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Les interviews de Zone

thuyRu est le premier roman de Kim Thúy. C'est d'abord une histoire d'exil, celle de millers de Vietnamiens, les «boat people». C'est l'histoire du voyage qui les a déposés sur un autre continent. Mais Ru est également le récit de l'arrivée d'une famille en Amérique du Nord, de ce qu'a été leur «rêve américain». Les souvenirs de la narratrice, de Saïgon à Montréal en passant par Hanoï et Bangkok, s'enchevêtrent dans un texte court, poétique et bouleversant.

Vous dédiez ce livre aux « gens du pays ». Parlez-vous du Vietnam ou élargissez-vous ce pays aux endroits où vous avez vécu (Thaïlande, Canada) et aux gens que vous y avez rencontrés?

Aux gens du Pays est une chanson composée par Gilles Vignault. Elle est très connue au Québec. J'ai repris cette expression pour dédier ce livre aux Québécois. Mais je n'ai pas mentionné le nom de Gilles Vignault afin de pouvoir également y inclure les Vietnamiens. Cette dédicace s'adresse donc aux gens des deux pays qui m'ont élevée.

Le titre de votre livre n'a pas le même sens selon la langue dans laquelle il est formulé. Vous nous en expliquez les différents sens en exergue. Mais quelles sont les raisons du choix de ce titre?

J'avais un restaurant à Montréal qui s'appelait Ru de Nam. J'ai conservé Ru comme un vestige ou une suite, de la même manière que j’ai voulu que les mots se reflètent d'un paragraphe à l'autre dans le récit.

Vous avez exercé différents métiers ces dernières années (avocate, traductrice, restauratrice, etc.). Quel a été l'élément déclencheur qui vous a poussée à écrire?

J'ai fait toutes sortes de métiers dans le but de ne pas écrire ; j’ai eu longtemps le sentiment que l'écriture ne pouvait pas être une option pour une immigrée. J'ai effectivement été avocate chez Stikeman, Elliott, une des plus grandes firmes d'avocats au Canada, ce qui me permettait de travailler sur des dossiers très intéressants. Un jour, Marc Lalonde, l'ancien chef de cabinet de Pierre Elliott Trudeau, le célèbre premier ministre aujourd’hui décédé, m'a convoquée pour travailler sur un projet à Hanoi, financé par le gouvernement. C'était un projet très important pour le Canada à l'époque puisque notre partenaire vietnamien était constitué par un groupe de dix conseillers personnels du premier ministre qui travaillait sur les questions de réformes économiques, législatives, sociales... Professionnellement, c'était le "top du top" comme on dit en bon québécois. J'ai énormément appris auprès de Marc Lalonde, mais aussi auprès de mon directeur résident, ancien prêtre et ancien président de la Bourse de Montréal. J’ai eu la chance de voir de l'intérieur un pays se définir, se dessiner, se transformer, c’était une chance inestimable. Puis m’est venue l’idée du restaurant car j’espérais que les horaires seraient moins contraignants que lorsque j’étais avocate. Je me trompais, bien évidemment. Le restaurant dont je me suis occupée était à l’origine une boutique qui proposait des objets de décoration haut de gamme conçus en Asie (Vietnam et Thaïlande). Mais comme j’avais vécu un peu plus de deux ans à Bangkok et que les restaurants vietnamiens y étaient considérés comme des endroits chics, je me suis dit que nous pourrions agrandir la boutique avec un restaurant. Or, en Amérique du Nord, la cuisine vietnamienne est une simple version un peu plus saine du fast food. Avec mon oncle, nous avons voulu présenter certains petits plats à côté de la boutique afin de changer un peu l'image de la cuisine vietnamienne. Le menu a évolué avec le temps ainsi que la clientèle. Au bout de cinq ans et après avoir lavé plus de 10000 assiettes et cuisiner autant de plats, j'ai décidé de jeter l'éponge. 
C’est à ce moment-là que mon mari m’a conseillé d’attendre un peu avant de recommencer à travailler. Il voulait que je prenne le temps de réfléchir à ce que je voulais vraiment faire. Un mois de punition à rester tranquille. Durant ce mois, j'ai enfin eu le courage de faire le grand saut, de commencer à écrire ; un vieux rêve que je portais depuis l’adolescence, alors que je ne maîtrisais même pas le français.

