L’hexagone en forme de livre

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Lire n’est plus une simple fête. Cette année, ce sont les lecteurs qui deviennent les acteurs et la manifestation « A vous de lire » remplace donc « Lire en fête ». Pendant quatre jours, du 27 au 30 mai, le ministère de la culture organise un peu partout et même ailleurs, différentes activités autour de la lecture. Dans le désordre, tout ce qui a trait à la lecture sera à l’honneur, dans les cafés, les parcs, les prisons, les hôpitaux. Même la SNCF se met à la page avec un « passe livre » où le temps d’un voyage, le passager devient lecteur. Et parce qu’on ne peut plus organiser une manifestation littéraire sans s’intéresser à la jeunesse, un kit pédagogique à usage scolaire de « la lecture autonome », sera distribué aux classes de CM1 et CM2, afin d’initier les enfants au monde des livres et à ses métiers. Au milieu de ce livre national François Busnel consacrera sa « Grande librairie » sur France 5 à l’événement, le jour de l’inauguration.
Toutes les infos sur le site du Centre national du livre.
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Le futur antérieur d’Antoine Buéno

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Le futur antérieur d’Antoine Buéno
Inquiétant ? Certes. Mégalo ? Sûrement. Talentueux ? Pour sûr. Délirant ? Pas tant que ça. Dans une des entreprises littéraires les plus ambitieuses de ces dernières années, Antoine Buéno dessine la France des années 2500 dans Le soupir de l’immortel, premier tome d’une Histoire pas encore écrite.
Après lecture du Soupir de l’immortel, la première influence évidente est celle de Yapou, bétail humain, du Japonais fou Shozo Numa. L’intuition est elle bonne ?
Ah, oui ! C’est une tuerie ce livre, l’un de mes livres cultes ! Je l’enseigne d’ailleurs à mes étudiants à Science Po. Le sort de ce bouquin est incroyable, cet ouvrage, qui a extrêmement choqué après Guerre au Japon, est resté totalement inconnu jusqu’à la courageuse traduction de Laurence Viallet, dans sa collection Désordres. Qui a d’ailleurs disparue depuis.
Comment doit-on appeler ta littérature ? Science-fiction ? Anticipation ?
Je préfère le terme de prospectiviste, Je m’intéresse à ce que pourrait devenir le monde : le terme de prospectiviste embrasse à la fois le roman et l’essai, alors que l’anticipation se cantonne à la fiction. Je considère ce livre comme mon premier roman, le début d’un cycle [Antoine Buéno est déjà l’auteur de trois romans, dont Spectateurs et Le tryptique de l’asphyxie, NDLR] : il m’a fallu 10 ans de maturation pour définir mon projet d’écriture, qui est beaucoup plus large.
Tu considères la mort comme une maladie curable dans le futur du soupir de l’immortel, quel impact sur l’humanité en 2500 après JC ?
On est à la veille d’une transition hallucinante comme l’humanité n’en a jamais connu, qui est de double nature : énergético-climatique, d’une part et l’autre, dont on a moins conscience : démographique. On va pouvoir allonger substantiellement l’espérance de vie sous peu, voire accéder à une forme d’immortalité. Le choc pour nos sociétés sera extraordinaire et mon projet d’écriture s’articule autour de cela : on peut maitriser cette transition – ce que je décris dans Le soupir ou la rater complètement. Un scénario intermédiaire ou une partie de l’humanité accède à la Maîtrise pendant que l’autre sombre est en réalité le plus probable. Le scénario de la Démaitrise est très présent dans des films comme Mad max ou Waterworld. Au contraire, le scénario de la maîtrise est assez peu représenté, c’est d’ailleurs pour cela que je l’ai choisi pour mon premier. Le scénario « intermédiaire » est beaucoup mieux représenté, avec des gens comme Enki Bilal ou Maurice G. Dantec. Mon projet est de développer un cycle de livre par branche. Le Soupir de l’immortel représente le scénario de la maîtrise et même de la maîtrise aboutie, il en sera d’ailleurs le livre-pivot. Dans une optique positiviste, voire scientiste du futur.
La révolution décrite dans Le Soupir est « gentille » : tout se résout dans une orgie de sexe et de paintball. La mort écartée, toute violence est elle devenue impossible ?
Le monde que je décris est gentil parce que tu le regardes à travers les lunettes d’un monde barbare qui est le nôtre, où la violence est grande. Tout est relatif ! Pour les gens de cette époque future, ce qui se passe est affreux. Le monde que je décris est dingo mais super crédible : dans Le soupir, je ne voulais pas verser dans l’utopie : il y a et aura de la jalousie de la haine, de l’envie, de l’ennui, des luttes de pouvoir… L’humain ne changera pas malgré l’immortalité et l’absence de guerre. A moins que l’on décide de changer certains paramètres humains : il est possible que l’on entérine que le corps humain dans sa configuration organique n’est plus adapté et qu’on le remodèle totalement.
La grippe du soupir décrite dans le livre a des résonances très actuelles : on pense immédiatement à la grippe A…
