Le temps d'une chute Claire Wolniewicz Viviane Hamy

Prix éditeur 15.00 euros

Madelaine Delisle, couturi�re talentueuse, est d�sormais �g�e. Victime d�une curiosit� acrobatique, elle chute de son balcon. Un saut suffisamment long pour se rem�morer sa vie et nous la faire d�filer le temps de ces pages, sous toutes ses coutures�

Lorsque Madelaine fait son entr�e dans le monde, elle ne semble rien avoir � envier � Cosette. Si elle n�est pas directement maltrait�e, sa m�re l�est certainement. Malade et d�laiss�e par son mari, elle meurt alors que Madelaine est encore toute jeune. Son p�re l�abandonne � son tour aux mains de religieuses. Hors de question n�anmoins pour Madelaine de s�enfermer dans la bigoterie ni de s�apitoyer sur son sort puisqu�elle cherche � tout prix � �viter de reproduire la soumission maternelle. Son passage au couvent ne fait donc que durcir son caract�re et la conforter dans l�id�e qu�elle est diff�rente des autres. Cette t�nacit� � la marge sera d�ailleurs le marqueur de sa vie pour de nombreuses ann�es. Elle gagnera en effet la confiance de madame Volladier, couturi�re � Limoges, dont les apprenties fuient habituellement l�ire au bout de quelques jours. Car, bien vite, elle s��chappe du couvent et prend la voie de l�apprentissage. Demeurant insensible aux mots durs, elle d�veloppe son imagination et attise sa cr�ativit� � la vue des gravures et photographies de modes amass�es dans le grenier de sa propri�taire. Des passages touchants au cours desquels on a l�impression de feuilleter ces revues des ann�es folles avec le m�me plaisir que la jeune fille tellement les descriptions soign�es et le vocabulaire pr�cis permettent � ces �vocations visuelles de surgir des pages.
Mais plus encore que par ces dessins, c�est par le regard des clientes qu�elle apprend : en appr�hendant le changement, la joie qui s�instille dans leurs yeux lorsqu�elle parvient � les transformer gr�ce � une savante cr�ation couturi�re. Apprivoisant coutures, points et tissus, c�est cette lueur qu�elle va d�sormais chercher � faire surgir en s�appliquant � chaque mod�le.

Robe, jupe, corset, caraco, soie, mousseline, satin�

Pass� cette p�riode d�apprentissage et refusant toute forme de stagnation pour elle-m�me comme pour les autres, elle d�cide de quitter ses � petites � clientes de la � petite ville � de Limoges friandes de � petits m�trages � et de tenter sa chance dans la capitale afin de se permettre enfin de penser grand.
Soudain, alors que son existence semblait quelque peu d�connect�e des �v�nements historiques, l�actualit� la rattrape : la seconde guerre mondiale �clate. Mais l� encore, elle semble comme en retrait, tellement les cr�ations et la vie de son atelier l�absorbent. Si elle conna�t ce conflit, c�est plus � travers les restrictions de tissus et la sollicitation croissante de v�tements confortables pour ces dames qui assurent les arri�res en prenant le relais des hommes envoy�s au front, qu�elle le per�oit. Loin des champs de bataille, Madelaine y trouve une source de stimulation de sa cr�ativit�, contribuant � sa mani�re � l�effort de guerre. Cette derni�re la rattrapera n�anmoins en la personne de Tadeuz, son deuxi�me amour apr�s la couture : jeune m�decin rescap� des camps de concentration, joyeux � ses heures mais hant� par les images noires de la d�portation� Ce qui le m�nera � rechercher les voies d�une entr�e en politique.
Loin de tout cela, Madelaine s�obstine � cr�er des mod�les toujours plus pratiques et plus confortables. Plus que tout, elle abhorre l�artifice inutile et l�engoncement. La cliente est reine, mais elle lui doit beaut� et allure. Non pas comme une forme de soumission mais bien au contraire comme un service. A sa petite �chelle, elle se voit comme investie d�une mission envers la condition f�minine : sans slogan ni poing lev�, asservir le tissu au service de la libert� des femmes. L�aspect ne doit jamais le c�der au confort.
Bien que refusant toute instrumentalisation ou implication politique, le parcours de Madelaine, qui croise les chemins des plus grands cr�ateurs de la mode fran�aise du XX� si�cle, illustre ce balancement permanent du statut de la haute couture entre cr�ation presque artistique, voire porteuse de revendications citoyennes � notamment pour la femme - et son ad�quation, ou non avec la vie quotidienne. Madelaine se verrait presque comme la moins macabre des Parques, telle une Clotho qui tisse ne serait-ce que certains fils des destin�es humaines, pourvoyeuse de confort et d�un joyeux superflu. Un r�le qu�elle prend tellement � c�ur qu�elle a tendance � n�gliger sa fibre maternelle, comme si le trop-plein d�affection qu�elle porte � ses cr�ations textiles la privait de la disponibilit� pour accomplir son devoir filial� En t�moignent les �num�rations de tissus et de tenues, emplies d�une d�lectation comparable � celle que l�on peut �prouver devant une vitrine de p�tisseries.
Dressant un portrait de femme � la fois tendre, moderne et intransigeante, Claire Wolniewicz nous d�voile l�envers des paillettes d�un univers que l�on ne conna�t souvent que fugacement au travers des d�fil�s et qui ferait presque regretter l��re du pr�t-�-porter.

Laurence Bourgeon