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Christophe par Claro

Interviews
On a d'habitude autant de gratitude pour un traducteur que pour une poignée de porte, une fois la porte ouverte. Pas pour Claro, qui réussit l'exploit rare d'imposer son nom et d'assumer le compagnonnage de géants comme Gass ou Pynchon sans prétention aucune.

Commençons simple : pourquoi Claro ?

L'explication est toute simple, toute belle : ma femme m'a toujours appelé Claro. C’est elle qui m’a dit que je pourrai signer comme ça. Beaucoup de gens ne m'appellent d'ailleurs que comme ça. Si on m'appelle Christophe dans la rue je ne me retourne même pas.

On a l'impression que vous ne faites qu’écrire et traduire. Vous êtes un stakhanoviste de l’écriture ?

Je bosse pas mal, c'est vrai. Ca n'a rien à voir avec les gens qui bossaient dans les mines mais je travaille 15 heures par jour généralement sur plusieurs projets de front. Quatre ou cinq traductions plus un ou deux romans. Cela crée une dynamique chez moi. L'exaltation de la traduction met parfois en branle la machine littéraire, et je me dis « my turn »… Les projets se nourrissent l'un l'autre. Ecrire ou traduire c'est la même condition physique devant son clavier, le « shift » est intellectuel. Les livres sont gros mais c'est à cause de la littérature américaine. Mais il est vrai que j'ai une fascination pour les gros livres, c'est un compagnonnage intéressant pendant parfois un an ou un et demi voire deux ans… Les gros livres permettent de rester longtemps dans un univers. J'ai déjà traduit des bouquins de 100 pages, c'est intense mais parfois frustrant…

On a l'impression que vous avez réussi à contourner la frustration d'écrivain que l'on imagine chez tous les traducteurs...

J'ai toujours écrit avant de traduire, la traduction s'est faite par hasard. La traduction est finalement une autre façon d'écrire qui permet de s'immerger dans des chefs d'œuvre... et d'une certaine façon d'en être l'auteur. Plus le livre est difficile, plus je le trouve intéressant. D'autant que souvent on n'a l'impression de ne pas pouvoir le faire en français. Il faut être écrivain pour traduire puisque l'activité de traduction représente 50 % de destruction et donc de recréation ! En tous cas il faut être l'écrivain de la traduction. Pas une seule syllabe de l'original n'est gardé. Il faut un sens très profond de l'écriture pour refaire le trajet avec la même impulsion.
Même si j'écris tous les jours, je ne me considère pas comme un romancier. La grosse inquiétude de l'écrivain est qu'il se forge un style mais qu'à un moment il faut en sortir. A quel moment suis-je en train de me parodier ? c'est passionnant dans l'écriture : la brimade permanente pour ne pas être comme un singe savant. Ce qui est jouissif en littérature, c’est la prise de risque. Il n'y a pas de dégénérescence de la littérature comme le prétend Richard Millet, c’est n’importe quoi. C'est la postérité qui créé la grandeur.

L'écriture est donc l'ainée dans votre par cours, comment est venu la traduction?

J'ai commencé au Seuil en relisant des manuscrits. J'écrivais déjà à l'époque et mon premier roman avait été publié. J'avais eu les épreuves de l'Arc en ciel de la gravité [de Thomas Pynchon, NDLR] chez Roche. La traduction était mal faite, coupée, ça ne rendait pas hommage au texte. Denis Roche m'a dit "si tu as envie de traduire, vas-y !" Mon premier livre traduit s'appelait Kilomètre Zéro, ce qui était un bon début. Il faut savoir que la traduction est une écriture rémunérée, je suis payé au feuillet. 1500 espaces compris, on me paie même les blancs, autour de 20 euros le feuillet. C'est plus rémunérateur que les à-valoir des écrivains.

Vous êtes l’un des rares traducteurs à avoir votre nom sur les couvertures…

Si mon nom est sur la couverture, c'est parce que je l'exige. Seul Denoël le fait d'emblée… Chez Albin, ils ont une collection qui s'appellent grande traduction et le nom du traducteur n'est qu'en quatrième de couv' ! Ce n'est pas par vanité, mais il faut savoir d'où le livre vient. Il faudrait préciser en plus la provenance : anglais ou américain ? pour moi ce n'est pas la même langue ! Pour être tout à fait honnête il faudrait mettre « traduit du Pynchon ».

Vous êtes tout de même un des traducteurs les plus reconnus, il y a un sceau de qualité Claro. C'est tout à fait inédit dans le paysage littéraire.

C’est un effet pervers de la presse, qui aime bien starifier, figer les personnes et les corporations. La première fois ou on a parlé de moi, j'avais quatre traductions en même temps, c'était un hasard. Cette sortie massive de La maison des feuilles [Marc Z Danielewsky, Ed. Denoël], Habitus [James Flint, Ed. Au Diable Vauvert] et Le Courtier en tabac [John Barth, Ed. Le serpent à plumes] avait impressionné la critique à l'époque. Les livres étaient gros, excessifs, monstrueux. Cette notoriété est fragile mais elle me sert car je peux choisir et appuyer les textes que j'aime et elle sert aussi la cause des traducteurs. J'en connais beaucoup parmi mes collègues qui sortent trois traductions en même temps. Mais les bouquins sont plus ténus, plus simple. Traduire La Route de Cormac Mc Carthy n'a rien de facile, le travail sur la langue est complètement différent : le type a fait un travail formidable, j'en serais incapable. Moi je suis dans l'excès dans le lyrisme, je suis plus à l'aise dans le chaos. Les monstres que je traduis sont paradoxalement plus faciles car les champs lexicaux sont énormes.