Je décris l’émergence d’un H5N9 recombiné avec une souche botulinique, très méchante : plus la technologie avancera plus nous serons vulnérables à des choses qui nous paraissent aujourd’hui dérisoires. L’humanité peut oublier les dangers qui la menacent : la grippe du soupir est un gros clin d’œil à nos hantises actuelles.
Un peu comme dans la Guerre des mondes, où les extraterrestres qui débarquent sur Terre meurent tous à cause des virus et bactéries terriennes…
Oui, sauf que je suis persuadé que la première chose que ferait n’importe quel extraterrestre en débarquant sur Terre serait d’analyser l’environnement !
Le roman est ultra référencé ; il est par exemple question du Quiétus il s’agit bien d’une situation directe des Fils de l’homme, où ce médicament sert à se suicider ?
Exactement, il fallait le trouver. Il y a deux ou trois niveaux de citations. Le premier niveau est explicite, par exemple Tom Cruise, qui apparaît dans le livre ou le langage – le Nadsat – qu’a inventé Burgess dans Orange mécanique. Le deuxième est semi-explicite et puis il y a de nombreux clins d’œil, comme le combat entre Marvin et son domicile, une intelligence artificielle devenue folle, qui fait évidemment penser à 2001, l’odyssée de l’espace.
Autre référence surprenante : les raps érigés au rang de musique classique qu’écoutent tous tes personnages dans le livre !
Une musicologue m’a critiqué en doutant que le rap serait retenu de telle façon dans 500 ans. Et intellectuellement, je pense qu’elle a raison. Simplement il y a un tel décalage entre le statut du rap dans notre monde et dans celui que j’imagine que cela m’amusait. Il y a beaucoup d’autres choses dans le livre que je considère comme improbable mais que j’y ai tout de même placé, comme les couveuses, qui permettent des grossesses extra-utérines, je pense que cela ne se fera pas parce que c’est trop cher. Même si techniquement, cela deviendra possible. Pour séparer le sexe de la procréation, un système d’autorisation suffit. Un peu comme en Chine même s’ils sont en train de revenir dessus, ce qui me rend d’ailleurs extrêmement pessimiste pour l’avenir. Ils ont pour l’instant retardé le pire mais imaginez une seconde un monde avec une bagnole par Chinois ! Nous sommes à point de non-retour. Un économiste, Howard, l’avait prévu dans les années 60 mais personne ne l’avait cru : il disait qu’une fois la moitié de nos ressources pétrolières, la consommation de l’autre moitié irait très vite. Nous y sommes.
La religion a un statut étrange dans le roman : les hommes l’ont pratiquement abandonné, ce sont les intelligences artificielles qui les pratiquent, pourquoi ce choix ?
Toute explication consciente du monde est un mélange de pensée magique et de pensée rationnelle : c’est comme ça que j’en suis venu à rendre mes IA religieuses dans Le Soupir. Pour faire des IA, il fallait leur inculquer cette forme d’intelligence que les hommes avaient perdu en cours de route. Je voulais que la dichotomie soit claire, presque caricaturale : je pense en réalité que les hommes resteront toujours en partie religieux.
Le paradigme actuel, c’est le développement de la Chine et de l’Inde, on ne retiendra pas les guerres de religion à moins que l’on aboutisse à la démaîtrise suite à ce développement où là les guerres de religions reprendront la priorité.
Les thèses que tu exposes dans tes romans, comptes-tu les développer sous une autre forme ?
J’ai trois ou quatre essais dont les argumentaires sont prêts, reste à les vendre. Ce sont des bombes atomiques ! L’un portera sur les thèmes de l’islamisme et de l’écologie. Mais au final le système fait que le contenu des livres importe peu si tu ne fais pas partie des 20 ou 25 qui se partagent le gâteau médiatique. Les cas Florian Zeller sont l’exception et pourtant j’ai tout fait comme lui [Science po et… Zone littéraire, NDLR]. Le savoir-faire de séduction est fondamental : si tu ne sais pas te vendre… Moi je fais plutôt fonctionner le bouche à oreille. Ma monographie sur les schtroumphs [Le tryptique de l’asphyxie, NDLR] est passée complètement inaperçue, alors que tous les gens qui l’ont lu m’ont assuré l’avoir aimé ! Je suppose que c’est l’habituelle complainte de l’auteur…
Chargé de mission au Sénat, issu de Science po, tu n’a pas nécessairement un cursus d’écrivain, cela a-t-il nourri Le Soupir de l’immortel ?
Ce livre, je le dois à ma prép’ENA, qui remonte à 2002 ! Ce genre de formation donne un vernis de réflexion en sociologie en éco en droit… Je n’aurais pas pu dégager cette complexité dans monde que j’ai inventé sans ce passage par la préparatoire.
Le soupir de l’immortel
Antoine Buéno
Ed. Héloïse d’Ormesson
640 p. – 20 euros
buenoInquiétant ? Certes. Mégalo ? Sûrement. Talentueux ? Pour sûr. Délirant ? Pas tant que ça. Première interview dans la Zone de cette rentrée 2009.
Dans une des entreprises littéraires les plus ambitieuses de ces dernières années, Antoine Buéno dessine la France des années 2500 dans Le Soupir de l’immortel, premier tome d’une Histoire pas encore écrite.

