#108 - Du 30 avril au 21 mai 2008

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Entendez-vous, dans nos campagnes...


Avec Les Derniers Indiens, Marie-H�l�ne Lafon poursuit son chemin original et marqu�, sans se soucier de la tendance. On a �t� s�duit par la v�rit� du propos, la force qui se d�gage de ce r�cit d�une existence apparemment banale dont les
questionnements intimes nous frappent d�autant plus. Rencontre.


C�est votre sixi�me livre, le 4�me roman. On y suit Marie, cinquantenaire qui vieillit dans la maison de famille avec son fr�re cadet, Jean, tous deux c�libataires. Marie occupe son temps � ressasser le pass�, � espionner surtout ses voisins, les Lavigne. Votre �criture, souvent qualifi�e de �pre l�est ici encore, on respire peu dans ce long monologue qui dit la solitude, les r�ves envol�s, l�habitude conditionnant la vie. On est frapp� par la v�rit� des gestes du quotidien (la c�r�monie du courrier, la lecture du journal) : on a l�impression de voir ses propres grands parents ! Vous observez beaucoup autour de vous ? On vous sent tr�s ancr�e dans le r�el�

Je fais ventre de tout ; je ne saurais mieux le dire, m�me si la formule est un peu radicale. Et ce depuis l�enfance ; en ce sens que, bien qu�ayant commenc� � �crire tard, � 34 ans, j�ai toujours beaucoup observ�, pour ne pas dire, espionn�, et engrang�, autour de
moi, les choses et les gens, les lieux, les sensations, les odeurs ; Fran�ois Mauriac, dans un essai jadis publi� chez � Buchet Chastel ( !!!) parle tr�s bien du romancier qui fut � un enfant espion, un tra�tre, inconscient de sa tra�trise �. Tout ce fatras du vivant en train d�advenir s�est inscrit en moi, � mon insu, pendant des ann�es et des ann�es, et, quand je travaille, � l��tabli, j�ai l�impression d��tre � la t�te d�un tr�sor d�risoire et colossal ; je
veux dire par l� que j�ai des r�serves pour mille ans, r�serves constamment renouvel�es de surcro�t par le seul fait d��tre, chaque jour, plant�e dans le monde, en proie � lui. Quant � � l�ancrage dans le r�el �, il est �vident ; je voudrais � rentrer dans les choses �, c�est l�exergue d�Organes, ou je cite le photographe italien Mario Giacomelli ; en d�autres termes, je voudrais que le monde dont je parle s�incarne dans mes livres le plus intens�ment possible, devienne palpable, charnel, existe au point que, me lisant, on ait la sensation physique de s�y enfoncer. Tout �a est une question de corps.

Le roman fonctionne sur plusieurs niveaux : par exemple, l�opposition sociale entre la famille Santoire, des paysans propri�taires (un statut primordial pour la m�re d�sormais
d�c�d�e de Marie, qui le faisait sentir � tous) et les Lavigne, simples ouvriers agricoles qui � n�avaient pas les mani�res � mais qui sont en passe de tout poss�der. Dans Le Soir du chien, votre premier livre publi�, votre h�ro�ne n��tait pas accept�e parce qu�elle n��tait pas n�e l� o� elle vivait. De telles fissures sociales sont-elles si vivaces encore dans nos campagnes ? On a parfois l�impression d��tre dans un pass� qu�on croyait r�volu�
Je suis n�e en 1962 dans le Cantal et j�ai v�cu jusqu�� l��ge de dix-huit ans dans ce monde paysan dont je parle dans tous mes livres ( � l�exception de Mo m�me si Mo, � mon sens, est lui aussi, � sa fa�on, un Indien ) ;circonstance aggravante, ou ext�nuante, c�est comme on veut, j�ai �t� pensionnaire sept ans, entre 11 et 18 ans, � Saint-Flour dans une �cole religieuse, et j�ai ador� �a, cette semi-claustration, je sortais tous les week-ends, dans le cocon des hauts-murs, out of time ; et quand je suis arriv�e � Paris, en 1980, pour y �tudier les lettres classiques en Sorbonne, j�ai eu tr�s nettement la sensation d�une r�volution dans l�espace, �videmment, mais aussi dans le temps. L�espace-temps o� j�avais grandi, et auquel j��tais et suis toujours extr�mement attach�e, li�e, cet espace-temps donc, malgr� Mai 68, la t�l�vision et les disques des Rolling Stones, �tait une sorte de conservatoire des m�urs, des fa�ons d��tre et de penser ; ce qui, � mon avis, n�a rien de sp�cifique au Cantal mais est le propre de tous les territoires g�ographiquement confin�s, isol�s, enclav�s comme dit l�administration. Je constate d�ailleurs aujourd�hui, et les voisins en sont le signe dans mon roman, que la
modernit� galopante entre sur ces terres, les gagne, pour le meilleur et, parfois, pour le pire ; tout cela est complexe, appelle, exige la nuance, et je ne suis pas sociologue�

