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Moze

 Moze
Zahia Rahmani
Sabine Wespieser
Prix éditeur
16.00 francs
200 pages
© Sabine Wespieser , 2001


Zahia Rahmani est n�e en 1962 en Alg�rie. Elle publie en mars 2003 un premier roman chez Sabine Wespieser intitul� Moze. Dix ans apr�s la mort de son p�re, elle revient sur le suicide de cet harki sans peuple et sans pays. Voici en avant-premi�re le d�but de ce roman de feu dont on devrait beaucoup parler.




� la m�moire de mon fr�re Mokrane

L'unique bien qui soit rest� � l'homme : lib�rer la honte. ELIAS CANETTI



Je me souviens.
Ecris que tu te souviens.
Que tu t'en souviens.




Je me souviens de mon lit en fer,
de tous ces lits de fer,
du hangar gris,
de la petite musique militaire.




Tu es mort un lundi. Le jeudi, ils ont apport� ton cercueil � la maison. Il �tait ferm�.
Parce que ton corps avait �t� ouvert et d�coup�, on ne voyait que ton visage derri�re un hublot.
Ton visage �tait derri�re le hublot, flottant dans de la soie blanche et quelques algues.




Je suis mont�e dans mon abri. Ma pi�ce � musique. Je voulais �tre seule.
Je me suis mise dans l'angle, derri�re la porte ferm�e, et j'ai pleur�. J'�tais seule, j'ai pleur� sans honte. J'ai pleur� longtemps.
J'ai pleur� ta mort. Ton malheur.
J'ai pleur� bruyamment. Je t'ai pleur� en tremblant.
Et puis ma voix est partie ailleurs. Ma bouche s'est coll�e � la vitre.




J'�tais soudainement devenue une mouche coll�e � la vitre de la lucarne. J'�tais un insecte. Une petite chose.
Mes pattes s'accrochaient vainement, je n'entendais plus rien, tout �tait sourd, le monde s'�tait r�duit.
Je glissais inexorablement vers le bas. J'ai pouss� un cri.
Ma vie s'arrachait � toi.
Ma mort �tait imminente.
La tienne �tait trop grande.




J'ai fait ce jour-l� une chute vertigineuse.





Prologue



11 novembre




C'est arriv� le 11 novembre. Mais c'est venu bien avant. Vivant, il �tait mort.
Une nuit, apr�s avoir cri� si fort et si longtemps, il s'est soudainement tu pour toujours. La mort le rappelait. Il y est all�. Il y est entr�, secou� de larmes. Des larmes qui ne l'ont plus quitt�.
Seule cette langue lui est rest�e. Moi je l'ai �cout�e durer.




Moze est mort avant sa mort.
Ses pleurs, c'�tait sa mort qui g�missait. Debout, la nuit, dehors, dedans, seul ou avec nous, une affection de larmes. Une mort qui dure.
Il n'�tait que ce d�bordement sans voix. Un r�le, � la mani�re sourde d'une bouche ouverte.




Moze est un suppl�tif de l'arm�e fran�aise. Il a rejoint ses compagnons d'armes le 11 novembre 1991. � 8 h 30, on l'a vu qui saluait le monument aux victimes de la Grande Guerre. � 9 h 15, deux chasseurs le trouvaient noy� flottant dans l'�tang communal. Ses lunettes et son chapeau �taient pr�s de lui.




Moze n'a pas parl�. Il a cess�. Il ne parlera plus. De ce qui l'a tu�, de ce qu'il a compris, il n'a rien dit. Ce que sa langue ne suffisait pas � dire, c'est le syst�me qui permit � l'�tat fran�ais de fabriquer une arm�e de soldatmorts sans se soucier qu'ils �taient des hommes.




Il y a eu des milliers de corps perdus. Et aussi 100 000 voire 150 000 corps tu�s. Morts oblig�s, morts m�pris�s, morts dans le silence, morts dans la honte.
Ces soldatmorts n'�taient pas des hommes. Ils furent abandonn�s pour �tre tu�s. Tu�s durant des semaines. Tu�s par les leurs. Les fr�res h�ros devenus. Tu�s devant leurs m�res, devant leurs s�urs, tu�s devant leurs femmes, devant leurs enfants, leurs enfants vivants encore. Tu�s par les leurs. Les fr�res h�ros.




