#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Rencontre avec Philippe Di Folco


D'habitude on termine les interviews par cette question : que pr�parez-vous pour la suite ? Quels sont vos projets litt�raires en cours ou futurs ? Je vous la pose d�s maintenant.

Pour 2003, un livre � romanesque �, un gros machin, tr�s travaill�. Pardonnez-moi de ne pas vous r�v�ler le sujet� Je crois que je tiens l� un truc original tant au niveau du traitement que du fond. Il me faut du temps. Il m�en reste la moiti� � �crire. Je crains de n�avoir pas le temps ou au contraire, de ne faire plus que �a.
En tous les cas, pas la suite de My Love : du genre � que sont mes amours devenus � !

Vos deux ouvrages publi�s, Citizen Data et My love : en l'espace de quoi, � peine quelques mois ? Vous souhaitez rivaliser avec Patrick Besson ? Vous savez probablement aussi qu'on a compar� My Love et 28 rue Aristide Briant... Comparaison justifi�e ? Appr�ci�e par vous ?

My Love et Citizen ont �t� con�u sur deux-trois ans. J�ai beaucoup aim� le de Besson m�me si je n�appr�cie pas toujours les formules pol�miques � l�emporte pi�ce de cet auteur prolixe. On vient de la banlieue, de parents press�s de s�enrichir. Y�a des sc�nes mythologiques communes mais �a s�arr�te l�. Le Plateau t�l�, son recueil de chroniques t�l�visuelles du Fig Mag, communiquait aussi une bonne �nergie, les m�taphores y frisent le g�nie. En g�n�ral, je n�aime pas les comparaisons. Ne me comparez jamais � Delerm, sinon il vous en cuira mademoiselle ! (rires)

Promis. Nous avons beaucoup aim� My Love Supreme. Pouvez-vous parler de sa gen�se ?

Je vous remercie de votre soutien. C�est amusant : My Love exerce une sorte de charme post-lecture tr�s �trange. Beaucoup de gens l�ont d�vor� (c�est un livre court) et me rappellent seulement aujourd�hui, � la rentr�e, pour me citer des passages que l�actualit� r�v�le, ou que simplement, leur affaires priv�es mettent en lumi�re ou encore parce que cette rentr�e est tr�s pauvre en bons petits livres. C�est peut-�tre un roman dogma, du moins, c�est une fausse autobiographie mais avec des gens qui � auraient exist�s dans la vraie vie �. Des gens vrais aussi, que j�ai cherch� comme beaucoup de romancier sur le tard (j�avais 30 ans pass� quand j�ai commenc� ce livre) � faire le point sur le pass�, l�enfance, l�adolescence, les premiers jobs, etc. Je suis n� au moment des 403 et aujourd�hui on a des 806, c�est dire !

Quelle place pour ce roman dans votre �uvre � � venir � ?

Les objets prennent, � force de banalit�s, une dimension sur�elle dans mon texte (alors que la fiction reste toujours en de�a du R�el) car je crois que nous n�arrivons pas � �chapper au roman de Perec Les Choses paru en 1965. Pas plus moi que Houellebecq. Au contraire de ce dernier, je crois � de nouvelles formes d�expression litt�raires � venir pour exprimer � ce qui ne peut encore �tre dit �, car le monde tel qu�il se con�oit, tel qu�il devient, se doit d��tre interpr�t� par, entre autre, le romancier. On ne devine rien ou pas vraiment. On voit. On voit des choses dans le noir. Ce pourrait �tre �a une � �uvre � : mais ce terme ronflant et d�suet est � chier : on �crit, on fait, on agit en �tant lu, un point c�est tout.

Vous avez suscit� beaucoup d'�motion avec ce livre. Comment envisagiez-vous les r�actions du public avant la parution ? Des critiques litt�raires sur My love vous ont-elles d��u par leur manque d'enthousiasme, ou leur manque de compr�hension du texte ?

Encore une fois, ma surprise vient des r�actions d�cant�es, comme � apr�s la bataille �. Je n�ai pas re�u de courrier. Ni de lettre de Nadia ou des autres. Beigbeder a �t� sublime et tr�s fin. J�ai commenc� � comprendre qu�il n��tait pas l��tre superficiel dont beaucoup parlent, en lisant cette critique parue dans un magazine que je ne lis jamais. Sinon pas de lettres de
lecteurs� Quelle d�ception ! Franchement, si je dois justifier l��criture d�un tel livre c�est pour dire que l�un de mes buts, et ce depuis tr�s longtemps, c��tait de suppl�er par l��criture � ma timidit� maladive, � mes d�fauts d�expression, � un corps que je sens mal � l�aise dans le monde, avec le monde�

Tendre un objet livre aux mains des autres, c�est leur demander un peu d�attention, d�amour aussi. Mais l� je me fais des illusions� En fait, je suis comme beaucoup un �tre inconsolable (� qu�est-ce qui a bien pu se passer pour que j�en arrive l� ? � est une question sans r�ponse unique mais bien le � d�but de tout �, d�un entretien infini entre le monde et moi) et bien trop sensible pour la soci�t� d�aujourd�hui. Demain, peut-�tre, on nous parquera, avec un �criteau : � Attention, ne pas fixer dans les yeux, danger compassionnel �. Mais non, je blague : on nous dira juste de fermer nos gueules. Cependant, le roman, s�il est un protocole compassionnel est aussi un formidable outil de vengeance : on peut, vingt, quinze ans apr�s, lorsqu�il y a prescription, s�amuser � � r�gler ses comptes �. D�couvrir alors que le hasard s�amusait de
vous. Que tout est question, souvent, d�amiti�, c�est � dire de rencontres et de bifurcations, de regrets et de r�sistance.