Une autre dimension romanesque s�articule autour de ces grands enfants esseul�s, les � derniers indiens � comme vous l��crivez que sont Marie et Jean, tous deux ayant v�cu presque par procuration � c�est du moins ce qu�on ressent - n�glig�s par une m�re qui n�en n�avait que pour Pierre, l�a�n�, disparu trop t�t de maladie, enfant prodigue, seul � contester son autorit�, � s��tre �chapp� de la cage dor�e (m�me s�il est revenu mourir au bercail). Mo, personnage �ponyme d�un de vos romans avait aussi ce rapport difficile avec
sa m�re. Vous donnez rarement une image positive de la relation parent/enfant�
Certes, c�est le moins que l�on puisse dire, et, � mon sens, le sommet dans ce domaine est atteint dans Sur la photo o� les parents n�existent dans le texte que quand l�un
des trois enfants, la s�ur du milieu, meurt�
Il y a cependant une m�re pr�sente et aimante, une m�re qui ne tue pas son enfant � force de vouloir le garder, c�est Th�r�se, la m�re de Laurent dans Le soir du chien, tout de m�me, il faut le dire� Je suis moi-m�me perplexe, et un rien accabl�e, devant cet �tat des lieux catastrophique, ce d�sastre de la filiation. Qu�en dire ? Je ne d�nonce rien, j��cris ce qui me passe par le corps, et je n�ai moi-m�me jamais voulu et pas eu d�enfants. Alors.

Les voisins, qui en l�occurrence vivent vraiment comme une tribu, nombreux, bruyants, brouillons, pas inquiets de leur prog�niture, ont perdu une de leurs filles, l�Alice, la simplette de la famille assassin�e. Un crime non r�solu qui fascine Marie. Cette fascination vient-elle de l�aspect charnel du meurtre � quelque chose qu�elle n�a jamais connu ? De la presque indiff�rence des voisins � ce drame ? D�une simple curiosit� malsaine ?

Il me semble que Marie est au-del� de la curiosit� malsaine ; sa fascination est �videmment d�ordre charnel, et m�me carr�ment sexuel ; la copulation est une boucherie, un sauvage d�membrement, une mise � mort suivie d�autopsie. Toute jouissance est impossible, interdite, inaccessible, dixit la m�re qui chasse les chiens luxurieux ; mais, en m�me temps, l�acte de reproduction est obligatoire pour que la cinqui�me g�n�ration advienne. Comment sortir de l� ? Marie n�en sort pas, elle reste fig�e dans une sid�ration douloureuse. La m�re, d�j�, s��tait sacrifi�e, �pousant, contre tous ses principes, un ouvrier agricole ; Pierre, le seul Santoire, qui ait jamais joui, au Maroc ou dans le lit de sa divorc�e, a �t� puni par o� il avait p�ch�, par le corps, et est revenu mourir dans le giron de la m�re. Disons enfin que la fascination de Marie pour le corps transperc� et supplici� de l�Alice tourne autour du d�sir incestueux ; elle imagine une impossible �treinte entre Pierre et l�Alice, les morts rang�s au cimeti�re ; et l�on sait ce qu�il en est de Jean�

Le lieu, la campagne (le Cantal/ l�Auvergne), est primordial ici, comme � priori dans vos pr�c�dents ouvrages. La nouvelle que vous avez sortie quelque temps avant ce roman, sorte de digression des Derniers Indiens, s�appelle La Maison Santoire. C�est essentiel pour vous l�appartenance, la maison ?

Disons que le lien � un lieu d�origine, une terre, et � une maison premi�re, terre et maison matricielles, � origines du monde � en un sens que Courbet n�e�t pas reni�, les maisons �tant des ventres, est fondamental dans ma vie et mon travail, les deux se nourrissant de
cette tension entre les pays, celui d�ici et celui de l�-bas, le proche et le lointain, la terre et le bitume�. � Ils ont deux pays. C�est possible � sont des derniers mots de la Fleur surnaturelle dans Liturgie�

On avait compar� Organes aux Vies minuscules� de Pierre Michon, un auteur que vous aimez je crois. Il est vrai que vous avez un talent fou pour vous immiscer dans la t�te de vos personnages, leur donner la parole et du coup un corps vraiment palpable, une identit� parfaitement dessin�e : c�est une volont� syst�matique ou cela vient au fil de l��criture ?

Il me semble que tout ce qui pr�c�de montre � quel point je ne suis pas dans la volont�, et encore moins, je l�esp�re, dans le syst�me ; et depuis onze ans que j��cris, maintenant, je ne peux et ne sais rien faire d�autre que tendre � faire exister, du dedans, des corps et des pays, des gens dans des maisons, et des arbres et du vent et des rivi�res froides. Les Vies minuscules de Pierre Michon, ont �t� un �v�nement dans ma vie ; il est le seul �crivain � qui j�ai jamais envoy� un texte, le premier �crit, Liturgie, le
petit, le court du d�but qui donne son titre � mon deuxi�me livre publi�. Il m�a gentiment r�pondu, me disant de travailler, ce que je n�ai pas cess� de faire depuis.

Vous avez choisi comme exergue cette phrase du peintre Rebeyrolle : � Je ne crois pas � l�avant-garde, l�avant-garde c�est la mode. Moi je ne suis rien, je suis mon chemin. � Votre fa�on de consid�rer votre travail d��crivain, creuser son sillon � en l�occurrence original et fort � sans se soucier de ce qui � marche � ?

� Creuser son sillon � est tr�s juste ; moi je dis � labourer le terrain � mais c�est la m�me chose, le m�me champ, dirais-je�Tant que mon �diteur me suit je peux vivre dans ce luxe de ne pas me soucier, dans mon travail d��criture, de l�air du temps. � Out of time �, c�est le titre d�une chanson, d�amour, des Rolling Stones, qui, eux aussi, sont souvent dans mes livres�


Retrouvez Marie-H�l�ne Lafon pour une rencontre le samedi 16 f�vrier � 17h � la librairie MK2 Biblioth�que, 128-162 ave de France, 75013 Paris

Propos recueillis par Ma�a Gabily


 
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