Les autres Alice Ferney Actes Sud

Prix éditeur 21.00 euros

Une f�te d�anniversaire, un jeu pas si innocent sur la personnalit�, et voici le destin des convives qui vacille. Les autres, sixi�me roman d�Alice Ferney est une pierre � double tranchant

Six ans d�j� depuis l�enchantement de La Conversation amoureuse, trois depuis la s�lection de Dans la guerre au Goncourt, Alice Ferney trace avec r�gularit� son empreinte dans le paysage litt�raire fran�ais. Depuis Gr�ce et d�nuement en 1997, cette auteur a pris l�habitude de m�rir trois ans chacun de ses romans. Les autres n��chappe pas � la r�gle, et se pr�sente comme un joli pav� rose de 531 pages. On h�site, on se demande si on arrivera au terme et puis on ouvre la premi�re page. Tiens, une pr�sentation comme au th��tre, puis des monologues : �trange� Voici notre curiosit� d�finitivement piqu�e.
A notre tour de vous pr�senter les protagonistes : il y a d�abord Nina, la grand-m�re centenaire qui s�appr�te � partir en maison de retraite ; puis sa fille, la tendre Moussia, d�laiss�e depuis des ann�es par son mari Luc, mais qui a toujours sauvegard� les apparences pour ses enfants, Niels le mal aim�, brutal, provocateur, insupportable et Th�o, le pr�f�r�, doux, compr�hensif, polisseur d�angle. Th�o va bient�t �pouser l�adorable Estelle, intelligente et secr�te. Ce soir, Claude, le meilleur ami de Niels, pr�tentieux, content de lui, est l� avec sa fianc�e, la jolie, riche et apparemment frivole, Fleur. Enfin, est �galement pr�sente Marina, la r�volt�e permanente, meilleure amie de Th�o, venue avec son fils de 4 ans, Arthur � qui on ne conna�t pas de p�re. Pour l�anniversaire de Th�o, le perfide Niels offre � son fr�re un jeu, cens� �clairer les participants sur leur personnalit�, vue par eux m�mes mais surtout par les autres. On s�en doutait, c��tait une tr�s mauvaise id�e.

M�mento

L�art de foutre la merde en s�amusant, tel est, � peu pr�s, le but non avou� de ce jeu auquel Niels, le vilain strat�ge, persuade les autres invit�s, nettement plus dubitatifs, de jouer. Alors bien s�r, comme attendu par notre malsaine - mais si humaine - curiosit�, il y aura des surprises, parfois tr�s grosses, qui seront r�v�l�es et on r�sistera courageusement � l�envie de vous les dire. Mais l� n�est pas l�important. Ce qui a amus� Alice Ferney dans ce livre, c�est avant tout sa construction narrative, elle aussi �crite comme un jeu de points de vue.
En effet, au bout de la premi�re partie, soit au premier tiers du livre, la soir�e s�est �coul�e, achev�e, les lecteurs comme les personnages sont au courant de tous les fameux secrets. Alors que la succession de leurs monologues nous inqui�tait par sa troublante ressemblance avec le Dolce Agonia de l�excellente Nancy Huston, la seconde partie nous rassure. Le livre y reprend � son point de d�part, avec une cam�ra non plus dans la t�te des protagonistes, mais dans la pi�ce o� ils sont r�unis. La premi�re partie s�intitule � Choses pens�es �, la seconde � Choses dites �. On a enfin saisi le concept et on s�amuse comme l�auteur, de l��tonnante distorsion entre les mots et les pens�es, entre ce que l�on pense �tre et ce que l�on donne � voir, volontairement ou malgr� nous.

Le poids des mots

Ce qu�on a toujours aim� chez Alice Ferney, c�est sa fa�on si douce, si tendre, si po�tique m�me, de dire la v�rit� des choses, des sentiments, elle au contraire souvent dure. En ce sens, on aurait envie de vous lire la moiti� du livre qui regorge de ces petites formules lapidaires vous allant droit au c�ur, qui frappent en caressant, qui vous r�v�le ce que vous savez d�j�. On se contentera de quelques phrases, telle celle de Luc, la nuit o� il r�alise qu�il n�aime plus Moussia � j�ai pris sa main dans la mienne et me suis endormi en la serrant, elle pouvait croire que c��tait l� notre complicit� et mon amour, pourtant c��tait ma piti� pour elle � ; ou bien cette consid�ration de la pas si l�g�re Fleur : � Au d�but de l�amour, il n�y a ni qualit�, ni d�faut, il n�y a que l�amour. Un peu plus tard, toute la vie nous est rendue ! �, ou encore cette r�flexion de th�o regardant sa m�re � n�est-ce pas (�) une r�gle singuli�re de la relation aux autres que nous les voyions mieux lorsqu�ils ne nous regardent pas ? �, etc.
Sp�cialit� de notre �crivain, se faire plus na�ve qu�elle n�est et r�v�ler quand on ne s�y attend plus la face obscure des histoires qu�elle raconte. A ce sujet, la derni�re partie du livre, � Choses rapport�es �, a ainsi cet avantage de nous faire d�couvrir tout ce qu�on a d�j� entendu sous un autre angle, plus authentique, qui nous livre la v�ritable nature des liens qui unissent nos joueurs, et continue donc de nous surprendre.
Au milieu de ses louanges, on adressera toutefois quelques reproches. On avouera ainsi qu�on aurait aim� un texte un tout petit peu plus court, un peu moins dans cette �laboration d�une forme parfaite, certaines discussions finissant par manquer, � force, de naturel. En ce sens, le personnage d�Estelle notamment est un peu trop sentencieux, parlant presque comme un livre !

Cependant, ce serait de la mauvaise foi que de nier le plaisir qu�on a pris � lire cette auteur dont les pr�occupations nous touchent par leur proximit�, dont le style est toujours travaill� avec gr�ce. Et on esp�re qu�elle ne nous en voudra pas, parmi le floril�ge de belles phrases dont elle nous a g�t�, d�avoir choisi la plus simple pour en symboliser le c�ur, dernier mots d�une vieille femme qui va mourir :
� J�entends vos rires �.

Ma�a Gabily