Patrice Monmousseau, le bacchus de la littérature

Interviews
Producteur et fabriquant de vin, vous êtes aussi un passionné d’art. Comment vous situez-vous en tant que professionnel ?
J’ai passé mon enfance près du vin. Ma famille possède en effet la maison Bouvet-Ladubay depuis 1933, qui elle-même existe depuis la fin du 19èmesiècle. Mais le plus drôle vient de mon nom : le terme « mousseau » vient du latin « musare », se cacher, et désigne un habitant troglodyte : c’est dire si j’étais destiné à vivre dans les caves !
Quand j’étais petit, je voulais posséder une compagnie de bulldozers !! Comme je n’ai pas pu réaliser ce rêve, ni être ce que je souhaitais devenir plus jeune, c’est-à-dire artiste-peintre ou grand mécanicien - au sens pointu du terme comme par exemple la mécanique automobile - je me suis contenté de faire fonctionner la maison que mon père m’avait transmise et dans laquelle je travaillais depuis mes 17 ans. Mais pendant longtemps, j’ai souffert de simplement devoir répondre à la question « quel est votre métier ? _ Je fais du vin à bulles à Saumur. »
Cela m’agaçait car même si je pense que nous faisons du très bon vin – voir le meilleur !- nous avons un vrai problème de concurrence dans notre domaine : le Champagne. La position du champagne est unique au monde, on en trouve absolument partout. Ainsi, lorsque nous parlons de notre production, on se heurte toujours à cette phrase « oui, mais c’est pas du champagne ! ». Ca me rend fou ! S’il y a effectivement des champagnes inégalables, nous sommes meilleurs que la plupart des autres. Malgré cela, pour les gens, nos vins n’ont rien de commun avec le champagne qui reste une chose sacrée. Depuis le début, je veux changer cet état de fait et, dans ma tête, j’ai mis en route ma compagnie de bulldozers pour raser les points de vue et changer la perception de notre travail. Il fallait faire original !

C’est ce qui vous a poussé à associer Bouvet-Ladubay à autant de pratiques artistiques (peinture, théâtre, littérature, cinéma…) ?
En effet. Quand mon père m’a laissé les rênes de la maison en 1972, j’étais un bon technicien du vin (si vous me laissez dans le désert, j’arriverai à vous en faire !!) mais je ne connaissais rien en affaires et j’ai appris sur le tas. Je ne voulais pas me contenter d’un simple succès de marchand de vin, mais d’un développement en terme de rayonnement. La maison Bouvet-Ladubay est une civilisation, elle a son histoire, son patrimoine, tout ce qui met en valeur sa région. Nous sommes tout de même les petits enfants de Léonard de Vinci qui nous a enseigné l’art au plus haut faîte. Si le Champagne est la Joconde, nous sommes l’art contemporain ! Ou plutôt nous sommes un art nouveau pour les gens qui ont un esprit ouvert...
Aujourd’hui, je suis fier de ce qu’on fait parce que nous produisons du très bon vin : depuis que j’ai repris la société, Bouvet-Ladubay a obtenu plus de 250 médailles - une pour 200.000 bouteilles. On a commencé à 300000, on est aujourd’hui à 3 millions de bouteilles par an. Nous sommes connus dans le monde entier. Mais je voulais aussi que les intellectuels, les artistes, nous connaissent également, qu’ils puissent parler de notre production comme d’un « vin ami ». On y est arrivés au terme d’énormes efforts.

