Seulement Ségur

Interviews
Le roman d'amour est un art. Le réussir relève de l'exploit.
Avec Seulement l'amour, Philippe Ségur revient là où on
ne l'attendait pas et signe un roman majeur dans cette rentrée
hivernale. Entretien avec la poétique de l'auteur toulousain...



Après Poétique de l’égorgeur, qu’est-ce qui a motivé
l’écriture d’un roman sur l’amour ?


Ça faisait longtemps que je voulais écrire sur l’amour. Et ce
pour plusieurs raisons. D’abord je voulais payer mon tribut aux
lectures qui ont marqué ma jeunesse, les classiques comme
des nouvelles d’Edgar Allan Poe ou des nouvelles de Villiers de
l’Isle-Adam telle que Vera. Ce sont des textes qui m’ont
marqué il y quelques années. Je voulais rendre ce que j’avais
reçu. Ensuite, il fallait marquer une différence avec les histoires
d’amour. Il y a une tradition dans les romans d’amour que je
voulais mettre en scène avec une distance. Décrire un amour
comme une image d’Epinal sans complètement y adhérer, c’est
pour moi, l’impulsion de l’écriture. Et pour cela il faut creuser
des thèmes. La dualité m’intéresse. D’abord celle entre
Hippolyte et Mado, puis celle d’Hippolyte et Hippo qui, avec vingt
ans d'écart, ont du mal à se comprendre.

La musique est extrêmement présente tout au long du
roman, est-ce qu’elle précède l’écriture ou au contraire elle
l’illustre ?


La bande originale du livre, c’est une alchimie qui se fait. Pour
Depeche Mode, j’ai cherché le morceau avec un caractère
hypnotique. J’aime le groupe depuis le début alors j’ai fouillé
dans leur discographie. C’est allé très vite pour Something to
do
, en plus la pochette correspondait alors… Pour d’autres
scènes comme celle où Hippo est soulagé après l’échographie,
la musique des Happy Mondays a dicté l’écriture. La
musique est essentielle pour moi et pour le livre. Comme
beaucoup, j’archive mes souvenirs en fonction de la musique.

Vous situez l’intrigue de Seulement l’amour autour du
milieu hospitalier et vous en tirez un bilan parfaitement juste de
ce que le monde médical peut avoir de contradictoire...


C’est une continuité de Poétique de l’égorgeur. Je n’avais
pas terminé avec ça. Il fallait poursuivre. Le monde de l’hôpital
est passionnant. C’est un milieu où les médecins sont dans
une grande contradiction. La dimension de l’hôpital est tragique.
Il y a une certitude dès le départ. Celle que tout est perdu. Une
idée qui n'est guère encourageante quand il s'agit d'entrer dans
un hôpital ou un cabinet médical. L’hôpital est une bulle dans la
société. Elle ne veut pas en entendre parler. Il faut à tout prix se
préserver du risque. En tant que professeur de droit, il y a un lien
entre hôpital et université. J’ai rencontré des médecins et
rapidement j’ai compris que l’administration fonctionnait de la
même manière que dans l’université. Travailler sur le rapport du
pouvoir dans ces institutions m’intéressait.

Votre narration est très visuelle, on la devine issue du
cinéma. Qu’est-ce qui vous a ainsi inspiré ?


C’est difficile de ne pas tenir compte du cinéma aujourd’hui. Je
ne sais pas s’il est possible d’écrire comme avant, quand il
n'existait pas. Il ne faut pas oublier que le lecteur voit aussi des
films. C’est pour cela que je visualise souvent les scènes. Le
cinéma, c’est l’art de l’ellipse, et c’est en cela que c’est
remarquable pour la littérature. Plusieurs cinéastes m’ont
marqué, voire influencé. Davis Lynch, pour son fantastique de
l’ordinaire, il a une véritable capacité de visionnaire. Pour moi
l’écriture doit être visionnaire, non pas sur le plan prophétique,
mais elle doit donner une vision de quelque chose. Alfred
Hitchcock est également majeur, pour sa maîtrise de l’image. Il
sait ce qu’il veut avant, il a déjà le scénario dans la tête, ce qui
permet une parfaite maîtrise du récit. Enfin Woody Allen, parce
que c’est un grand pessimiste d’une légèreté magnifique. Il sait
décrire les rapports humains.

Vous abordez la thématique de la destinée : le sort du
personnage principal, Hippolyte, est-il scellé ?


Pour moi le destin n’existe pas, tout est affaire de choix. La
réalité parallèle va conduire Hippolyte à penser que c’était
inévitable. Schopenhauer l’illustre de manière pertinente. On ne
peut prendre sans lâcher. Exister, c’est marcher sur une ligne.
Si on refuse de faire des choix, on tente de faire de la ligne une
surface. Or il est impossible de convertir une ligne en surface.
C’est la manifestation de la volonté. La formulation même du
destin n’a pas de sens. Tout est une question de choix, de
carrefours multiples. Nous avons tous notre propre vision du
monde, j’en propose une au lecteur. Ce sont les
soubassements de l’écriture.

Charles Patin_O_Coohoon


Philippe Ségur
Ed.
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Last modified onmercredi, 10 juin 2009 22:42 Read 3493 times