Est-ce que vous faites le choix des traductions. Pynchon par exemple, vous vouliez le traduire ?

Pynchon, j'ai eu envie de le traduire parce que je l'adorais. William Gass je voulais le faire depuis des années. En 1989, j'ai commencé avec une liste de bouquins énormes que je voulais traduire : Vollmann, Gass déjà à l'époque. Et Jim Dodge que je viens de faire dans ma collection Lot 49 au Cherche midi, Stone Junction. Je me donne bien les moyens de soutenir ces textes difficiles. Pour Le Tunnel (Gass), on a fait 10 000 exemplaires. Powers, on a fait 30000 exemplaires avec Le Temps d'une chanson… On peut faire des livres qui ne sont pas actuels, je ne veux pas de me fixer sur ce qui sort aujourd'hui en lisant dix pages dans une chambre d'hôtel à Francfort. C’est le livre avant tout qui m’intéresse. Peu importe que l'auteur ait 85 ans comme Gass, peu importe sa parution.

Vous avez des rapports avec ces auteurs ?

En tant qu’éditeur avec la collection Lot 49, nous commençons à avoir un beau catalogue. Lorsqu’on contacte les auteurs en leur disant qu’ils seront avec William Gass ou Richard Powers, ils se sentent en confiance, maîtres et élèves se connaissent et sont contents d'être dans la même collection.

Et pendant la traduction ?

Pendant la traduction, j’aime bien être en correspondance par mail avec les auteurs mais je ne les rencontre qu'après. Par exemple, avec Danielewsky, nous sommes vraiment amis maintenant. Pour le premier livre il ne m'a pas donné d'indications, il me faisait confiance. Pour le deuxième j'ai quand même eu droit à quelques guides. Quand ils viennent à Paris, je les vois. Le traducteur est une sorte de lecteur idéal, qui connaît des passages par cœur, a lu trois fois son livre… C’est un rapport qui est très fort.

Quel regard portez vous sur les auteurs que vous traduisez ? Il y a de nombreux "papys" dont l'avant-gardisme ferait trembler plus d'un auteur français.

Tous ceux que je traduis sont des expérimentateurs… En même temps je ne vois pas comment la littérature peut être autre chose. Ils inventent une forme particulière à chaque livre. Plein de gens en France font cela, on les connaît moins, les Américains sont décomplexés, ils joueront avec la typographie, c'est leur côté enfant. En France, la littérature avant-gardiste des années 70 a marqué négativement : au delà de trois adjectifs, on devient lyrique. Il y a des gens hors norme : Pierre Guyotat, Antoine Volodine et Olivier Cadiot dont je suis un inconditionnel. Chez Verticales ou P.O.L, il y a un vivier. Je recherche des écrivains qui font des choses que je ne sais pas faire… de la technique mais surtout de l'émotion. La littérature française qui est mise en avant est usante, en prenant le temps de chercher il y a sûrement le futur Lautréamont. Qu'il y ait une littérature bourgeoise pitchable en quatre secondes, c'est normal, c'était pareil dans les années 20.

Vous employez beaucoup de métaphores musicales dans l’écriture et la traduction. Vous vous sentez concerné par la musique ?

Par la musicalité de la langue en tout cas. C’est une particularité que nous avons en commun avec Cadiot ou Pagès. On travaille dans la musicalité, avec l'oreille. J'adore la musique mais ce n'est pas lié à mon travail d'écrivain. Je veux penser à l'effet de lecture sur le lecteur. Je me préoccupe moins parfois du sens. Le personnage principal de mes livres, c'est la langue. Je veux manipuler les lecteurs et montrer cette manipulation.

Et les Beatles dans tout ça ? J'ai remarqué votre T-shirt...

Les Beatles ? J'ai commencé l'Anglais avec les Beatles. Ma mère m'avait dit que je ne comprendrai pas, j'ai eu un Harrap's et j'ai essayé de traduire. Le jour où ma mère m'a acheté ce dictionnaire, elle a fait une bonne action, même si aujourd’hui, je parle toujours mal anglais ! De toute façon, des Beatles à Pynchon, il n'y a que trois centimètres. Les auteurs que je découvrais, je voulais que ce soit en Anglais. Kérouac c'est opaque, à 15 ans tu ne comprends pas la langue. Je voulais sentir la langue anglaise comme je sentais le français de Flaubert. Il y a la langue et l'esprit de la langue. J'adore les classiques, j'étais plutôt bon élève en français. J'ai déjà entendu : « tu peux sauter les descriptions dans Flaubert ». Ca me révolte, il se passe quelque chose en permanence avec les descriptions ! On ne peut réduire la littérature à sa narration.

Propos recueillis par Laurent Simon

Zone Littéraire correspondant


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Last modified ondimanche, 19 avril 2009 14:47 Read 3523 times
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