Les cinécrivains

Enquêtes
Succès ou fiascos, leurs films ne laissent personne indifférent. Zoom sur les hommes et les femmes de lettres que le septième art a séduit, l’instant d’une prise, et plus si affinités.

Dans un article paru dans le quotidien Libération en 1999, Patrick Modiano confiait avoir souvent rêvé de posséder « une caméra légère et même invisible qui permettrait de filmer les rues de Paris, de jour comme de nuit, et qui capterait les visages et les paroles des passants, et les suivrait dans leurs aventures quotidiennes sans qu’ils s’en aperçoivent. » Plus loin, il avouait avoir malheureusement réalisé que « la caméra ne pourrait jamais avoir la légèreté du stylo » et s’interrogeait alors sur ce qui « décide certaines personnes, quand elles sont au carrefour du cinéma et de la littérature, à prendre un chemin plutôt que l’autre. » Mais en posant une telle question, Patrick Modiano écartait toutes ces autres personnes qui ont choisi de ne pas choisir.

Cinéma d’auteurs

Les débats sur les rapports qu’entretiennent la littérature et le septième art remontent à la fin du XIXe siècle, en 1895 plus exactement, date à laquelle les frères Lumières organisèrent pour la première fois une projection cinématographique publique et payante. Au cours du siècle suivant, ces débats se résumèrent le plus souvent aux questions d’adaptation. On ne compte plus aujourd’hui le nombre de livres transposés sur grand écran. Les succès Le Parfum, Ne le dis à personne, Ensemble, c’est tout, Un Secret et American Gangster, pour ne mentionner que les plus récents, ont tous connu une première jeunesse dans les rayons des librairies avant de figurer au top des box-offices. Et le phénomène n’est pas près de s’arrêter. La réussite du Forum International Littérature et Cinéma qui se tient chaque année et depuis 2001 à Monaco en est une preuve formelle. Il n’est pas rare que les écrivains jouent un rôle dans ces adaptations cinématographiques en revêtant, le cas échéant, le costume de scénariste. Pour ne citer qu’un exemple, Tonino Benacquista, auteur des Morsures de l’Aube et de Saga, a collaboré à l’écriture de plusieurs scenarii, parmi lesquels figurent deux films de Jacques Audiard : Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté. Nombreux sont ceux qui ont suivi un parcours identique. Mais combien sont allés jusqu’à troquer leur plume contre une caméra ?

Touche-à-tout de génie

Dans les années 1920, l’Europe fut prise d’assaut par un groupe de révolutionnaires. Leur devise : « Changer le monde, changer la vie. » Pour suivre ces deux mots d’ordre empruntés à Marx et Rimbaud, les surréalistes firent éclater tous les dogmes artistiques. Ainsi l’époque vit-elle apparaître des créateurs protéiformes qui cultivèrent leur talent sur un bon nombre de domaines. Ce fut notamment le cas du peintre espagnol Salvador Dalí qui participa à la réalisation de plusieurs films et écrit, outre son Journal d’un génie, un roman intitulé Visages cachés. En marge du mouvement, Jean Cocteau s’illustrait tour à tour au théâtre, au cinéma et en littérature. Bien plus tard, en Italie, les œuvres anticonformistes du poète, romancier, scénariste et metteur en scène Pier Paolo Pasolini firent grand bruit.

De salles combles en salles désertées

Si le génie est rare, le talent l’est un peu moins. Pour s’en persuader, il n’est qu’à voir le nombre de transfuges réussis. Pagnol, Duras, Handke, Breillat... Déçus par les différentes adaptations de leurs ouvrages, certains écrivains choisirent de passer derrière la caméra. C’est ainsi que l’auteur d’Hiroshima mon amour tourna en 1969 Détruire, dit-elle. Suivirent Nathalie Granger et le célèbre India Song qui reçu le Prix de l'Association française des cinémas d'art et d'essai à Cannes. Avec une dizaine de films à son actif, Duras a pourtant toujours placé l’écriture au-dessus du reste, se considérant comme « un écrivain qui fait des films ». Aujourd’hui encore, les cinécrivains font recette. Podium de Yann Moix, adapté de son roman éponyme, attira plus de trois millions de spectateurs en 2004. Fort de ce succès, Moix s’est lancé dans un nouveau projet et tourne actuellement Ciné Man, son deuxième film. A contrario, d’autres plumes ont raté leur passage au cinéma. Prenons les exemples de Bernard-Henry Lévy, Stephen King et Paul Auster. Si les ouvrages des trois hommes se classent toujours premiers dans les listes de ventes, leurs films furent de véritables fiascos. Un budget impressionnant, de belles têtes d’affiche et une renommée ne suffisent donc pas à garantir un succès dans les salles obscures. De courts en longs-métrages, la plupart des écrivains majeurs du XXe siècle ont plus ou moins frayé avec le cinéma. Quoi de plus normal pour un créateur de succomber aux tentations des autres arts ? Inversement, combien de cinéastes ont flirté avec la littérature ? Michel Audiard qui avouait être devenu metteur en scène sur un malentendu a signé une dizaine de romans. Mais il n’est pas le seul. Après avoir travaillé les scénarios de plusieurs bandes dessinées, le réalisateur espagnol Pedro Almodóvar a imaginé l'histoire de Patty Diphusa, la Vénus des lavabos. Que dire enfin des recueils de nouvelles toujours plus décalées que publie régulièrement Woody Allen ? En littérature comme au cinéma, le style et l’image ont tous les pouvoirs.

Ellen Salvi



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