#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Rencontre avec Clara Dupont - Monod


Pourquoi le mythe de Tristan et Yseut ?

" Mes �tudes de litt�rature m'ont fait d�couvrir ce texte du 12�me si�cle que j'ai trouv� sublime et que j'ai eu envie de r�actualiser, sous un �il diff�rent : celui de Marc, personnage oubli� et vraie victime de la l�gende, et peut �tre celui qui a le plus d'intensit� � exprimer au sein d'une passion qui lui a �t� destructrice. Je n'ai rien invent� dans le r�cit puisque j'ai cherch� � �tre la plus fid�le possible au texte original, en mettant en avant les passages qui font sa quintessence : la sc�ne de l'�p�e dans la for�t, la pr�sence du Roi Arthur, le l�preux� L'histoire est simplement transpos�e sur un mode narratif diff�rent et personnalis�.

Votre rapport � Marc ?

J'ai beaucoup d'admiration pour cette figure, que l'on ne conna�t effectivement que comme personnage et pas vraiment en tant que personne v�ritable. Il est ploy� sous le masque qui lui est impos� et cette histoire est en r�alit� beaucoup plus la sienne que celle de l'amour de Tristan et Yseut. L'amour Absolu, c'est lui qui le vit, lui qui n'a pas bu de philtre, qui est pr�t, sous le masque de dignit� qui lui est impos�, � tout donner, tout faire, � ramper plus bas que terre pour dire son amour et �tre aim� en retour. Je ne pas certaine de pouvoir le faire�

Le Roi Marc : est-ce l'histoire d'un masochiste narcissique ?

Il est d'une certaine fa�on le masochiste qui pr�f�re la souffrance � l'oubli et se compla�t dans la sanctification de sa douleur qui lui semble transcender son amour. Son regard est constamment pos� sur lui-m�me ; il vit plus une histoire amoureuse avec lui-m�me qu'avec Yseut. Mais cette attitude est �galement une planche de salut : elle l'emp�che de sombrer tout � fait dans l'amour malheureux pour l'autre ; il se prot�ge et se capitonne du saccage qu'Yseut produit en lui et sur toute son existence. S'il n'avait pas �t� tant recentr� sur son �tre il aurait sombr� beaucoup plus rapidement.

Et son rapport � Yseut, au corps d'Yseut ?

Il est l'objet de ses souffrances : il le poss�de dans la proximit� mais pas dans l'intimit�. Il se heurte � une v�ritable forteresse, � un corps absent qui le laisse seul et d�sempar�, ce corps qui le d�go�te et qu'il livre aux l�preux mais dont il n'est pas repu et qu'il attend toujours avec l'espoir fou qu'il lui appartiendra un jour. Le corps d'Yseut retrace l'histoire m�me du Roi Marc, ce corps qu'il viole, avec le consentement muet d'Yseut, et dont il ne parvient pourtant pas � prendre possession totalement. La possession est superficielle, demeure � fleur de peau, une peau qui l'obs�de. La quasi-omnipr�sence du l�preux marque cette imbrication �troite entre passion et maladie ; ce d�sir qui se transforme en mal rongeant le corps comme l'�me. La passion conduit progressivement Marc � la solitude, � l'enfermement dans la distance du corps de celle qu'il aime, � l'isolement int�rieur comme externe.

Qui est Yseut : jeune fille d�sincarn�e, �pouse froide et royale, amante, m�re ?

Elle incarne toutes les infinies facettes de la femme. Le personnage d'Yseut est fabuleux de modernit�, de complexit�, d'enti�ret� pour l'�poque o� il a �t� d�peint. La trahison m�l�e de fid�lit�, la l�chet� et le mensonge, la sorci�re (dans son parjure public par exemple), l'id�al f�minin� Elle prend peu la parole dans le roman, para�t presque effac�e tant elle est lointaine, mais sa pr�sence est �touffante du silence qu'elle adopte, qui p�se sur tous et sur Marc en particulier. Un silence qui l'encha�ne, et qui, apr�s de brefs sursauts de r�volte contre cette torture, finit par le murer, tant il y est accul�, dans un silence similaire.

