Au comptoir avec Serge Joncour

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Ce sera au comptoir. Serge Joncour est un écrivain étonnant et un homme captivant. L'écrivain prend bien soin de parler fort et clairement, alors que l'homme préférerait murmurer ses idées. On l'aime parce qu'entre deux hésitations, il accouche d'une phrase merveilleuse. On l’aime parce qu’il n’a pas peur d’innover dans sa propre écriture. Derrière son regard de timide, Serge Joncour ose…

Que la paix soit avec vous est un titre particulier…
Serge Joncourt : C'est probablement celui que je trouvais le moins bon. C'est presque un clin d’œil personnel. La paix, c’est quelque chose qui ne me concernait absolument pas donc j'ai jeté ce titre de l'autre côté de la rive, comme un regard ironique que je portais sur l'état dans lequel j'étais. Expliquer ce titre c’est déjà entrer dans un après-écriture. Ce n’est pas un titre naturel ,ce n'est pas un titre fait pour appeler un livre, c'est un message personnel à moi-même!

Le personnage principal de ce roman est dans une solitude intense, est-ce un livre qui parle de vous et de la solitude de l’écrivain ?

C'est un livre qui m'a accompagné dans un moment de solitude car finalement la solitude que j'ai commencé à décrire est celle que je vivais pour des raisons personnelles, sans l'avoir recherchée. C'est un livre avec lequel j'ai un rapport particulier. Il parle de moi oui, pas mal. Mais pas complètement. La solitude du personnage est une ébauche très édulcorée de la mienne. Maintenant, il va falloir être plus sincère, et peut-être donc plus sombre.

Pourquoi ce cheminement vers des choses sombres ?
Parce qu'il y a un moment où il faut au moins dire ce qui n’est pas dit encore, témoigner véritablement de quelque chose qui vit. Je ne sais pas encore ou je vais aller. Mais il y a une ou deux choses dont j'ai envie de parler qui ne sont pas forcément drôles. Parce qu’on évolue toujours et que je vois et vis des choses parfois sombres. Mes livres d’avant abordaient des sujets différents. Je me pose toujours la question de l’écriture, certains journaliste s’attendaient encore à un livre drôle. Mais il semble que ça ne soit plus suffisant. Faire un livre, pourquoi ? Pour faire rire ? C’est un peu mince…

Les médias sont omniprésents dans vos romans... Ici, ils apparaissent sous la forme d'un "feuilleton" inquiétant…

Les médias sont la nouveauté absolue aujourd'hui, par rapport à la situation de nos grands-parents, c'est la première fois qu'on peut manger ses spaghettis bolognaises en révisant un panorama complet de ce qui s'est passé dans le monde. Les médias ont un poids considérable, ça va au-delà des antidépresseurs, et ça a aussi un rôle d'anxiolytique. Si l'on est à ce point préoccupé par l'actualité mondiale, c'est qu'on veut prendre de nos propres nouvelles! L'actualité est vraiment gérée comme un feuilleton. Regardons la campagne présidentielle : on attend le dénouement, le prochain épisode, on sait le jour l'heure et la minute de la résolution de la crise... On va passer des mois à parler de la présidentielle , il n'empêche qu'avant ce jour là, on ne saura pas. Cette soif terrible d’informations prouve en fait qu'on ne va pas bien du tout !

Après-coup, comment regardez-vous les événements dont vous parlez dans ce roman ?

J'avais consigné presque au jour le jour ce qui se passait à l’époque. C'est comme les grandes peurs : on les évacue en attendant la prochaine. Aujourd'hui l'Irak on s'en fout, alors qu'on meurt tous les jours là-bas. A un moment on ne s'y accroche plus, on a décidé que c'était presque normal. Moi avec ce roman je voulais qu'il y ait comme une trace parce que, finalement, il n'en reste rien, chaque nouvelle journée balaie celle d'avant et il reste du papier journal qui jaunit très vite. Je voulais qu'il reste au moins ça, de cette perspective d'une troisième guerre mondiale qui faisait peur en 2003 et encore aujourd’hui.

Votre personnage a l'air plus touché par le passé qui flotte dans l’air que par la guerre qui se prépare devant son écran....

