#108 - Du 30 avril au 21 mai 2008

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Les mots d�visag�s


Antonio Casa Ros a �t� d�figur� dans un accident de voiture, reclus depuis, il �crit sur la normalit�, l'anormalit� et ses cons�quences. Apr�s Littel, pr�sentation du nouveau "monstre" cach� (du latin Monstro, montrer) de Richard Millet. Interview d'un ph�nom�ne litt�raire.

� la lecture du Th�or�me d�Almod�var, on ne peut s�emp�cher de se demander quelle est la part de fiction et celle d�exp�rience personnelle. Mais finalement, peu importe puisque c�est l�objet litt�raire fini, ce qu�il transmet et suscite chez le lecteur qui compte. N�anmoins, le terme roman appos� par l��diteur sur la couverture vous semble-t-il appropri� ou bien pensez-vous qu�il s�agit d�une simple commodit� de classement ?

L�exorcisme n��tant pas un genre litt�raire, je pense que le terme � roman � est parfaitement ad�quat. Si l�exorcisme fonctionne c�est pr�cis�ment gr�ce � la libert� romanesque qui permet de passer d��l�ments autobiographiques � la r�flexion sur la forme et le sans forme, l�espace et la destruction, l�art et les math�matiques, la violence et la passion. Pr�ciser quels sont les �l�ments fictifs et les �l�ments authentiques c�est mettre � plat quelque chose qui a pu atteindre une forme sph�rique gr�ce � la libert� � laquelle j�ai pu acc�der � travers la litt�rature.

Le choix de la forme novatrice que prend votre texte (qui oscille entre le roman et l�autobiographie ou le journal intime tout en empruntant au cin�ma et aux math�matiques) renvoie-t-il � votre questionnement permanent de la normalit� et au refus des cat�gories pr�con�ues et souvent r�ductrice ? Au-del� de la forme, cette id�e court en effet tout au long de votre texte.

J�aime que la forme soit comme un espace capable d�accueillir les com�tes, les trous noirs, les cordes cosmiques et d�entendre leur musique. La normalit� lin�aire ne m�int�resse pas dans la litt�rature. Tous les �crivains que j�admire jouent avec l�infini. L�esprit ne me semble pas avoir �t� dessin� pour suivre un fil qui traverserait l�espace- temps mais au contraire pour capter la multiplicit� et l�harmonie secr�te qui s�en d�gage. Ce qui m��merveille, c�est de voir comment des �l�ments catapult�s dans l�espace romanesque trouvent par eux-m�mes l�accord, la souplesse, le lien et parfois la dissonance avec les autres �l�ments. C�est dans ce sens que j�explore de plus en plus le pr�sent qui me semble ouvrir d�infinies possibilit�s si l�on va jusqu�au bout. Je recherche un pr�sent absolu. Pour moi, le pr�sent, c�est l�espace.

� �tre, c�est �tre per�u � est un concept philosophique sur lequel se sont appuy�s nombre d��crivains et de cin�astes (Beckett, Bu�uel�). Le regard �tant central dans votre roman, cette proposition a-t-elle �t� un moteur pour vous ?

Plus qu�un concept, c�est une r�alit� tangible pour moi. Le plus impressionnant c�est l�esprit de l�observateur qui soudain crie : � Cut ! �. C�est une perception choc qui zappe instantan�ment et qui fait retourner l�observateur au monde banal. La cruaut�. C�est de sentir que quelques secondes de plus, un peu de courage, pourrait faire basculer l�observateur hors de son monde clos et donner � celui qui est per�u la chaleur d�un contact humain. C�est la raison pour laquelle mes nouvelles �crites � Barcelone sont si d�sesp�r�es, je ne m��tais pas encore fait � l�absolue solitude.


Almod�var est votre r�f�rence la plus avou�e, d�autant plus efficace que ce cin�aste est mondialement connu. D�autres artistes, �crivains ou peintres par exemple, ont-ils �t� des sources d�inspiration pour l��criture de ce volume ?

J��volue dans un univers o� les objets croisent sans cesse les �uvres et mon regard passe de l�un � l�autre d�une mani�re continue si bien que je ne vois plus tellement de diff�rence entre une �uvre et un objet. Pere Calders, un immense �crivain catalan encore m�connu en France, � �t� tr�s important pour moi, c�est l�un de ceux qui ont permis � mon esprit d�acc�der � un espace non lin�aire. A l�origine il y a eu Cort�zar, le choc de mes quinze ans, puis Bola�o, Vila-Matas, Yoko Ogawa, Basara et bien d�autres. Juarroz � une place particuli�re car il m�a introduit � la notion d�espace d�une mani�re directe. J�aime la peinture de Barcel�, j�ai un lien profond avec Goya de la p�riode la plus sombre et avec la musique r�p�titive mais les ombres sur les murs, les reflets, les odeurs, toutes les perceptions fugitives sont le mus�e instantan� o� je me prom�ne sans cesse. Mes sens n�ont rien � faire, ils sont libres de tout engagement, ils captent silencieusement la beaut� et l�horreur et d�couvrent dans l�infime le spectacle le plus fascinant.