Le drame est contenu tout entier dans la l�chet� qu'il se d�couvre ?

Dans la l�gende, Marc est une sorte d'anti-h�ros, manquant d'initiative et de rapidit�. Il est ind�cision, faiblesse, et tiraillement entre vengeance et pardon ; il envie les prouesses d'un Tristan ou Arthur, � qui il se compare immanquablement. Incapable de se positionner, il flotte ; il plante son �p�e, symbole phallique fort, afin d'exprimer la possession, mais ne parvient � aller jusqu'au bout de ses actes et � exprimer sa virilit�. C'est le seul personnage dont l'infortune d�roge � la tradition de la litt�rature courtoise : alors que l'amour adult�rin vit dans le secret, il est ici publiquement expos� pour sa plus grande honte. Cour et Peuple sont t�moins de sa chute et ajoutent � son accablement.

La l�chet� est aussi le fait de Tristan� Pourquoi est-il aussi absent de l'histoire ?

Je n'aime pas beaucoup le personnage de Tristan. Sous des dehors h�ro�ques, il s'av�re un double d�cevant, qui fuit, se marie et fait souffrir une autre Yseut, trahit son p�re en �tant presque capable de le tuer. Il passe l'�preuve de la bravoure sans succ�s, et les deux amants sont particuli�rement pris de culpabilit�, de remords, et de conscience de leur bassesse lorsqu'ils d�couvrent l'�p�e au petit matin, entre eux � qui la vie a �t� �pargn�e par la noblesse de Marc qui les �crase de grandeur.

Le trio form� par Marc, Tristan et Yseut a des relents d'inceste�

L'amour est ici confusion : confusion des r�les, de la parent�, des sentiments. Absence de rationalisation ; les �lans maternels se m�lent � la passion. Yseut est �pouse et enfant, Tristan fils et amant, Marc mari et p�re. Dans son cheminement vers la folie il arrive m�me � Marc d'envisager et fantasmer sur un couple � trois. Son attachement � Tristan est confus, de nature quasi-homosexuelle ; et il vit en r�alit� son amour pour Yseut par procuration, � travers Tristan, auquel il s'identifie en affirmant que celui-ci est son double plus jeune. Encore une fois tout est ramen� � lui, � sa qu�te d'identit� propre qu'il cherche � construire dans le reflet des autres sans se faire effacer.

Et cette qu�te le conduit � la folie.

Bien s�r, mis devant le miroir de ses �checs en tant qu'homme, h�ros, p�re, mari et amant� et dans l'impossibilit� de se trouver, puisqu'il comprend qu'il ne peut vivre � travers d'autres, m�me si ce sont des �tres qu'il ch�rit. La folie devient palpable en lui lors de cette sc�ne o� il se fait peindre : elle est construite parall�lement � celle du d�but o� le portrait d'Yseut est r�alis�. Il devient progressivement comme elle, indiff�rent, silencieux, lointain et isol�, jusqu'� la sc�ne de folie finale o� il se confond avec elle, n'�tant pas parvenu � �tre avec elle.

Vous avez utilis� la syntaxe pour rendre compte de la folie de Marc�

Il est important de rendre compte d'une histoire autant dans le fond et la signification des mots que dans la forme que l'on donne au texte� Les phrases sont plus longues et plus heurt�es � certains moments, r�v�latrices de la d�mence latente ; les monologues entre parenth�ses de Marc d�noncent sa schizophr�nie tout comme ils expriment la voix de sa propre conscience, et peut-�tre �galement ma propre voix qui s'adresse au personnage. J'ai �t� assez surprise du r�sultat final : je n'imaginais pas Marc aussi violent, Yseut si silencieuse�

" La fatigue de l'ignorance est le premier pas vers l'enfer " r�sume la folie de Marc ?

Lass� par la doute, il se place dans une d�marche plus particuli�re et plus volontaire : la recherche de lucidit�. Or la cruaut� de la v�rit� l'an�antit. La qu�te de sens le conduit � perdre son propre sens de la r�alit� : il est plong� dans l'enfer de sa folie. "

Propos recueillis par J. L. N.


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