Vous avez commencé par exercer votre amour de la mécanique, je crois ?
Effectivement, avec principalement les 24 heures du Mans. Vous allez me dire : « Que vient faire l’automobile avec les artistes ? ». Moi, j’ai toujours appliqué mes passions : je pense qu’on ne fait bien que ce qu’on aime bien et je n’ai moi-même le goût de ne faire que ce que j’aime !
En 1985, j’associe donc ma pratique du vin à ma passion pour la mécanique automobile et Bouvet-Ladubay participera pendant 7 ans aux 24 heures du Mans. Courageux financièrement car nous n’avions pas les moyens mais aussi voie risquée car moyen de publicité particulier : moi, je ne crois pas à la publicité classique. On finissait généralement dans les 20 premiers. Notre maison était le seul vin au monde sur les pistes !
En 1991, arrive la loi Evin qui en interdisant tout sponsoring m’empêche désormais de jouer avec mon train électrique ! Je décide de me venger et de prendre l’angle que j’aurais peut-être dû prendre depuis le début, celui de l’art de vivre, de la culture du patrimoine, des relations avec les gens et de la mise en valeur de tout ce qu’on aime et qui est notre vin. L’art du vin, l’art de vivre, l’art tout court, c’est la même chose. Aux 24 heures du Mans, on avait connu l’école de la vitesse, on avait fait, ou au moins soutenu, l’art du courage. Selon moi en effet, la vitesse est un art, elle met en scène une mécanique et des gens hors du commun.

C’est là que vous vous lancez alors véritablement dans le circuit artistique ?
L’occasion m’a été donnée par la mairie. En effet, lorsqu’en 1933, mon grand-père achète la maison Bouvet-Ladubay qui était en faillite, il ne prend qu’une partie du domaine ; les écuries, l’usine électrique et le théâtre sont récupérés par la commune pour en faire la mairie de Saint-Florent. En 1991, la mairie décide de changer de locaux et je leur rachète tout pour en faire ce qui est devenu depuis un centre d’art contemporain connu dans toute l’Europe. Grâce à Benoît Lemercier, mon directeur artistique, très amateur d’art contemporain comme moi, on a pu exposer jusqu’ici une soixantaine des plus grands artistes actuels au monde, de Morellet à Basquiat, de César à Honegger etc.
Un jour, en 1995, deux hommes, Olivier Hofmarcher et Jean-Yves Clément, sont venus me voir. Ils avaient eu l’idée de cette association entre le livre et le vin mais n’avaient pas les moyens de la réaliser. Ils en avaient parlé à la mairie de Saumur qui les avait renvoyés vers la Maison du vin. Là-bas, on leur a dit « allez donc voir à Saint-Florent, il y a un cinglé qui pourra sûrement vous aider ! ». Le cinglé, c’était moi et à la fin du déjeuner, l’affaire était conclue. Avec Jean-Maurice Belayche, mon associé, nous avions déjà l’habitude d’organiser, dans le domaine, des réceptions avec 300 ou 500 personnes : pourquoi ne pas faire venir 5000 personnes si on voulait s’amuser un peu !
En réalité, nous étions surtout ravis d’ajouter la littérature aux arts auxquels nous étions déjà associés : on avait la peinture et la sculpture avec le Centre d’art contemporain, le théâtre (que nous avions racheté en même temps) parrainés par Jean-Claude Brialy et Brigitte Fossey, et où, depuis sa rénovation, sont crées chaque année deux pièces, le cinéma puisque nous sommes partenaires du festival « Premiers Plans » à Angers, ainsi que du festival de Cannes.
C’était l’occasion de faire venir des auteurs, des acteurs, des journalistes et de les réunir sous cette noble bannière qu’est le vin. Pour la première édition, nous avons commencé petits, avec 3 prix ; aujourd’hui nous en décernons 9 et on compte 110 jurés, dont de nombreuses personnalités qui sont vraiment attachées à cet évènement.
C’est là que j’en reviens à ma compagnie de bulldozers où on doit définitivement casser cette image de l’aspect sacro-saint du champagne, et dire qu’il existe d’autres choses, d’autres voies, des produits nobles, de produits élitistes : en définitive Bouvet-Ladubay veut être plus snob que le champagne ! Or, cette reconnaissance passera forcément par tous ces artistes, notamment les écrivains dont plus d’un a déjà fait ressortir dans un livre ce qu’il a connu ici.
Néanmoins, ce dont nous sommes le plus fier c’est d’avoir créé un formidable réseau d’amitié qui ne cesse de s’étendre au fur et à mesure des éditions.