Justement, pourquoi avoir choisi le français comme langue d’écriture plutôt que le vietnamien ou l'anglais?

On dit souvent que pour connaître la langue maternelle de quelqu'un, on n'a qu'à lui demander dans quelle langue il compte dans sa tête. Dans mon cas, je compte en vietnamien si je veux le faire rapidement, instinctivement. C’est la langue que je parle avec ma mère, ma famille. Mais le vietnamien n'a pas pu devenir ma langue adulte. Je ne réfléchis pas en vietnamien. Je n’ai pas le vocabulaire nécessaire et mes sujets de réflexion seraient donc ceux d’une enfant de dix ans. Mais la poésie de cette langue me berce encore parfois. Il y a des mots, des sons, des images qui ne se traduisent pas. Quant à l’anglais, je l’ai beaucoup utilisé pendant mes années de droit. C'est une langue qui me permet de dire les choses crûment, sans filtre. Néanmoins, la plupart des auteurs que je lis sont américains parce que je suis nord-américaine dans l'âme, les grands froids d'hiver ont façonné mes gestes, ma vision, ma respiration. En fait, je pense que j'ai appris à réfléchir, à mûrir en français, et surtout, j'ai appris à aimer en français. C'est la langue qui m'a fait grandir, qui m'a donné une voix, qui m'a élevée. Alors, je ne peux écrire que dans cette langue, même si parfois elle me semble trop vaste pour devenir tout à fait mienne.

La narratrice du roman est très silencieuse ; on la soupçonne même enfant, d’être sourde et muette. L’écriture fait-elle échapper au mutisme ou enferme-t-elle au contraire dans un autre silence ?

La narratrice est silencieuse afin de pouvoir observer au lieu de faire des commentaires ou des critiques. L'écriture a pour but de rapporter, de communiquer et de faire entendre sa voix. Je ne crois pas qu'elle enferme, bien au contraire.

Les odeurs et la musique jouent un rôle très important dans le récit car ce sont les éléments qui permettent de maintenir en vie une partie de la mémoire. Quelle est alors la place des mots dans la réminiscence de ces souvenirs ? Les réinventent-ils à défaut des les restituer ?

Les mots sont essentiels. Sans les mots, il serait impossible d'identifier les couleurs ou les odeurs... Lorsque l'on restitue, on n'est déjà plus dans le moment présent, ce qui veut dire que l'on réinvente nécessairement. Puis, j'aime la musicalité, la charge, la couleur des mots. L'histoire existe pour soutenir leur poids, pour nous révéler la profondeur de chaque mot ainsi que la puissance de tous ces mots lorsqu'ils sont reliés entre eux. Évidemment, l'histoire doit être forte et solide pour pouvoir les supporter, pour être à leur hauteur.

Quels sont les auteurs qui vous ont marquée, et ont, directement ou de façon plus lointaine, influencé Ru?

Hélas je ne lis pas assez, ou sinon pas autant que je le voudrais. Je peux lire n'importe quoi. Tout m'intéresse. Mais évidemment, j'ai des auteurs fétiches comme Marguerite Duras (c’est elle qui m'a fait découvrir la littérature, la poésie des mots, des images, des détails), Milan Kundera, Yves Navarre, Roland Barthes (pour une certaine forme de sensualité dans sa langue), Heather O'Neil et Nicole Krauss (deux jeunes auteurs qui transforment les mots en images sans effort, comme des magiciennes) et Tim O'Brien (parce qu'il souligne les contradictions, les zones grises où tout est beau et tout est laid, en même temps, dans le même souffle). Finalement, peut-être que le livre qui m’a le plus inspirée est le Code de procédure civile du Québec (non, je plaisante).

Quelle est actuellement la place de l'écriture dans votre vie? Avez-vous de nouveaux projets ?