L�-bas homme vivant.
Enfant qui a vu son p�re tu�.
Tu� par ce fr�re h�ros devenu.
Fille, f1ls, de p�re-soldatmort-faux-fran�ais-tra�tre, m�me douleur.
Ton p�re, l'ignor�-fran�ais-indig�ne-arabe, il fallait le tuer. L'abandonner pour �tre tu�.




Toi, chair de rien, soldatmort, il fallait te tuer.
Te montrer mort. T'exhiber.
Ne pas te laisser partir.
Toi, chair de rien, chair de vengeance.
Il fallait te tuer.




� la guerrrrrrrrrrrrre soldatmort.
Leurre de l'ennemi d�j� en fuite.
Que le combat guerrier ait lieu.
Que la haine finale advienne !





Moze n'a pas �t� tu�.
Il fut arr�t�, tortur�, intern�, vendu, d�plac�, recel�, achet�, d�plac�. Il ne fut pas tu�.
Durant cinq ann�es, il fut intern�, transf�r�, frapp�, n�goci�, rachet�, emprisonn�, tortur�, recel�, d�plac�, frapp�, vendu, rachet�.
C'est � cette �preuve qu'il doit sa survie. N'�tant rien, rien il n'est devenu. On l'a laiss� sortir un jour, un jour pour voir. Ce jour-l� il s'est enfui.





Cet homme concerne l'histoire. Il n'en est pourtant pas. Il n'aurait pas d� �tre. On le nomme vite, tr�s vite, harki.
Harki est le mot pacte qui le d�signe. Le mot que ses enfants doivent dire, pour dire qu'ils sont ici par ce p�re qui l'est; parce qu'ils sont enfants de... Je me dis, je me d�signe, enfant de �a! Le dire ce mot qui me justifie. Ce qui me justifie est...




Harki est sa peine, celle qui l'assigne ici, qui lui interdit l'ailleurs, ailleurs n'existant pas pour lui qui n'est l� que par le pacte tra�tre qui l'unit � ce pays-prison-de-son-p�re et � aucun autre. Aucun autre o� il peut �n�grer sans nier qu'il s'exile de la honte de ce qu'ici il est dans la prison de son p�re, prisonnier de lui qui attend que justice arrive, ne pouvant s'exiler, prisonnier de France, fils-aux-pieds-de-son-p�re-absent-d�j�-mort, prisonnier de ce p�remort, roul� vivant dans son caveau, vivant tendu, le mal d'�tre l� encore, dans l'attente d'entendre autrement la sentence qui lui dira, Nous l'avons tromp�. Meurs, toi, maintenant pour lui dans la dignit�.




J'ai dit que Moze ne parlait pas. Sans langue, il �tait aussi sans territoire. Ni nomade ni apatride, ni errant ni exil�, il serait ce qu'une autre langue, celle de l'injure faite � l'homme, d�signe comme un banni, un �tre indigne. C'�tait une esp�ce d'homme.




Ceregardinsoutenable, cettefigureextr�medelaculpabilit�, je veux m'en d�faire. Je ne veux pourtant pas l'innocenter. Qu'en est-il de cette faute ? Celle que je porte, qui n'est pas mienne et que je ne peux pardonner ? Comment sortir seule d'une culpabilit� endoss�e ? Cette vie donn�e au berceau.





La faute de Moze, je veux dire qu'elle est ma chair et mon habit. J'ai v�cu le monde d'ici en cette houle et cette enveloppe. Seule elle m'a amen�e l�. Et ce pays qui ne me voulait pas m'a prise contraint. Taire qu'il ne me voulait pas. Son obligation envers moi, il s'y est r�solu honteusement, comme �tait honteuse, aussi, l'identit� impossible de Moze. Je ne suis pas coupable d'�tre arriv�e � l'endroit d'o� je vous parle. Je ne pouvais �chapper � sa vie. Elle m'a contenue jusqu'� sa fin.
Par l'�criture je sais que je l'expose et le r�duis. Par l'�criture je me d�fais de lui et vous le remets. Mais je rappelle, �tant sa fille, que je suis aussi ce qui est venu par lui et qui le continue. Un legs. Une ex�cution testamentaire ouverte par son salut aux morts.
Je suis parole de mort faisant serment non pas de mort,
mais faisant serment avec la mort comme parole. Moze m'a offert la sienne.





Moze, de Zahia Rahmani

Sabine Wiespeser Editeur,
200 pages, 16�


Zahia Rahmani



 
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