Après lecture du Soupir de l’immortel, la première influence évidente est celle de Yapou, bétail humain, du Japonais fou Shozo Numa. L’intuition est elle bonne ?

Ah, oui ! C’est une tuerie ce livre, l’un de mes livres cultes ! Je l’enseigne d’ailleurs à mes étudiants à Science Po. Le sort de ce bouquin est incroyable, cet ouvrage, qui a extrêmement choqué après Guerre au Japon, est resté totalement inconnu jusqu’à la courageuse traduction de Laurence Viallet, dans sa collection Désordres. Qui a d’ailleurs disparue depuis.

Comment doit-on appeler ta littérature ? Science-fiction ? Anticipation ?

Je préfère le terme de prospectiviste, Je m’intéresse à ce que pourrait devenir le monde : le terme de prospectiviste embrasse à la fois le roman et l’essai, alors que l’anticipation se cantonne à la fiction. Je considère ce livre comme mon premier roman, le début d’un cycle [Antoine Buéno est déjà l’auteur de trois romans, dont Spectateurs et Le tryptique de l’asphyxie, NDLR] : il m’a fallu 10 ans de maturation pour définir mon projet d’écriture, qui
est beaucoup plus large.

Tu considères la mort comme une maladie curable dans le futur du Soupir de l’immortel, quel impact sur l’humanité en 2500 après JC ?

