#108 - Du 30 avril au 21 mai 2008

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Troisi�me livre en trois ans. Camille de Peretti trace un sillage soign� dans le flot de la litt�rature fran�aise contemporaine, sans oublier ce qu�elle doit � ses p�res. Dans Nous vieillirons ensemble , elle jette un regard � la fois tendre et cruel sur le petit monde des maisons de retraite. Le tout sous l��gide de Perec. Rencontre.

Apr�s Thornytorinx et Nous sommes cruels, deux ouvrages qui mettent en sc�ne des personnages �voluant dans la p�riode adolescente, vous vous confrontez � l�univers des personnes plus �g�es dans Nous vieillirons ensemble. Pourquoi un tel choix ?

Pour des raisons tr�s simples : ma m�re est infirmi�re, elle a toujours travaill� dans des maisons de retraite ou des cliniques d�Alzheimer. Ainsi que mon beau-p�re, qui est kin�. On m�a emmen�e dans ces lieux, depuis toute petite. C�est un univers qui m�est tr�s familier. Je me sentais donc � l�aise pour en parler. En effet, jusqu�� pr�sent, j�ai toujours parl� de choses assez autobiographiques.
Le personnage de Nini, � qui est d�di� ce livre, existe vraiment. Ce n�est pas une vraie grand-m�re de sang mais une fausse grand-m�re de qui j��tais tr�s proche. Elle �tait maniaco-d�pressive et a fini ses jours en maison de retraite. J�allais la voir et je lui avais promis d��crire un livre sur sa vie. C��tait l��poque o� j��crivais Nous sommes cruels et je savais que le livre ne lui serait pas uniquement consacr� car j��tais fascin�e par toute cette atmosph�re de fin de vie. Le sujet de ce livre est donc venu assez naturellement.

Le parall�lisme des titres Nous sommes cruels , et Nous ne vieillirons pas ensemble instaure comme un �cho entre ces deux livres. Peuvent-ils �tre lus ou per�us comme un diptyque qui se r�pond � travers les �ges ?

Pour �tre honn�te, les titres ont �t� choisis par mon �diteur, qui a en effet jou� sur ce parall�lisme. J�en suis tr�s contente, mais ce n�est pas intentionnel ou calcul� de ma part. Cela s�est m�me d�cid� au tout dernier moment.

En exergue, vous citez Perec comme un mod�le dans l�exercice de la contrainte en litt�rature. Est-ce le choix du sujet ou cette volont� de vous inspirer de La vie mode d�emploi qui a �t� le plus moteur pour vous?

Pourquoi Perec ? Parce que je suis tr�s jeune et pas encore suffisamment exp�riment�e pour �tre un �crivain � part enti�re. Je pense que, comme le disait Proust, lorsque l�on �crit des livres, on lit des livres. Quand on lit beaucoup, comme je le fais, cinq � six heures chaque jour, il y a un moment o� il est difficile de se d�tacher de ses p�res. La structure emprunt�e � Perec, qui a l�air d��tre tr�s contraignante et compliqu�e (polygraphies, matrices math�matiques) m�a beaucoup aid�. Elle a jou� le r�le de b�quilles. J�avais l�avantage d�en avoir fait l�exp�rience, en tant que lectrice, et de savoir qu�elle fonctionnait. J��tais tr�s heureuse de pouvoir me la r�approprier. Mais je n�ai pas pour autant r��crit La vie mode d�emploi de m�me que je n�ai pas r��crit Les liaisons dangereuses dans Nous sommes cruels. Il s�agit plut�t d�un hommage.

D�autant plus que les r�gles litt�raires, au sens de Perec, produisent certes de la contrainte mais introduisent aussi une dimension plus ludique?
C�est en effet tr�s amusant de prendre les contraintes de quelqu�un d�autre et de s�efforcer de s�y conformer. Dans les tableaux qui figurent � la fin du livre et qui expliquent la fa�on dont j�ai travaill�, se trouvent un certain nombre de mots qui �taient particuli�rement difficiles � placer : des couleurs ou bien des chiffres ne peuvent �tre mentionn�es � tout bout de champ. C��tait � la fois difficile et ludique. Par moments, cela m�a pos� probl�me, tandis qu�� d�autres cela m�a aid� (par exemple quand je me suis vue contrainte d�ins�rer le nom d�un animal de la ferme, j�ai invent� � Le pied de cochon � comme nom de restaurant, ce qui est beaucoup plus �vocateur pour le lecteur). Cela m�a permis d�ins�rer des d�tails plus originaux et plus croustillants.

