Aurore

Jean-Paul Enthoven
Editions Grasset©, 2001

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Avant de rencontrer Aurore, je ne savais pas que l'amour �tait un lent processus d'an�antissement. Et je ne savais pas davantage, avant qu'elle ne me l'appr�t, qu'il y avait, au terme de ce processus, un miroir dans lequel le hasard impose de s'observer, puis de d�couvrir avec d�pit qui l'on est. Ce fut, dans mon cas, une intoxication m�ticuleuse. Une noyade. Un enchev�trement de cha�nes mentales, de causes et d'effets, dont l'ensemble pr�cipita des �v�nements o� je me suis cru subjugu� par un ennemi habile alors que j'y �tais mon seul tyran.

Certains pr�tendent que, dans cette exp�rience, on meurt utilement, et afin d'acc�der � un destin mieux accompli. Ils se trompent. Ou ils mentent. Car j'ai pu v�rifier, � la faveur d'une histoire singuli�re, que l'amour n'impose que la compagnie d'une part inutile de soi-m�me. Et que l'on s'y mesure � une d�ch�ance qui aurait pu, aussi bien, en choisir un autre.

Cette d�ch�ance, que j'ai d'abord accueillie sans d�plaisir, ne m�rite aucun �gard. Elle est cruelle, orgueilleuse, d�testable. Elle trouve sa source dans des arri�re-mondes o� il vaut mieux ne pas s'attarder. C'est un mauvais ma�tre dont le pouvoir tient � l'avidit� de celui qui lui r�clame sa dose d'humiliation. Est-il m�me indispensable, apr�s tout, de d�couvrir qui l'on est ? Et n'y a-t-il pas plus de joie � se m�conna�tre, et � se perdre de vue ?

Avant de rencontrer Aurore, je n'avais, de moi-m�me, qu'une perception vague mais heureuse. J'avan�ais � mon rythme. Je posais sur les �tres et les choses un regard indiff�rent. J'�tais inachev�, mais une vie m'attendait dans cet inach�vement? Je ne savais pas, � cette �poque, que l'amour d�vore par pr�dilection ceux qui exigent chacun des supplices qu'il promet."

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