C'est le fait de parler avec la vieille voisine qui lui rend la guerre « réelle », sinon ça serait resté pour lui une sorte de jeu vidéo. Il a plus peur d'un fantôme que du bruit des canons car c'est une question de territoire : devant lui il a ce palier qui le menace... Le danger touche à son destin personnel, il y aussi une histoire d'invasion qui se joue devant lui. C’est quelque chose de très contemporain, il ne se sent concerné par cette guerre que par « délégation » lorsqu’il se rend aux manifestations pour remplacer cette voisine, mais il sait pas trop quoi y faire. Aujourd'hui, il n’y a plus d'engouement, juste un état factuel qui va durer maximum quinze jours. Moi j'avais 18 ans au début des années 80, c'était la fin des illusions mais il restait encore un mouvement communiste qui permettait de penser qu'il y avait un possible ailleurs. C'est différent, aujourd'hui il n'y a pas vraiment un projet, on n'est plus engagé...

Avec ce fantôme du passé vous vouliez véhiculer le fameux "devoir de mémoire" ?

Nous avons à l'heure actuelle les derniers témoignages des gens qui ont vécu de près la Deuxième Guerre mondiale. C'est une façon de montrer que ça ne s’arrête jamais.... Après cette guerre de 39-45, on croyait qu'on avait tout compris... Or la guerre est une perspective qui est toujours contemporaine, ce passé fait face dans le roman au futur conflit avec une similitude qu’on se remémore dans la peur de la voisine qui conserve ses souvenirs. C’est toujours ce conflit de territoire qui est sur le point d’être envahi : sur le palier et dans l’écran de la télévision…

Le territoire est une notion qui était déjà présente dans UV! On commence à pouvoir parler de thèmes récurrents dans votre œuvre!

Oui, c'est normal et en même temps c'est gênant. Si j'arrive à l'avenir à trouver les bons titres, j'aimerais passer à d'autres thèmes. Les gens évoluent, je ne suis plus le même. Avant il n'y avait rien de moi dans les romans. Aujourd’hui dans la mesure où j'ai une vie avec des péripéties singulières et des épreuves, j'ai considéré que tout ce qui m'arrivait avant d'être publié, c'était de la matière, comme si j’avais un sac de galets que j'avais ramassé. En même temps, on ne se sert jamais des galets qu'on ramasse sur la plage! (rires) Mais si mes livres servaient au moins à caler ceux des autres sur la bibliothèque! Ce serait déjà ça!

Pourtant un de vos romans vient d’être adapté au cinéma! Vous avez suivi le tournage ?

Oui, l’écriture surtout. Le tournage j'y suis allé une fois mais le film n'est pas mon histoire. La préparation en revanche est importante, j'ai tout validé sur le scénario. D'ailleurs, quand j'y suis allé c'était gênant, les acteurs me demandaient mon avis alors que ce n'était pas à moi de dire si ça allait... J'y étais le jour du tournage des scènes sur le bateau : des scènes très compliquées. J'ai aussi suivi la distribution ; c’est à cause de la distribution qu’on a arrêté de travailler avec Chabrol. Danièle Delorm, la productrice, a toujours considéré que l'avis le plus important était celui de l'auteur. Mais c'était bien de découvrir le cinéma dans ce cadre-là. C'était respectueux en tout cas.

Avez-vous un prochain projet en cours ?

En cours d'écriture oui. Je découvre depuis quelques jours que peut-être on peut perdre ce désir absolu de changer, de bouger, d'être autre, moi qui était toujours obsédé par ce projet-là. Me projeter dans l'avenir avec une vision magnifique… Et je commence à réaliser que je n'avais peut-être pas besoin de ça. Maintenant je vais plus vers moi-même et je crois qu'à un moment, il faut arriver à poser les armes et arriver à se dire les choses en face. Les lecteurs sont des gens dont on n'a pas gagné la confiance. Il faut toujours les surprendre. Arriver à chaque fois la même chose, certains le font. Mais comme moi j'ai toujours envie d’écrire un livre qui va contre le précédent ! Ce n'est jamais le même livre, l'auteur est changeant... C'est un vrai problème pour les journalistes ! Etre instable et incohérent, ça n'a jamais aidé dans la vie!

Photo: Sebastien Dolidon
www.dolidon.fr

Que la paix soit avec vous, de Serge Joncourt, éditions Flammarion, 238 pages, 16 euros.

Michel Olivia


Serge Joncour
Ed.
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