� Je ne veux pas �tre �crivain, je veux �tre actrice. Jouer. La vie n�a aucun sens. � Cette phrase qui provient de Nous sommes cruels, vous y reconnaissez-vous ?
Je pense que, pendant tr�s longtemps, j�ai r�v� d��tre actrice ; c�est assez banal. Je m�en suis vraiment donn� les moyens (je suis all�e au cours Florent). Et au final, je pense que je suis une tr�s pi�tre actrice. Mais c�est bien de le savoir. Je l�aurais sans doute regrett� toute ma vie si je n�avais pas essay� et rat� les castings les uns apr�s les autres.
Au moment o� j�ai �crit Nous sommes cruels, je savais d�j� que je ne serais pas actrice, mais je me projettais dans la jeune fille que j��tais � 18 ans. C�est assez amusant de jouer avec la m�moire et de se projeter, de s�imaginer ce que l�on pensait il y a des ann�es. Ce travail sur le temps me passionne. Je tiens des journaux intimes depuis longtemps et je leur suis tr�s fid�le. Ainsi, lorsque j��cris un roman sur une p�riode de ma vie, je relis ce que j��crivais dans mes journaux quasiment au jour le jour. Et je suis toujours effar�e par la b�tise de ce que j��crivais, qui n�a rien � voir avec ce dont je croyais me souvenir. La m�moire bouleverse tout. Bizarrement, il y a toujours un d�calage entre l��tat d�esprit pr�sent et ce que tu pensais que tu pensais.
R�cemment, ma m�re a retrouv� une r�daction que j�avais �crite en 6� dans laquelle � la question � Quelle profession r�ver-vous d�exercer plus tard ? � j�ai r�pondu : �crivain. C'est dr�le parce que je ne m'en souvenais pas du tout (j�ai commenc� � �crire mes journaux intimes vers 15 ans ; ce sont donc les seules traces �crites de mes souvenirs). J�avais compl�tement occult� cela.

Quand vous �crivez, avez-vous l�impression d��crire des autobiographies ou des fictions ? Un trait particulier de vos romans tient en effet dans l�utilisation avou�e de ce personnage qui s�appelle Camille, comme vous? Il y a donc une part d�autobiographie assum�e ?
Je consid�re que l�on n��crit que sur ce que l�on est et que l�on ne peut pas mettre autre chose que soi dans ses textes. Certains de mes textes sont plus autobiographiques que d�autres, c�est le cas de Thornytorinx, mais tous le sont plus ou moins.
La pr�sence du personnage de Camille a deux explications. C�est tout d�abord une question de facilit�. Cela me permet d��loigner les reproches ou l�incr�dulit� de certains lecteurs face � tel ou tel sentiment car je peux toujours r�torquer � leur scepticisme que c�est ce que j�ai personnellement �prouv� et qu�il est donc possible qu�une autre personne pense de m�me.
Ensuite, c�est une question d�honn�tet�. Par exemple, dans Nous vieillirons ensemble, je voulais absolument parler de la culpabilit� des enfants qui ne rendent visite que trop irr�guli�rement � leurs parents, les laissent mourir seuls, etc� J�ai rencontr� beaucoup de gens pour �crire ce livre : des directeurs de maisons de retraite, des aides-soignantes, des personnes �g�es�, mais peu de familles car elles ne veulent pas parler. Or, j�avais ce point de vue sur un plan personnel puisque j�ai �t� confront�e � cette situation dans laquelle j�ai abandonn� cette grand-m�re vis-�-vis de qui je me suis sentie coupable. Je peux donc parler de cela, que je consid�re comme l��l�ment le plus dur du livre. Je trouve donc plus honn�te d�appeler mon personnage Camille car si d�autres personnes d�sapprouvent cette id�e de culpabilit�, je l�assume.
Camille m�aide dans mes livres � dire des choses, souvent assez laides, assez crues, que d�autres personnes ne voudraient peut-�tre pas dire, mais que je vis et ne d�sire faire porter � personne d�autre.

� Il faudrait pouvoir �crire un livre en une journ�e qui raconterait une histoire d�une journ�e et qui se lirait en une journ�e. �
Cette phrase qui figure dans Nous sommes cruels semble �trangement annonciatrice de < i> Nous vieillirons ensemble qui raconte une journ�e dans une maison de retraite. Y a-t-il effectivement des fils qui relient vos livres les uns aux autres et annoncent les suivants ?


C�est le r�sultat de mes lectures des Figures de Genette. L�on y trouve l�id�e que la temporalit� , est l�essence m�me du r�cit, que l�on peut superposer des couches et en faire un tout. Dans le domaine de la litt�rature, cette phrase rel�ve de l�irr�alisable. On ne peut imposer un temps de lecture, le lecteur �tant libre de fermer le livre quand bon lui semble, contrairement au cin�ma par exemple. Cette id�e me passionne pourtant. Et, bien que ce soit vou� � l��chec, je cherche � m�en approcher, ce qui a �t� un peu le cas dans celui-ci. Il est aussi vrai que quand j��crivais Nous sommes cruels, je pensais d�j� � ce roman, de m�me qu�en travaillant � celui-ci je savais d�j� quel serait le prochain et quelle forme il prendrait. Cela me rassure d�avoir toujours mon un roman en gestation et me prot�ge de la phase de publication qui peut �tre v�cue comme une d�possession. Souvent, quand je commence � �crire, un roman, il est d�j� enti�rement pr�t, structur� dans ma t�te.