L'écriture occupe un peu plus de la moitié de mon temps. Le reste est consacré à la famille. Je pourrais passer plus de temps encore à écrire sans me lasser, mais mon quotidien ne le permet pas encore. Je me sens très privilégiée de pouvoir finalement écrire tout en satisfaisant les besoins de mes enfants et sans mourir de faim! J'ai commencé mon deuxième manuscrit, il y a un an, juste après Ru et ce, avant même d'avoir envoyé ce dernier chez les éditeurs. J'avais ce besoin urgent de le faire. J'avais encore tellement de mots à coucher sur le papier... Je me demande si ça se rapproche de Ru. Je ne sais pas. Je sais seulement que je continue à avoir la même plume avec le même désir, le même feu. Vous me direz si le prochain livre ressemble à celui-là...

thuy bookRu
Kim Thúy
Éditions Liana Levi
143 pages – 14 €

Sunday, 24 January 2023 23:12
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Tuesday, 22 December 2022 22:50
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James Frey , L.A. Story (Flammarion)
Zone Littéraire
Ellen Salvi
L.A. Confidential
On l’avait repéré en 2004 lors de la sortie de son premier roman, Mille Morceaux. Depuis, James Frey a publié une suite (Mon ami Léonard) et fait beaucoup parlé de lui. En laissant croire que l’histoire de James, jeune drogué en rehab, était un récit autobiographique, l’auteur s’est attiré les foudres d’une partie des médias américains, Oprah Winfrey en tête. Nombreux sont ceux à ne pas avoir apprécié la supercherie littéraire. Quoi ?! Un écrivain qui entremêle la réalité à la fiction ? Avouez qu’il y avait de quoi pousser des cris d’orfraie… Le scandale passé, le mystificateur des lettres américaines publie aujourd’hui L.A. Story, roman total sur la cité des anges où les illusions perdues des personnages côtoient parfois les (trop) bons sentiments de leur créateur. Qu’importe, ce texte figure parmi les meilleurs de la rentrée. Rencontre.
L.A. Story est-elle une « tentative d’épuisement » – pour reprendre l’expression de Perec – de la cité des anges ? Pensez-vous avoir tout dit sur cette ville ? N’y aurait-il rien d’autre à ajouter ?
Los Angeles est une ville immense, avec environ douze millions d’habitants. Il y aura toujours plus de choses à dire, à écrire et d’histoires à raconter à son sujet. J’ai essayé d’écrire un roman qui saisirait l’état actuel de L.A, un roman qui pour la première fois, serait une œuvre littéraire pérenne et sérieuse et qui capterait cette ville dans son intégralité. Je voulais aussi tenter d’écrire Le Grand Roman Américain. Un roman à propos d’une ville mais aussi de mon pays. Seul le temps pourra dire si j’ai réussi ou pas.
Pourquoi avoir choisi Los Angeles ? D’autres villes américaines auraient-elles pu se prêter à cet exercice littéraire ?
J’ai vécu à L.A. pendant huit ans. J’adore cette ville. Pour moi, c’est une grande ville américaine, l’une des villes les plus incroyables au monde. Je pense aussi qu’il s’agit de la ville la plus représentative des Etats-Unis en ce moment, car on y trouve toutes les forces et les faiblesses de mon pays : l’économie, l’immigration, l’environnement, les disparités entre riches et pauvres, tout cela est présent à outrance à Los Angeles. C’est la ville du futur, dans vingt ans, ce sera la plus grande et la plus influente ville des Etats-Unis. Il n’y a pas d’autre ville américaine qui selon moi vaille la peine qu’on en parle en ce moment.
De nombreux écrivains américains (James Ellroy, Bruce Wagner, Michael Connely…) ont fait de Los Angeles un personnage de roman. Leurs livres vous ont-ils inspiré ?
J’ai lu ces auteurs, j’aime leurs romans, mais chacun d’entre eux parle d’un aspect spécifique de la culture angeline, principalement le crime et Hollywood. Moi, je voulais parler de la ville comme un tout, son histoire, ses habitants, son économie, sa beauté et son atrocité. Et il n’y avait aucun modèle pour ce type de roman.
Comment avez-vous abordé ce texte ? Aviez-vous une idée précise de la forme qu’il prendrait avant d’en commencer l’écriture ?
