant-bras. J'eus l'impression de voir un porc qui essaye de se redresser sur ses pattes arri�re.
_ La surprise ! s'�cria-t-il, la bouche pleine et les l�vres grasses. Mais oui ! (Il tapa violemment dans ses mains, manquant de peu de tomber.) Tigellin ! Tigellin ! Apporte la surprise de mon adorable Sporus ! (Il se tourna vers moi, hyst�rique.) Tu vas l'adorer, je te le garantis !
L'homme qui r�pondait au nom de Tigellin, un grand �chalas au visage en lame de couteau, s'approcha de moi, suivi par le regard curieux des convives. Il tenait un panier � bout de bras. Je me tournai vers P�trone, qui secoua tristement la t�te en soupirant.
_ Ouvre-le ! cria N�ron, fou de joie. C'est mon cadeau de bienvenue ! Voyez ce qu'il en co�te de s'en prendre � mes amis ! hurla-t-il � la cantonade.
Tigellin poussa le panier vers moi, un sourire rapace sur ses l�vres fines, et P�trone se d�tourna. Je devinai alors ce que contenait le panier : une t�te.
_ Ouvre-le ! rench�rit Pythagoras. Les espions de Tigellin ont eu un mal de chien � lui mettre la main dessus !
Je tendis une main tremblante et sentis la naus�e me soulever le ventre.
_ Il ne te mordra plus, susurra Tigellin, se d�lectant de ma frayeur.
Je posai les doigts sur l'arceau du couvercle, mais n'eus pas la force de le soulever. J'avais beau d�tester le Gaulois qui m'avait jet� en p�ture � ses clients, je n'avais aucune envie que son visage me poursuive dans mes cauchemars. Le destin m'avait au moins �pargn� le d�sagr�ment de les voir faire, aveugl� que j'�tais, lorsqu'ils s'�taient vautr�s sur moi. Tigellin posa sa main sur la mienne avec une telle violence que je poussai un cri. Il referma ses doigts sur les miens, ses yeux noirs clou�s � mes pupilles, pour m'obliger � tirer sur le couvercle, mais je r�sistai. Je ne voulais pas ouvrir ce maudit panier.
_ On ne refuse pas un cadeau de C�sar, murmura-t-il � mon oreille sans se d�partir de son horrible sourire. Et on ne me refuse pas un cadeau que j'ai pass� des heures � chercher.
Tant de menaces dans sa voix, tant de haine, mais tant de plaisir aussi� Cet homme m'effrayait plus s�rement que la t�te que contenait le panier. Avec un cri, je me d�gageai de son �treinte et me recroquevillai aussi loin de lui que possible, mais, ce faisant, le panier chut et la t�te tomba au milieu des lits avec un �trange bruit mat, pour rouler pr�s de la petite table ronde autour de laquelle les proches de l'empereur �taient install�s. Une femme cria et l'horrible visage me fixa entre ses paupi�res concaves et flasques, qui n'avaient plus de globes oculaires pour les bouffir. Il me tirait une langue bleu�tre, qui saillait comme un serpent malade entre les l�vres exsangues. La colonne vert�brale et les art�res, se vidant sous le choc du reste de sang et de moelle �pini�re qu'elles contenaient encore, avaient laiss� une tra�n�e rouge�tre et gluante sur le marbre. Sans doute s'y �tait-on pris � plusieurs reprises pour trancher le cou, car les chairs s'y effilochaient en longs filaments visqueux, curieux entrelacements de nerfs, de muscles et de veines. Et je n'ose parler de l'odeur, qui rappelait celle, �coeurante, du sang frais et de la viande que l'on vient d'�quarrir. Je poussai un tel hurlement que la salle enti�re se figea.
_ Non !
Mon c�ur avait cess� de battre. La t�te �tait celle de Florus."

Cristina Rodriguez



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