Ce qui est aussi frappant dans vos romans est l�attention accord�e � la parole �crite. Est-ce quelque chose � quoi vous tenez particuli�rement � une �poque o� ce type d��changes tend � dispara�tre, ou du moins � changer de canaux ?
Je ne sais pas si cela dispara�t vraiment mais oui, il y a une �volution. Oui, je suis obs�d�e par l��crit. Je garde tout ce que j��cris, ce que les gens m��crivent�
Certains auteurs, que j�aime beaucoup, ont travaill� sur l�oralit� avec beaucoup de succ�s. Mais en ce qui me concerne, je suis tr�s attach�e � la construction syntaxique des phrases� Des phrases � la ponctuation soign�e, ne permettent pas de transmettre les m�mes choses, les m�mes id�es que les textos. La respiration n�est pas la m�me. D�autant plus que je trouve toujours difficile et d�licat le passage des paragraphes de narration aux dialogues. Souvent, il y a une rupture stylistique et les dialogues sonnent faux. Cela me choque toujours. Je suis impressionn�e par les �crivains qui y parviennent mais je ne m�y confronte pas.

Malgr� la noirceur du propos de ce roman, un �norme sentiment d�amour se d�gage de ce livre, ce sentiment �tant le moteur de l�existence m�me des plus �g�s.
Oui, je tenais absolument � cela. C�est un univers dur, mais que je ne voulais pas rendre larmoyant pour autant. De m�me que je ne souhaitais pas non plus faire un portrait de petites vieilles idylliques. Certains vieux sont m�chants et ce n�est pas un hasard s�ils n�ont pas de visites. Comme dans la vie en g�n�ral. On a beaucoup moins de mal � faire le portrait d�une certaine m�chancet� adulte, alors qu�elle existe aussi chez les personnes plus �g�es. Entre eux aussi ils peuvent �tre vraiment pervers. C�est ce que je souhaitais montrer.

Apr�s ces romans teint�s d�exp�riences personnelles, avez-vous envie de vous orienter un peu plus vers la fiction ?
Je cherche � parler de moins en moins du personnage de Camille. Je m�aper�ois en effet que je n�ai pas tant de choses � raconter sur moi ! Je conserverai les apparitions de Camille comme un clin d��il.
Je vais aussi t�cher de m��loigner un peu plus de la contrainte. Et ceci pas seulement pour satisfaire mon �diteur, qui m�a rappel� que je pourrai pas passer toute la litt�rature en revue, mais aussi parce qu�il va bien falloir me lancer et tenter d�autres choses.
De toute fa�on, tellement de choses ont d�j� �t� faites en mati�re romanesque que, m�me si l�on cherche � inventer de nouvelles formes, on tendra � faire ce qui a d�j� �t� fait, mais � sa mani�re.

Vous dites lire cinq � six heures par jour. Lisez-vous aussi du contemporain ?
J�en lis un peu pendant la promotion du livre parce que je rencontre d�autres auteurs et que j�aime savoir ce qu�ils �crivent. Mais, en temps normal, je lis plut�t des classiques. Je consid�re que le temps trie pour moi et que j�ai encore une foule d�auteurs � d�couvrir.
J�admire les gens qui lisent du contemporain aujourd�hui mais ce n�est pas mon cas. Je n��cris d�ailleurs pas pour passer � la post�rit�, mais parce que j�adore �crire et raconter des histoires, ce qui signifie vouloir s�adresser au plus grand nombre de personnes possible et donc de se faire publier.
J�ai toujours voulu �crire et publier. Je ne voulais pas forc�ment que Thornytorinx soit mon premier roman car il est tr�s autobiographique et rel�ve plus du t�moignage que du roman. Mais des proches l�on lu et m�ont encourag� � le faire. Ce qui a �t� formidable d�une certaine mani�re parce que �a m�a permis de mettre un pied dans le milieu et d�avoir des lecteurs. Il a bien march� et m�a permis d�en �crire d�autres. Si j�arrive � rester sur cette lanc�e et sur ce rythme (un livre par an), j�esp�re pouvoir continuer � me consacrer ainsi � l��criture et ne pas avoir � retourner en banque d�affaires !

Propos recueillis par Laurence Bourgeon


 
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