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Mathias Enard : ceux qui l’aiment prendront le train

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Faut-il lire Safran Foer ?

Carnivore, ichtyophage ou carnassier, pas question de changer d’assiette. Parce que Faut-il manger des animaux serait signé Jonathan Safran Foer ? Lire l'article

Pauline Klein en version originale

Mais qui est Alice Kahn ? Dans ce petit livre inclassable, entre récit, roman et fable, Pauline Klein élabore une variation fine et caustique autour du monde de l’art. Lire l'article

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05

Fév

2011

Le secret de la licorne Imprimer
Écrit par Laurence Bourgeon   

Gnomes, géants, fantômes, licorne... Paradis inhabité n’a rien d’un conte de fées mais telles sont bien les créatures qui peuplent son esprit et accompagnent Adriana dans sa découverte du monde, de l’humain, de sa dureté et de ses richesses. Un roman où la formation se fait d’autant mieux qu’elle s’opère à rebours des conventions, guidée par un regard poétique qui balaie tout moralisme.

 

 

« Née à contretemps. » Pas réellement une intruse, mais arrivée trop tard, comme le dernier wagon que l’on ne parvient pas à rattacher au train d’une harmonie familiale brisée. Adriana s’installe donc dans l’ombre, en retrait du monde des adultes  - où semblent proliférer difficultés et mensonges - autant que de celui des enfants de son âge, prolixes en babil insouciant. Plutôt que de courir après l’attention qu’on ne lui accorde pas et la compagnie qu’elle ne trouve pas, Adri décide de prendre son temps. Elle parlera quand elle estimera avoir une oreille suffisamment réceptive pour l’écouter ou un désir supérieur à exprimer. Une attente hautement productive car Adri sait cultiver son silence. Au sens littéral : elle observe, lit, écoute et son imagination prospère. Son mutisme inquiète les autres, qui auraient volontiers tendance à la qualifier d’inadaptée, mais sa solitude ne lui pèse pas. Elle en redemanderait même. Au point, par exemple, de multiplier les stratagèmes pour se faire enfermer dans le cabinet noir que les autres enfants fuient à grands cris, non par esprit de contradiction, mais simplement pour pouvoir y laisser vagabonder son esprit.

Carte du tendre

De même que la temporalité dans laquelle s’inscrit Adri semble ainsi suivre son propre cours, elle investit à  sa façon l’espace de la demeure familiale dont elle propose une cartographie personnelle, dessinant les contours de zones selon qu’elles sont plus ou moins accueillantes, plus ou moins instructives à son égard. Et déplace ainsi les limites imposées par les conventions. Ainsi, à l’heure où les enfants sages sont couchés et dorment à poings fermés, elle s’aventure dans la « zone du parquet non ciré », autrement dit le quartier des domestiques, là où la parole est libre et où, dissimulée sous une table ou dans la remise, elle apprend bien plus sur le monde des adultes qu’aux côtés de sa mère qui se défile devant toute conversation potentielle. Loin des yeux, loin du cœur n’est décidément pas un dicton adéquat pour Adri. Les seuls êtres qui trouvent grâce à ses yeux sont justement ceux qui ont quitté l’enceinte familiale : sa tante et son père. L’une par sa fantaisie, l’autre par son silence complice et respectueux lui prodiguent bonheur et lui confèrent une existence, une reconnaissance bien plus grande que celles qu’elle ne fait que croiser, par devoir, au quotidien. Plus que la méchanceté dont elle peut être victime à l’école, ce sont en effet l’indifférence et l’incompréhension qui lui pèsent. Et elle a beau ne pas partager les préoccupations de sa sœur ni de sa mère, elle n’en possède pas moins un cœur qui ne demande qu’à être pris s’il est entendu. Dans son cas, il faudra, une fois de plus, faire fi des convenances. Car son prince charmant est jeune, beau, blond, russe, aussi fantasque qu’elle, mais il est un enfant de bohèmes, habite sous les combles et, lorsqu’on a du sang bleu dans les veines, ça ne se fait pas de frayer avec ces gens-là. Autant de conventions difficilement verbalisables, encore moins rationalisables pour une logique enfantine où l’amitié, l’affection appartiennent plus  au camp du Bien que la bienséance imposée et subie. C’est tout l’art d’Ana Maria Matute qui, du haut de sa vie respectablement avancée, fait preuve d’une acuité et d’une justesse dans la description des troubles, des doutes, des sensations et des incompréhensions propres à l’enfance. A l’âge où les non-dits, les chuchotements et les messes basses l’emportent sur les franches discussions au prétexte de préserver la nature fragile des enfants, c’est par sensations, intuitions, impressions que se dessinent les contours d’un monde adulte visiblement cruel et trompeur. Tandis que résonnent les échos de la guerre d’Espagne, Adri grandit, forge et affirme son caractère, perd ses dernières illusions mais, jusqu’au bout, nous régale de son inventivité et de sa franchise verbale fruits d’une imagination et de sens encore non formatés. Une invitation à réveiller de toute urgence l’âme d’enfant qui sommeille en nous.

Paradis inhabité

Ana Maria Matute

Traduit de l’espagnol par Marie-Odile Fortier-Masek

Phébus

286 p.-21 €

 

 

 










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