Vos deux livres n'ont rien � voir. Souhaitiez-vous surprendre le public, montrer que vous ma�trisez aussi bien les deux genres ? Pouvez-vous expliquer leurs sources, et leur ordre de parution ? Quel est celui qui vous a donn� le plus de fil � retordre ? Celui que vous trouvez le plus abouti et pourquoi ?

Je ne suis pas s�r que les deux livres n�aient rien � voir : My Love et Citizen portent tous deux un titre lisible en anglais et l�amour y est tr�s important : dans mon essai, je reprends la notion de � philia � ch�re � Aristote et Epicure. On m�a reproch� cette incise. Il ne s�agissait pas d�une incise d�ailleurs, mais d�un prolongement logique � ce qui arrive aujourd�hui que les � jeux sont faits � : la r�partition des richesses, du fait de la non violence et du politiquement correct demeure immuable, le mod�le d�mocratique am�ricain triomphe, la monde est enrob� d�une couche logicielle prot�geant les donn�es du savoir et auxquelles n�auront acc�s que les plus riches ou les plus document�s, bref, m�me le sexe et l�amour sont merchandis�s. Avec tout �a on oublie d��tre ensemble. Le citoyen c�est celui qui accepte de vivre dans la cit� en bon p�re de famille et qui garde possible une certaine id�e du bonheur. Tout �a doit bien faire rire maintenant, non ? Surtout que Citizen Data poss�de 11 coquilles ! M�me le roman est risible, je veux dire sous ses aspects d�risoires et ses maladresses du genre � Attendez lecteurs, je profite du livre pour lancer un appel� �. Aucun de ces deux
textes n�est parfaitement abouti. Mais il fallait les offrir � lire. Sinon, en tant que journaliste, �a passerait pour de l�orgueil mal plac� ou de la mythomanie : � C�est trop bon, je le garde pour moi, ah, si vous saviez, je suis en train de vous �crire un truc merveilleux en ce moment � alors que, d�s que �a para�t, c�est le temps des �preuves. Il faut se montrer � la hauteur. Quitte � les r��crire plus tard. Rien n�est jamais fig�, jamais. Chez moi , un exemplaire de My Love est recouvert d�annotations : c�est � My Love supreme 2 � en quelque sorte, ou une
version remani�e pour sa pocketisation en 2002.

Quel est votre passage pr�f�r� dans My love supreme ? Doutez-vous vraiment de votre existence, de notre existence � tous (12 documents...). Quelle est selon vous la meilleure
fa�on d'exister, de s'ancrer dans le r�el, de se persuader de sa propre utilit� ?


Mon passage d��lection est celui qui s�intitule � Le Culte est un grand secret (et r�ciproquement ) �. Commenc� en 1990, abandonn�, retrouv� dans une chemise en 1996 et puis zou ! le roman est n� � partir de cette � nouvelle � qui s�inspire � la fois de James et de Cortazar. Je me suis servi de la trame triangulaire, Fati, Francis et un narrateur. L�id�e assez proche d�un Danilo Kis ou de la litt�rature argentine, comme quoi, le narrateur en vient � douter de son existence, m�est venu tr�s t�t, en 1998, quand j�ai commenc� � multipli� les � documents �. Il existe d�ailleurs de nombreux docs in�dits. Je devrai monter un site MyLoveSupreme.difolco et proposer des photos, des in�dits, des cadeaux� Bref, je devrais faire en sorte de garder des traces, des preuves que tout cela a bien eu lieu. Vous savez, j�ai un �norme complexe d�immanence : je ne vis jamais l�instant comme donn�, offert, extatiquement mais plut�t r�trospectivement. D�o� les regrets. Mais le regret �tait l�une des formes artistiques les plus belles du si�cle classique, le XVIIIe, un si�cle o� vous et moi, aurions pu vivre. Vous auriez, ch�re Jessica, ouvert un salon et auriez eu plus de pouvoir que les ministres du roi. Et surtout, au roturier que je suis, vous auriez donn� sa chance.

Exister, c'est aussi manifester un engagement... Peut-�tre que le lien entre My love et Citizen Data n'est pas si absent, finalement... Qu'attendez-vous comme r�action des lecteurs de Citizen Data ? Comme action ?

