Portrait de Grégoire Hetzel

Portraits

Grégoire Hetzel clôt son premier roman "en allant sur ses quinze ans". Quinze ans plus tard, il touche à la musique, écrit, publie, et prévient pour dix minutes de retard. Les écrivains trentenaires ont appris la politesse.

Enfance heureuse, presque, le type au crâne dégarni se préoccupe peu de l'attentat familial qu'il vient de provoquer. Dans autofiction, il y a fiction : les discordes ne relèvent que de jeux de pouvoir sans intérêt. Que ses parents se reconnaissent ou non : peu importe puisque leurs cris ne sont pas musicaux et leurs mots pas littéraires. Il n'y a que l'art qui compte. Pour sauver de la destruction, des pleurs et de la honte, Grégoire Hetzel a choisi la voie royale : la désinvolture des belles lettres. A l'époque du "dégueuli de soi", Le vert paradis fait la place à une écriture artisanale. Celle qui se détache du concept. Que ce soit en musique, en peinture ou en littérature, Grégoire se méfie de "la triche de l'avant-garde". S'écarter des raisonnements durs et préférer la science molle de la mélodie des corps. Entendant ce qu'il écrit, Grégoire entend ce qu'il vit. L'oreille exagérément sensible : "Le Fumoir est un bel endroit ; la musique n'est pas trop forte."

Langage articulé, phrasé vif, Hetzel pratique le doigté oral. Dans chacun de ses gestes, la trace d'une sexualité débordante. Même habillé, toujours nu. Comme dans son livre : le coeur drôle et dévêtu. Utilisant le sexe comme "échappatoire à la honte" et "moteur romanesque", Hetzel le laisse s'échapper de ses mains. Séducteur né. Une maîtresse par-ci, une maîtresse dans les draps, Grégoire préfère le terme de maîtresse à celui d'amante. Logique, après tout, pour qui se déclare plus XVIII que XIXème. Voltairianisme caché ? Chut, Grégoire écoute les bruits de l'amour. Comme dit Octave, héros de son premier roman, "une bonne paire de fesses vaut tous les apparats".

Pourtant, Grégoire sait la dorure de sa cage mais ne proteste pas. Le luxe pour échapper, encore, à cette foutue et vénérable honte. Assumant une certaine dose de légèreté, il reproche toutefois à sa génération une petite dose de mondanité ou de "branchitude" superflue. Toutefois, petite chemise à liserés bleus sous gilet pourpre, air de dandy parisien, il discute avec Camille de Toledo avant de reprendre sa voiture rétro et en cite quelques autres. Pourquoi en avoir honte puisque ses ambitions littéraires sont au-dessus de ses ambitions sociales ? L'écrivain élégant, dit-il, est celui qui fait preuve d'intransigeance. Comme Thomas Bernhard, Modiano, Kundera, Céline, Nabokov ou Le Clézio, auteurs dans lesquels il apprit à écrire. Pères d'hier ou d'aujourd'hui, il les évoque dans l'allégresse d'un enfant vif et solitaire.

Fini les filles, Hetzel joue avec son talent. "Je ne suis jamais sincère, non ?", "Ce livre n'est pas terrible, non ?" sûr de rien, on lui dit, pourtant, que Le Vert Paradis n'est pas sans ressemblance avec Guibert. Coïncidence ? Tous deux ont le même éditeur. Prise de risque, phrase longue et sonore, thèmes proches, on retrouve la sexualité infantile du Voyage avec deux enfants, la famille de Mes Parents et la mort, omniprésente chez Guibert. Comme quoi l'élégance ne se perd pas ; seule la modernité s'essouffle. Adorable maniériste jusqu'au-boutiste, il avoue son regret de ne pas avoir son livre tout en italique. Déchiffrez le crescendo de sa partition : le meilleur reste à venir.

Le Vert Paradis,
Grégoire Hetzel,
Ed. Gallimard,
368 pages, 21€


Ariel Kenig

Ariel Kenig

Le Vert Paradis
Grégoire Hetzel
Ed. Gallimard
368 p / 21 €
ISBN: 2070768163
Last modified onsamedi, 16 mai 2009 15:18 Read 7695 times