Ce livre constitue � la fois un �loge de la litt�rature comme moyen de survie et de sauvetage, et un profond hommage du cin�ma de Pedro Almod�var. Avez-vous r�ellement eu l�occasion de le rencontrer ou d��changer avec lui ?

Almod�var est un fantasme joyeux. Je ne l�ai jamais rencontr� mais j�ai trouv� qu�il avait les qualit�s id�ales pour entrer dans une fiction. C�est son regard qui m�a fascin�. J�avais l�impression de l�inviter dans mon roman comme on invite un ami pour partager un repas et refaire le monde en silence.

Le masque confectionn� � votre personnage et qui lui permet de ressortir dans la rue sans �tre scrut� semble avoir une double port�e. S�il le replonge, le temps de ses sorties, dans une certaine normalit�, cet objet renvoie �galement � l�id�e que la soci�t� et les relations sociales constituent une grande mascarade. Est-ce cette id�e qui pousse votre personnage � pr�f�rer choyer son originalit� plut�t que de subir une op�ration ?

Les op�rations sont tr�s douloureuses et modifient votre comportement en profondeur. Passer d�une forme � une absence de forme est un choc sans pr�c�dent. Retrouver le monde, une couche sous-jacente du monde, visible de vous seul est un tr�s long travail. Retrouver la cr�ativit� est un miracle. Changer de forme encore une fois, c�est basculer dans un autre univers et perdre peut-�tre une part du myst�re qui a �t� caress� dans une longue intimit�. Et puis, le silence est infini, la tentation de revenir au bruit me semble de plus en plus incoh�rente.

De l�accident au d�sir ou encore � la pression de la gravit�, le corps est �galement un �l�ment important de votre r�flexion. Cette obligation d�occuper l�espace et de l�apprivoiser semble fondamentale ? Le cerf, qui intervient � plusieurs reprises mais toujours � des tournants de la vie du narrateur, est-il l� pour le rappeler ? Car contrairement � la peinture, la litt�rature n�a qu�un pouvoir d��vocation�

Le corps paradoxalement est ce qui reste lorsque l�une de ses parties est d�truite. Il trouve alors en lui-m�me des ressources insoup�onn�es. Il d�couvre les couches de la r�alit� qui �chappent aux formes, qui sont dissimul�es sous ce que chacun appelle r�alit�. Il devient donc un extraordinaire instrument de survie et sa capacit� � capter le myst�re s�accro�t de jour en jour. Enfin, il n�est plus un objet h�t�roclite isol�, il comprend comment il est connect� � toutes choses, des plus infimes aux plus vastes.
Le cerf, c�est l��l�ment magique, certains ne le voient pas, c�est une sorte de messager du monde sous-jacent.
Pour moi la litt�rature est aussi pr�cise que la peinture. Chacun voit un tableau diff�rent. Chacun lit un autre livre. Chaque �il colore le monde.

Malgr� le jugement cat�gorique et d�sabus� que vous semblez porter sur l��tat de la culture de la curiosit� de notre soci�t�, vous ne semblez pas avoir perdu tout espoir puisque ce th�or�me d�Almod�var ( regarder assez longtemps pour transformer l�horreur en beaut� ) que vous concevez et que vous t�cher d�appliquer � vous-m�me, vous cherchez ouvertement � le transmettre aux autres. Sous des aspects de confession, ce livre aurait-il une ambition didactique ? Est-ce cette invitation � porter un autre regard sur le monde que vous chercherez � transmettre dans vos prochains romans ?

Je tangue entre une vision d�sesp�r�e de notre monde et de folles bouff�es d�espoir qui jaillissent de mon contact avec toutes les formes de beaut�. Je suis assez extr�me dans les deux directions. Les d�sesp�r�s chroniques m�ennuient, les id�alistes m�irritent, alors, entre les deux, il y a une sorte de r�alisme exact et po�tique qui permet d�explorer l�infime et d�y trouver l�espace. Je ne pense pas avoir d�ambition didactique. Poser une perle de beaut� me para�t le seul acte n�cessaire.
Mon prochain roman Chroniques de la derni�re r�volution continue d�explorer comment certaines formes disparaissent pour donner naissance � un espace plus vaste.

Propos recueillis par Laurence Bourgeon


 
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