#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Entretien avec Shan Sa


Parlez-moi de la gen�se de La Joueuse de go� Un rapport avec Le Ma�tre de go, de Kawabata ?



J�aime beaucoup le roman de Kawabata mais je ne pense pas qu�il ait jou� un r�le dans l��criture de La Joueuse de go. En fait, j�ai �crit un livre avant celui-l� et je l�ai d�truit. Il y a donc une partie qui manque � ce roman, une partie qui n�a rien � voir� Et c�est ce livre invisible qui a d�clench� l�autre. Tous mes romans sont n�s ainsi. Pour mon premier roman, par exemple, j�en ai �crit trois auparavant qui n�ont pas abouti. J�ai besoin de construire un corps pour enfanter une id�e�

Pour en revenir � celui qui a pr�c�d� La Joueuse de go, j�ai compris au printemps de l�an 2000 que j��tais dans une impasse apr�s une centaine de pages. J��tais tr�s angoiss�e, le livre n�arrivait pas � se d�truire pour faire rena�tre quelque chose d�autre et je suis partie � Venise, toujours tourment�e, vivant � peine. Et une nuit, j�ai fait un r�ve, et dans ce r�ve, j�ai vu un roman. Et lorsque je me suis r�veill�e, tout a recommenc�.



Vous �voquez une filiation entre La Joueuse de go et Porte de la Paix c�leste. Outre une gen�se semblable, ils ont �galement en commun des th�mes et une structure�



Ces deux livres sont n�s de la m�me hantise mais celui-ci est tr�s particulier car j�ai voulu �crire sur la Mandchourie, qui est le pays de mes grands-parents. J�ai �galement voulu parler de leur vie. Mon grand-p�re est d�origine mandchoue et � l��ge de vingt ans, il s�est r�volt� contre sa famille, contre sa femme qu�il avait �t� forc� d��pouser, contre l�invasion japonaise de la Mandchourie. Il s�est enfui � P�kin o� il a fait une �cole d�espionnage communiste et a rencontr� ma grand-m�re qui, � son tour, a quitt� sa famille originaire de Hong-Kong pour s�engager dans la R�sistance. Tous les deux se sont aim�s, ils ont fait la guerre�



Et vous avez �crit votre livre en hommage � eux ?



Disons plut�t en hommage � toute cette g�n�ration qui s�est r�volt�e contre les Japonais et a voulu d�fendre la Chine, mais aussi la Mandchourie, qui est un peu le pays de mes r�ves. J�y allais pendant les vacances d��t� mais j�y ai aussi v�cu deux ans, chez mes grands-parents. C�est un tr�s beau pays de neige, de for�ts infinies, de grands fleuves, de gibier� Les hommes et les femmes sont tr�s beaux, �lanc�s, minces, les yeux tr�s brid�s� C�est un pays de magie, et de nature tr�s violente.



De fait, il y a un grand contraste entre la relation silencieuse de l�officier et de la joueuse et ce fond de troubles nationaux, d�ex�cutions�



C��tait important car cela refl�te la nature de la Mandchourie, que je voulais d�crire sans m�appesantir, afin de faire comprendre l��me de ce pays. Je voulais �galement �clairer cette p�riode tr�s particuli�re de la Chine, qui est une courte p�riode de plaisir et de douleur, une p�riode de transition de l��ge f�odal � la modernit�. On croise des aristocrates encore coiff�es de nacre, des prostitu�es habill�es comme autrefois, mais aussi des femmes habill�es � l�europ�enne qui vont danser. On entend � la fois l�Op�ra traditionnel et les symphonies. J�aime beaucoup � l��tranger � de cette �poque, sa d�cadence et sa r�volte.



Et pensez-vous que l�entre-deux culturels dont vous �tes issue (vous �tes d�origine chinoise, vous parlez chinois et �crivez en fran�ais) trouve un �cho dans ce livre ?



Ecrire en fran�ais c��tait pour moi la meilleure fa�on de faire le pont entre la Chine et la France. Parce que dans ces moments-l�, les codes tombent. J�essaie de ne pas faire de roman exotique, de guide de la Chine. Ecrire directement en fran�ais a cet avantage : on �crit un vrai roman. Les lecteurs voyagent dans un univers qui leur est totalement inconnu mais avec la facilit� de la langue. Et j�esp�re que cette langue fran�aise est �crite de telle mani�re qu�� travers elle, on aper�oit ce qu�est la langue chinoise. C�est peut-�tre l� ce qui fait le style de tous mes livres.



Il s�agirait de romans du m�tissage, de la rencontre de deux langues et mentalit�s ?



Je n�aime pas tellement le mots � m�tissage � ou � rencontre �. Cela sous-entend une opposition, deux �tres en un, alors qu�il s�agit de superposition. Cela se fait de mani�re verticale, non horizontale. Je crois que c�est la meilleure fa�on de p�n�trer une civilisation. On ne peut pas la rencontrer mais on peut la traverser, l�appr�hender sur un niveau plus po�tique que le m�tissage, qui est quelque chose de physique.



Est-ce le sens que vous donnez � la partie qui se joue entre le Japonais et la Chinoise ?