Vous voyez, on y vient ! L�engagement ! Certains passages de My Love soul�ve une probl�matique de � classe sociale � typiquement marxiste. Le narrateur regrette sa s�paration d�avec ses meilleurs amis que le � syst�me scolaire s�lectif � lui arrache. On vit tous �a ! Ainsi vous, vous tombez amoureuse du fils de votre concierge. Avec les ann�es, vous �pousez le fils de l�actionnaire principal de papa. Et voil� ! Quant au lecteur, je ne sais pas. L�actualit� peut tout bousculer. Du jour au lendemain. Et encore, il faut pouvoir se r�veiller du r�ve t�l�visuel. On se dit � C�est pas vrai, dites moi que je r�ve, mon dieu, O mon dieu ! �. J�esp�re que mes textes apportent ce genre de remarques effar�es aux lecteurs qui sont surtout des lectrices d�ailleurs.

Vous conformez-vous aux pr�conisations de Citizen Data ?

Je fais du v�lo, je n�ai pas la t�l�, je minimise mes achats par carte bancaire, je n�utilise pas Internet chez moi : le foyer doit �tre un sanctuaire. Ne viens pas chez moi qui veut. C�est comme �a : j�ai besoin d�une �le, d�un lieu secret o�, je crois, je pourrais �crire mieux. J�habite un vieil immeuble. On entends tout, les gens se chient sur les uns sur les autres, certains repas du soirs, on dirait un coup de feu dans une brasserie et vers minuit, apr�s le film, toutes les toilettes se transforme en Niagara Falls puis c�est une immense partouze � tous les �tages. Je n�en peux plus. Je souffre du bruits des autres. Alors que j�aime les autres. C�est � �a que j�aurai aim� pouvoir r�pondre : comment se comporter en citoyen qui agit de fa�on �thique quand bien m�me on a envie de tuer tout le monde ?

L'oeil d'un �crivain qui se r�volte contre la tyrannie capitaliste et les int�r�ts des firmes multinationales, sur les r�cents �v�nements aux USA ?

Je crois avoir �crit dans Citizen que je juge n�cessaire � une certaine forme de violence � :
attention, je ne justifie en rien la violence terroriste, le crime organis�, etc. Tout devient � la
fois plus simple et plus compliqu� : dans un monde enferm� dans ses propres contradictions (� Nous devons imposer la d�mocratie � dit Colin Powell et en m�me temps, �craser les formes politiques diff�rentes, autres, parce qu�elles sont � autres � justement), dans un monde o� la consommation devient schizophr�nique (plus je consomme, plus j�appauvris le monde, plus j�appauvris le monde moins je me donne de chance de survivre donc de devenir sage), je ne suis pas persuad� que la NON violence soit la bonne r�ponse. De m�me que la r�ponse-napalm qui est celle de l�Empire am�ricain, univoque et manich�enne, � l�image de la Sainte Inquisition, n�est pas du tout la r�ponse adapt�e aux gens du Sud que l�on m�prise depuis des si�cles. Vous saviez que Manhattan est construite sur un ancien cimeti�re indien ? Un �tat qui b�tit son empire sur un g�nocide et la mis en esclavage d�un peuple ne peut pr�tendre diriger la plan�te en toute impunit�. D�autres heurts viendront. Nous devons pr�venir David ET Goliath et non pas David contre Goliath. Tout est dans la bijection.

En tant que critique litt�raire, quels sont les ouvrages que vous recommandez pour cette rentr�e ?

Je recommande Val�rie Mr�jen, Chlo� Delaume, Agn�s Clerc, Elisabeth Roudinesco� que des filles mais je ne suis pas critique, seulement �un � chroniqueur allemand �.

Quels seront les trends, tendances litt�raires de 2002 ? Quel a �t� l'article �crit par vous le plus �logieux ?

Je vois des livres catastrophistes, dramatiques, explosifs� Mon article le plus �logieux a �t� sur Manuel Joseph, le po�te le plus radicalement neuf et signifiant de ces derni�res ann�es, dans le monde de surcro�t.

En deux mots, votre job chez Manuscrit. Ce que vous en attendez, sur le plan professionnel et personnel. Ce qu'il y a de novateur dans cette aventure dans laquelle vous vous lancez.

Manuscrit n�est pas encore un �diteur � part enti�re mais le deviendra bient�t. Son invention : le Grand lectorat. Je suis �diteur depuis 1991. C�est mon m�tier de base (l� il y a 11 mots !). Je compte environ 140 livres que j�ai �dit�. Ce qui m�int�resse maintenant c�est de mettre au service de tous les auteurs un outil Internet puissant, et un lectorat original et professionnel. Manuscrit.com y parvient.

Qui et que seriez-vous, quelle serait votre vie si vous pouviez tout changer d'un coup de plume ? Comment vous voyez-vous dans dix ans, toujours impliqu� dans mille et un projets ?

La seule vie dont j�ai toujours r�v� c�est celle d�un arch�ologue. Mais il reste tr�s peu de choses � d�couvrir vraiment. Ecrivain c�est pas mal non plus quand on cherche � l�or du temps � ou de nouvelles formes litt�raires.
Dans dix ans� Palmolive bien s�r ! Dis donc, vous travailliez pas dans la pub vous ?

Propos recueillis par J. L. N.


 
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