Straniero, Diwan : héroïnes

Interviews
Petite joueuse de Céline Straniero et La Fabrication d’un mensonge d'Audrey Diwan affirment le retour des héroïnes dans la littérature. Deux beaux premiers romans où l’association de malfait(rices) est le seul recours à l’aventure. Rencontre avec ces bienfaitrices…

Zone littéraire : Brune et Raphaëlle, les héroïnes de vos romans (Petite joueuse et la Fabrication d’un mensonge), sont confrontées à des personnages féminins très forts voire extrêmes, Alice et Lola. Comment les avez-vous construits ?

Audrey Diwan : Il y a beaucoup de filles qui sont d’abord des genres de Raphaëlle avant de devenir des Lola. Sauf que les deux sont des cas extrêmes. Dans le parcours d’une fille, il y a des moments où on n’est pas très bien, où l’on se cherche et d’autres où il faut trouver une place, être installée. Dans le cadre romanesque, celle qui se cherche est très timide et mal à l’aise et celle qui a trouvé sa place est trop extravertie. Ca donne du sel et du relief dans l’écriture. Moi, j’ai été les deux, petite timide anorexique, puis un peu plus folle mais moins que Lola.

Céline Straniero : Le personnage le moins fort des deux est celui qui est extraverti. C’est plus facile de tomber dans les pièges quand on est comme ça alors que quand on est dans l’observation, on se protège plus facilement. Même si je suis plus proche de Brune, on est forcément un peu des deux personnages, je me sens aussi manipulatrice que manipulée.

A.D. Il y a un quelque chose qui traverse nos deux romans, c’est une histoire d’immaturité. Il y a vraiment deux figures, celle qu’on amène à l’âge adulte, qui est plus dans la réflexion et l’autre qui est dans un refus des codes. C’est un tiraillement aujourd’hui quand on dit que le métier c’est de grandir et que l’on se sent écartelé entre les désirs d’enfant et les exigences d’adulte. Nos personnages traversent ces deux états.

C.S C’est pour cela que j’ai choisi trois personnages : celle qu’on est, celle qu’on aimerait être et celle qui empêche d’être ce qu’on est comme Cindy dans le roman d’Audrey qui est mise de coté.

Il y a des similitudes dans l’esprit de vos deux romans, pourtant très différents par leur style.

A.D. Je suis étonnée que personne n’ait pensé à nous réunir avant cette rencontre. C’est vrai que ce qui nous différencie c’est d’abord le style. Il y a dans Petit Joueuse un sentiment musical que je ne maîtrisais pas du tout. En revanche, dans la construction, on est quand même en train de parler de choses qu’on a vécues, qui sont inscrites dans le caractère de l’époque et qui traversent nos deux romans pour faire émerger des personnages. Pourtant nous ne nous sommes jamais rencontrées, je peux le jurer.

Vous êtes traversées par la même époque ?

A.D. Je voulais parler de l’époque sans pourtant m’y ancrer, je déteste qu’il y ait des marques par exemple. J’ai envie d’une "pop littérature", d’avoir des paysage colorés, des refrains, dire des choses pertinentes avec légèreté. Ce sont des impressions qu’on retrouve chez Céline.

C.S. Le roman d’Audrey est intemporel en cela, bien qu’il se déroule actuellement. Il est noir mais lumineux.

A.D. Mais il y a ça dans cette époque, une double tendance : à la fois une société qui nous dicte des codes proches de l’enfance, qui nous conseille tout le temps (faire la fête comme si demain n’existait pas) et puis en même temps on nous dit que c’est la crise et qu’il faut absolument faire quelque chose. Cette ambigüité ne nous met pas forcément à l’aise.

Vos romans traversent cette époque par le prisme d’un même lieu, Paris.

C.S. Paris est pour moi un personnage à part entière. Si Petite joueuse ne s’était pas passé à Paris, il ne se serait pas passé. C’est une ville vraiment romanesque, pleine de recoins. Le sujet du livre sont des filles qui se cachent et, à Paris, il est aussi facile de s’exposer que de se cacher. C’est une ville en pente à l’image de l’héroïne.

A.D. Je suis personellement partie d’un quartier précis qui était Barbès. Donc ça ne pouvait pas se passer ailleurs. Maintenant il y a aussi une chose importante concernant le lieu, c’est la confiance en soi. Le premier roman est un exercice assez périlleux et si on s’aventure tout de suite sur des territoires qu’on maîtrise moins bien, ça peut avoir un goût de plastique. Mais c’est un exercice qui me tente par la suite. De toute façon j’ai besoin de visualiser les scènes pour les raconter.

Justement, comment abordez-vous l’écriture ?

C.S. Je n’ai pas de logique. En revanche, j’ai besoin d’urgence. Je ne peux pas prendre trois ans pour faire un chef d’œuvre que je n’écrirai jamais. J'ai écrit Petite joueuse en six mois. Le livre est rapide donc il avait besoin d’être écrit rapidement. J’ai l’impression que chaque jour peut être le dernier. J’étais pressée. Résultat : j’ai eu peur d’en avoir trop mis alors j’ai fait plusieurs coupes. Un premier roman a besoin de garder une certaine fraîcheur.

A.D. Moi au contraire, j’ai l’impression que je manquerai d’urgence jusqu’à la fin de mes jours. Et c’est quelque chose que j’ai pu envier à certains de mes amis, ce manque de temps. De même que le bruit ne me dérange pas, j’écris quand j’ai un flash, je peux rentrer chez moi, écrire trente-cinq minutes et repartir. Beaucoup de gens disent que ce n’est pas sérieux. L’absence de rigueur de l’écrivain, le fait de ne pas suer sang et eau pendant une journée entière, on a l’impression que ça décrédibilise la qualité littéraire d’un texte. Mais il y a d’autres manières d’écrire…

C.S. De toute façon le plus important, c‘est le résultat !

A.D. C’est la mécanique d’écriture qui est intéressante. J’ai besoin d’images et de couleurs. Je me raconte mes personnages et je fais leur profession de foi à la première personne. Ils existent comme des amis et je ne peux pas les quitter trop longtemps, comme quand on est avec des gens au restaurant et qu’on s’absente.

Il y a dans les deux romans une dimension cinématographique . Seriez-vous intéressées par leur adaptation au cinéma?

C.S. Oui, je pense souvent à mes personnages et j’ai vraiment envie de les prolonger, mais surtout pas avec "Une petite joueuse 2". L’idée d’en faire un film est donc attirante.

A.D. J’étais surprise de voir qu’il y avait un engouement autour du livre pour le cinéma. En revanche, je ne sais pas si je pourrais remodeler une oeuvre sur laquelle j’ai déjà travaillé. J’aime la liberté qu’offre l’écriture d’un roman et je ne suis pas sûre de vouloir prolonger moi-même l’existence du livre au cinéma.

C.S. C’est vrai que le roman d’Audrey est vraiment cinématographique.

A.D. D’ailleurs, tu sais qu’on est toutes les deux sélectionnées au prix de l’adaptation au cinéma. On devrait proposer aux productions un "pack" avec nos deux romans.

C.S. Ca s’appellerait « La fabricatieuse »…

Photos : ©Stephane C. et ©Arnaud Février

La Fabrication d'un mensonge, d'Audrey Diwan
Ed. Flammarion, 15 €

Petite Joueuse, de Céline Straniero
Ed. Leo Scheer, 17 €

Charles Patin_O_Coohoon


Audrey Diwan et Céline Straniero
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Last modified onsamedi, 18 avril 2009 17:38 Read 2801 times