Sur la Place des mille vents, le langage est banni et on n�entend que le claquement des pions� J�ai �crit des phrases semblables dans mes autres romans. Dans mon premier roman, Porte de la Paix c�leste, une �tudiante chinoise rencontre un adolescent muet. C�est un de mes th�mes favoris : la rencontre de la parole et du silence. L�id�e qu�au-del� de l��change grammatical et intellectuel, car qui dit langage dit intellectualisme, il y a la sph�re du po�tique et de l�intuition, de l�appr�hension, qui est l�amour.



La litt�rature chinoise et la litt�rature japonaise ont �t� pour vous une source d�inspiration ?



Je suis tr�s ancr�e dans ma litt�rature. Quand j�avais seize ans, je lisais uniquement les grands classiques chinois, je ne m�int�ressais pas aux romans contemporains et je m�enivrais d�une Antiquit� qui a disparu. Mais j�ai retrouv� l�autre c�t� du miroir, le contemporain, dans la litt�rature japonaise. Et c�est pourquoi j�ai pu faire ce livre. Je ne peux pas dire que j�ai tout lu dans la litt�rature japonaise, mais j�en suis tr�s impr�gn�e. C��tait un voyage merveilleux, vertical, comme je vous le disais. J�ai commenc� par les contemporains il y a quelques ann�es, Kawabata, Tanizaki, Mishima et d��poque en �poque je vais vers les heures les plus recul�es du Japon. Je suis fascin�e par cette litt�rature qui est tr�s compl�mentaire de la litt�rature chinoise.



Parlez-moi de ce que repr�sente le jeu de go en lui-m�me�



Ce qui me fascine dans le roman, c�est une architecture. Il y a toujours un jeu. Et le jeu de go est ce jeu sublime, absolu, de strat�gie, d�encerclement, de vie et de mort. C�est pourquoi j�ai choisi le jeu de go, qui correspond � mon penchant pour l�infini architectural de notre monde mental mais aussi parce que, et j�en reviens � ce que je disais tout � l�heure, c�est un jeu o� le langage est banni, un jeu o� enfin deux jeunesses de nationalit� diff�rente, de langue diff�rente, d�id�ologies diff�rentes, peuvent enfin se rejoindre.



On retrouve beaucoup le th�me de l�initiation d�un roman � l�autre, amoureuse, sentimentale, existentielle� Est-ce que l�autre est une r�ponse � la qu�te de sens qui d�vore vos personnages ?



Je crois qu�il n�y a pas encore de r�ponse� Mais j�esp�re pouvoir la donner dans mon prochain livre. L�initiation est la vie, en fait, et je suis mes personnages qui ont soif d��tre initi�s, qui ont soif de lumi�re et cherchent la pl�nitude, une fa�on d��tre totalement dans la vie et d�embrasser la douleur, d��tre heureux mais aussi souffrants. C�est une initiation qui correspond � mon apprentissage de la vie.



Cela fait penser au po�me d�Issa, � En ce monde nous marchons sur le toit de l�enfer et regardons les fleurs. �



J�ai employ� ce po�me pour mon officier, qui est un homme beaucoup plus simple que la joueuse, qui est une femme tr�s c�r�brale. Elle, elle cherche une v�ritable initiation, elle veut par tous les moyens devenir � une femme. Tandis que l�officier n�a pas eu d�enfance. D�s la naissance il est dans le combat, dans l�enfer, il a vu la mort sur les champs de bataille, il a vu ses amis partir, assassiner, �gorger, fusiller. Donc pour lui la vie est un enfer. Et ces fleurs sont ces moments d�aspiration � l�amour qu�il n�obtient ni avec la geisha, ni avec la joueuse. C�est cette fa�on tr�s japonaise d��tre dans la vie, tr�s pessimiste : se dire que nous sommes d�j� en enfer.



Est-ce votre vision de l�existence ?



Je pense diff�remment. Je pense qu�il y a de l�enfer dans les fleurs et des fleurs dans l�enfer, si vous voulez. Et je pense comme la joueuse que la vie est une initiation, o� on commence tr�s bas, dans l�ignorance, pour aller vers la connaissance, et m�me si cette connaissance peut nuire, blesser, on va son chemin avec beaucoup de courage, sans remords. On apprend � �tre enceinte, en fait. L�enfant est ici tr�s symbolique, c�est la vie, on doit assumer la vie, notre connaissance de la vie, avancer sans retour.



Vers un prochain livre ?



Oui, et j�esp�re que celui-l� ne va pas mourir comme d�autres... Je me sens pr�te pour ce grand roman d�initiation. A travers la voix d�une femme qui a v�cu au huiti�me si�cle en Chine, qui a commenc� dans le palais imp�rial comme servante, concubine parmi trois mille autres et qui est devenue imp�ratrice � 29 ans avant de prendre la place de l�Empereur � l��ge de 50 ans. Nous sommes tous ses descendants : ses enfants et petits-enfants ont �t� empereurs et c�est elle qui a conduit la Chine vers l�apog�e de sa civilisation. C�est une femme fondatrice de la Chine et sa vie a �t� une longue initiation. Elle a cherch� � s��lever au-dessus de la masse, de l�anonymat, au plus pr�s des cieux. C�est un apprentissage de la culture, de la trahison, de la politique, et de la mort. Apprendre � mourir est un des grands th�mes de ce livre � venir.

Propos recueillis par Emma Le Clair


 
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