L’aspect convivial de votre salon est effectivement remarquable
Nous avons vraiment voulu nous démarquer d’autres salons comme Brives ou Saint-Malo, en accueillant le mieux possible nos invités mais surtout en créant et en entretenant cette amitié entre participants et organisateurs. Cette bande d’amis que nous formons est d’une fidélité assez unique en son genre. On a même réussi à mettre dans les mêmes jurys des ennemis intimes ! Certains viennent aussi parce qu’ils savent que des affaires se font entre auteurs, cinéastes, acteurs…
L’amitié formidable qui entoure ce salon n’a pas de prix : ce n’est pas quelque chose qu’on peut acheter, qu’on peut organiser, c’est quelque chose qui se fait tout seul.
Ma compagnie de bulldozers est en route et je suis sûr qu’elle arrivera à son but ! Par l’amitié, par le soin que nous mettons à fabriquer nos produits, mais surtout par la perception qu’on en a, répercutée par des personnes de qualité.

Pendant le salon, j’ai entendu parler d’une histoire d’île qui avait l’air très originale : Pouvez-vous m’en dire plus ?
j’ai toujours aimé associer l’inutile à quelque chose d’indispensable ! Habitant au bord de la Loire, pour moi le plus beau fleuve du monde, l’idée de posséder une île me faisait rêver. Mon grand-père en avait eu une. Moi, je m’étais fait construire un bateau.
Après le bateau, l’idée d’une île sur la Loire me titillait de plus en plus, et je regardais surtout l’une d’elle, située en face de mon domaine. Un jour, une de mes connaissances me mit en contact avec son propriétaire, qui accepta de me la vendre. Une fois l’achat réglé, il fallait que j’aille au bout de ma petite folie ! Comme on ne peut pas construire sur une île, j’ai décidé d’y créer un état, « La République libre des non-pareils » dont je suis le président de la République. J’ai tiré ce nom d’une étiquette de Bouvet-Ladubay qui vendait certaines bouteilles sous ce nom au début du siècle.
Plus tard, j’ai appris l’origine historique de cette appellation : en 1224, Saint-Louis donnait le titre de comte de Poitiers à son frère, Alphonse, ce qui revient à dire que la région redevenait sa propre propriétaire. Symboliquement, c’était donc un événement majeur. Une fête gigantesque eut alors lieu à Saumur, qui, selon la légende, dura trois mois et qu’on appela « la Non-Pareille ». Ce nom m’est donc particulièrement cher.
Or, comme au fur et à mesure du temps, j’ai rencontré des gens exceptionnels qui sont devenus mes amis, j’ai trouvé logique de les associer à ma République. J’ai donc créé avec eux un conseils des ministres, qui s’agrandit peu à peu. Ainsi, ce week-end, j’ai nommé Pierre Tchernia ministre de l’interdiction des ponts et chaussées, Pierre Bénichou ministre des frontières entre les sexes et Jackie Berroyer qui sera « secrétaire des tas » ! Il y a aussi par exemple Florian Zeller, mon conseiller spécial, qui est doit s’occuper de la constitution, Marine Delterme ministre de la sculpture et des bains, et David Foenkinos,son secrétaire, chargé des maillots de bain ! Le seul problème de cette république est que nous n’avons aucun sujet !

Et qu’est-ce qui vous occupera après le salon ?
Fabriquer l’étendard de ma république, qui est une pure merveille. Il représente un lion ailé allongé dont la queue remonte au dessus de la tête. Il s’inspire d’une des figures de la tapisserie de Bayeux, qui, pour la petite histoire, ne vient pas du tout de Bayeux mais de Saint-Florent et a même peut-être été tissée dans nos propres caves (le domaine de Bouvet-Ladubay est une ancienne abbaye)! Ca vous en bouche un coin, non ?!
La devise de la République des Sans-Pareils est « la force du lion et la légèreté de l’oiseau »


Maïa Gabily

Maïa Gabily


Patrice Monmousseau
Ed.
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Last modified onmercredi, 03 juin 2009 23:17 Read 3596 times