On est à la veille d’une transition hallucinante comme l’humanité n’en a jamais connu, qui est de double nature : énergético-climatique, d’une part et l’autre, dont on a moins conscience : démographique. On va pouvoir allonger substantiellement l’espérance de vie sous peu, voire accéder à une forme d’immortalité. Le choc pour nos sociétés sera extraordinaire et mon projet d’écriture s’articule autour de cela : on peut maitriser cette transition – ce que je décris dans Le soupir ou la rater complètement. Un scénario intermédiaire ou une partie de l’humanité accède à la Maîtrise pendant que l’autre sombre est en réalité le plus probable. Le scénario de la Démaitrise est très présent dans des films comme Mad max ou Waterworld. Au contraire, le scénario de la maîtrise est assez peu représenté, c’est d’ailleurs pour cela que je l’ai choisi pour mon premier. Le scénario « intermédiaire » est beaucoup mieux représenté, avec des gens comme Enki Bilal ou Maurice G. Dantec. Mon projet est de développer un cycle de livre par branche. Le
Soupir de l’immortel représente le scénario de la maîtrise et même de la maîtrise aboutie, il en sera d’ailleurs le livre-pivot. Dans une optique positiviste, voire scientiste du futur.

La révolution décrite dans Le Soupir est « gentille » : tout se résout dans une orgie de sexe et de paintball. La mort écartée, toute violence est elle devenue impossible ?

Le monde que je décris est gentil parce que tu le regardes à travers les lunettes d’un monde barbare qui est le nôtre, où la violence est grande. Tout est relatif ! Pour les gens de cette époque future, ce qui se passe est affreux. Le monde que je décris est dingo mais super crédible : dans Le soupir, je ne voulais pas verser dans l’utopie : il y a et aura de la jalousie de la haine, de l’envie, de l’ennui, des luttes de pouvoir… L’humain ne changera pas malgré l’immortalité et l’absence de guerre. A moins que l’on décide de changer certains paramètres humains : il est possible que l’on entérine que le corps humain dans sa configuration organique n’est plus adapté et qu’on le remodèle totalement.

La grippe du soupir décrite dans le livre a des résonances très actuelles : on pense immédiatement à la grippe A…

Je décris l’émergence d’un H5N9 recombiné avec une souche botulinique, très méchante : plus la technologie avancera plus nous serons vulnérables à des choses qui nous paraissent aujourd’hui dérisoires. L’humanité peut oublier les dangers qui la menacent : la grippe du soupir est un gros clin d’œil à nos hantises actuelles.

Un peu comme dans La Guerre des mondes, où les extraterrestres qui débarquent sur Terre meurent tous à cause des virus et bactéries terriennes…

Oui, sauf que je suis persuadé que la première chose que ferait n’importe quel extraterrestre en débarquant sur Terre serait d’analyser l’environnement !

Le roman est ultra référencé ; il est par exemple question du Quiétus il s’agit bien d’une citation directe des Fils de l’homme, où ce médicament sert à se suicider ?

Exactement, il fallait le trouver. Il y a deux ou trois niveaux de citations. Le premier niveau est explicite, par exemple Tom Cruise, qui apparaît dans le livre ou le langage – le Nadsat – qu’a inventé Burgess dans Orange mécanique. Le deuxième est semi-explicite et puis il y a de nombreux clins d’œil,
comme le combat entre Marvin et son domicile, une intelligence artificielle devenue folle, qui fait évidemment penser à 2001, l’odyssée de l’espace.

Autre référence surprenante : les raps érigés au rang de musique classique qu’écoutent tous tes personnages dans le livre !

Une musicologue m’a critiqué en doutant que le rap serait retenu de telle façon dans 500 ans. Et intellectuellement, je pense qu’elle a raison. Simplement il y a un tel décalage entre le statut du rap dans notre monde et dans celui que j’imagine que cela m’amusait. Il y a beaucoup d’autres choses dans le livre que je considère comme improbable mais que j’y ai tout de même placé, comme les couveuses, qui permettent des grossesses extra-utérines, je pense que cela ne se fera pas parce que c’est trop cher. Même si techniquement, cela deviendra possible. Pour séparer le sexe de la procréation, un système d’autorisation suffit. Un peu comme en Chine même s’ils sont en train de revenir dessus, ce qui me rend d’ailleurs extrêmement pessimiste pour l’avenir. Ils ont pour l’instant retardé le pire mais imaginez une seconde un monde avec une bagnole par Chinois ! Nous
sommes à point de non-retour. Un économiste, Howard, l’avait prévu dans les années 60 mais personne ne l’avait cru : il disait qu’une fois la moitié de nos ressources pétrolières, la consommation de l’autre moitié irait très vite. Nous y sommes.

La religion a un statut étrange dans le roman : les hommes l’ont pratiquement abandonné, ce sont les intelligences artificielles (IA) qui les pratiquent, pourquoi ce choix ?

Toute explication consciente du monde est un mélange de pensée magique et de pensée rationnelle : c’est comme ça que j’en suis venu à rendre mes IA religieuses dans Le Soupir. Pour faire des IA, il fallait leur inculquer cette forme d’intelligence que les hommes avaient perdu en cours de route. Je
voulais que la dichotomie soit claire, presque caricaturale : je pense en réalité que les hommes resteront toujours en partie religieux. Le paradigme actuel, c’est le développement de la Chine et de l’Inde, l'Histoire ne retiendra pas de notre présent les guerres de religion à moins que l’on aboutisse à la démaîtrise suite à ce développement. A ce moment-là, les guerres de religions reprendront la priorité.

Les thèses que tu exposes dans tes romans, comptes-tu les développer sous une autre forme ?

J’ai trois ou quatre essais dont les argumentaires sont prêts, reste à les vendre. Ce sont des bombes atomiques ! L’un portera sur les thèmes de l’islamisme et de l’écologie. Mais au final le système fait que le contenu des livres importe peu si tu ne fais pas partie des 20 ou 25 qui se partagent le gâteau médiatique. Les cas Florian Zeller sont l’exception et pourtant j’ai tout fait comme lui [Science po et… Zone littéraire, NDLR]. Le savoir-faire de séduction est fon damental : si tu ne sais pas te vendre… Moi je fais plutôt fonctionner le bouche à oreille. Ma monographie sur les schtroumphs [Le tryptique de l’asphyxie, NDLR] est passée complètement inaperçue, alors que tous les gens qui l’ont lu m’ont assuré l’avoir aimé ! Je suppose que c’est l’habituelle complainte de l’auteur…

Chargé de mission au Sénat, issu de Science po, tu n’a pas nécessairement un cursus d’écrivain, cela a-t-il nourri Le Soupir de l’immortel ?

Ce livre, je le dois à ma prép’ENA, qui remonte à 2002 ! Ce genre de formation donne un vernis de réflexion en sociologie en éco en droit… Je n’aurais
pas pu dégager cette complexité dans monde que j’ai inventé sans ce passage par la préparatoire.

immortelLe soupir de l’immortel
Antoine Buéno
Ed. Héloïse d’Ormesson
640 p. – 20 euros
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Des livres et vous: Aurélien Recoing

Published in Interviews

aurelienrecoingZone Littéraire relance un rendez-vous de lecteur : régulièrement, une personnalité revisite les lectures marquantes de sa vie. C’est l’acteur Aurélien Recoing, actuellement au cinéma dans Demain, dès l’aube, qui a accepté d’inaugurer ce nouveau départ.

Quel est le premier livre que vous avez lu ?
Les premiers « vrais » livres ont été Des Souris et des hommes de Steinbeck, et À l’Ouest, rien de nouveau de Erich Maria Remarque, que j’ai lus très jeune, vers 7 ans. Je sais que ça fait jeune pour lire ça… En fait, on lisait beaucoup dans ma famille, initiés par ma mère qui reste une grande lectrice. Nous étions quatre frères. On se réunissait au salon et on partageait des moments de lecture à voix haute, notamment Jules Verne ou des contes, de Grimm à Andersen en passant par Marcel Aymé, Perrault, etc. Ceux-là ont été les premiers livres.

Le livre de vos 17 ans ?
Ça doit être Au dessous du volcan, de Malcolm Lowry. À la même époque, Tête d’or, une pièce de Claudel. J’ai énormément lu de littérature jusqu’à 17-18 ans : trois ou quatre livres par semaine.

Le livre que vous avez le plus lu ?
L’œuvre de Paul Auster peut-être. Le Livre des illusions, notamment, reste pour moi un chef d’œuvre. Mais je ne les ai pas relus beaucoup. Je sais que je suis pas mal revenu à Steinbeck, à Victor Hugo : plusieurs fois Les Travailleurs de la mer, également Quatre-vingt treize. En fait, je relis plutôt des classiques. Et puis aussi, encore et surtout, Au dessous du volcan.

Le livre qui vous a fait le plus rire ?
(Silence) Peut-être n’ai-je pas lu de livres drôles ! Si, quand même, je crois que Le Procès de Kafka m’avait fait vraiment rire. Vers 14-15 ans, Kafka a beaucoup nourri mon imaginaire. Ses livres dégageaient un humour auquel j’étais sensible.

Le livre qui vous a le plus ému ?
Ce sont Guerre et paix, et Anna Karénine, de Tolstoï, Un héros de notre temps de Lermontov, La Montagne magique de Thomas Mann, ou encore récemment Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Les auteurs russes en général m’ont souvent ému. Dernièrement, Sarinagara de Philippe Forest, ou le dernier livre aussi d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, m’ont vraiment bouleversé.

Le livre qui vous a le plus donné à réfléchir ?

Le Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa, ainsi que La Montagne magique.

Le livre que vous avez le plus offert ?

Le Village de l’Allemand, de Boualem Sansal, un livre qui m’a été offert et que j’ai offert à mon tour souvent. Au dessous du volcan également, bien sûr. Pessoa en général. Belle du seigneur aussi. Sans parler de Cent ans de solitude, ou L’Automne du Patriarche de Gabriel Garcia Marquez, Aurélien d’Aragon, qui sont des références absolues et des livres que tu as, du coup, précisément envie de transmettre.

Le livre qu'on n’aurait pas dû vous offrir ?
Ça c’est vache ! Le problème c’est que les livres qui me tombent des mains, je les oublie…
Peut-être pour moi s’agit-il plutôt d’ouvrages que je ne suis pas près à lire tout de suite… Par exemple, À la recherche du temps perdu de Proust ou Les Versets sataniques de Salman Rushdie : c’est remarquable mais ça me tombe des mains ! Je sais que j’y reviendrais plus tard. Je crois qu’en fait, je suis assez classique : j’aime les histoires construites, à partir desquelles je peux me faire un film.

Le livre que vous n'avez pas encore lu ?
Un livre qu’on m’a offert récemment, le dernier de Claude Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie : celui-là, j’ai vraiment hâte de m’y mettre.

Y a-t-il des livres dont vous auriez voulu parler ici ?
Il y a des livres dont on aimerait qu’ils reviennent à la mémoire : c’est le cas des Âmes mortes de Gogol, que personne, ou presque, n’a lu. C’est pourtant absolument extraordinaire. Les gens disent « Ah oui, ça doit être formidable », mais en fait, ils ne le lisent jamais. C’est pourtant un des premiers documentaires sur la société pré-contemporaine.

Et s'il ne devait en rester qu'un ?

(Long silence). C’est un peu une pirouette, mais je pense que c’est La Construction d’un personnage chez Stanislavski. Il y aurait aussi L’Évangile selon Saint-Jean, sans aucune religiosité de ma part. Cela fait sens, en tout cas au niveau de la transmission. Du coup, je pourrais citer l’Ancien Testament, incroyable récit où l’on voit comment les histoires ont été édifiées sur une tradition orale, qui est aussi à l’origine de Babel.

Y a-t-il quelqu'un à qui vous aimeriez proposer ce questionnaire ?

Il y aurait Florence Aubenas, la journaliste, dont j’ai lu dernièrement le livre sur l’affaire d’Outreau, La Méprise. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est qu’au-delà du documentaire, il y a une vraie force littéraire qui dépasse le fait-divers. Sinon, ce grand homme de théâtre qu’est Jean-Pierre Vincent, lequel doit trimballer avec lui une sacrée bibliothèque ! Enfin, il y a Laurent Cantet, à la fois direct et discret dans son rapport au monde. Trois personnes différentes mais qui constituent le parcours qui est le mien : comment raconter une histoire en passant par l’effet documentaire tout en restant d’abord de la littérature.

Propos recueillis par Maïa Gabily
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