J’avais en tête sa structure, son architecture. Je savais que L.A. Story serait un mélange de styles narratifs : des textes courts ou longs, des listes, des faits, des statistiques… Je savais quels seraient les quatre fils narratifs et leurs personnages principaux. J’avais établi que le roman mêlerait fiction et réalité, que la fiction prendrait les traits de la réalité, et vice versa. Mais je n’avais pas de plan, j’ai écrit ce livre à l’instinct, en suivant mes pulsions au fil de la plume.
L.A. Story abonde en informations. Pouvez-vous nous parler de votre travail de recherche documentaire ?
J’ai fait mes recherches au fur et à mesure que j’écrivais. J’ai trouvé toutes les informations sur internet. Et ce que je n’ai pas pu trouver, je l’ai inventé !
Faits historiques, listes et autres miscellanées alternent avec quatre histoires principales. Les chiffres et les informations factuelles que vous avancez dans votre livre sont-ils vrais ?
Environ 70 % des informations sont réelles et vérifiables. Le reste ne l’est pas.
Amberton, Esperanza, Vieux Joe, Dylan et Maddie… Pourquoi avoir choisi de suivre ces cinq personnages en particulier ? Sont-ils représentatifs de l’ensemble des habitants de Los Angeles ?
Ce sont des archétypes de Los Angeles. Ils vivent dans des quartiers différents, et ont des cultures différentes. Ils représentent différents idéaux angelins.
Par endroits, votre écriture se fait très cinématographique. Vous avez été scénariste et réalisateur pendant près de dix ans. Ces expériences ont-elles influé sur votre style ?
Oui, cela m’a influencé. Cela m’a appris l’économie, l’usage d’une langue simple et directe. Cela m’a appris la structure et la narration. Cette expérience m’a montré qu’il ne fallait jamais céder au compromis, et ne jamais se laisser influencer par qui que ce soit. Hollywood a tendance à abâtardir les bons écrivains. Ceux-ci doivent se plier aux règles des personnes qui les financent. J’étais comme ça avant… plus maintenant.
Dans tous vos romans – L.A. Story ne déroge pas à la règle –, le réel et la fiction s’entremêlent. Ces deux dimensions sont-elles indissociables en littérature ?
Nous vivons dans un monde où il est difficile de faire la part des choses. Aujourd’hui, tout ce que les hommes politiques nous disent ne sont que des mensonges, la téléréalité domine la télévision, les infos changent selon la chaîne qui les diffuse, des religions basées sur des dieux fictifs déclenchent des guerres… C’est donc tout naturel que ces problèmes dérivent dans le monde littéraire.
Sous votre plume, Los Angeles se métamorphose en cité des illusions perdues. Pensez-vous que l’on soit forcément déçu par L.A. ?
L’Amérique est le pays des rêves. Los Angeles est la ville des rêves. Cette idée que n’importe qui peut venir y vivre et réaliser son rêve est bien réelle. C’est possible. C’est pour cela que la plupart des immigrés sont venus et viennent encore s’installer dans ce pays. Ils viennent pour réaliser leur rêve : pour certains, c’est la célébrité, l’argent, pour d’autres, c’est la carte verte et un repas sur la table tous les soirs. Parfois, leur rêve se réalise, mais la vérité, c’est que la plupart du temps, tous ces espoirs s’effondrent et ces personnes doivent affronter les conséquences de cet échec.
Votre premier roman, Mille morceaux, a fait l’objet d’une vive polémique outre-Atlantique. Près de cinq ans se sont écoulés depuis. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur cette affaire ?
C’était vraiment ridicule.
En 2004, vous confessiez à Zone Littéraire : « J’ai l’intention d’écrire beaucoup de livres. Je veux être l'un des auteurs les plus importants de mon temps. » Qu’en est-il aujourd’hui ? Êtes-vous toujours dans le même état d’esprit ?
Oui, tout à fait.
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Je suis en train d’écrire un roman intitulé : Le Testament ultime de la Sainte Bible. Mon interprétation du Messie s’il arpentait les rues de New York en quelque sorte. À quoi il ressemblerait, en quoi il croirait, comment il vivrait, et comment les gens réagiraient. Je me suis bien amusé à écrire ce roman et j’ai hâte qu’il soit publié.
freyOn l’avait repéré en 2004 lors de la sortie de son premier roman, Mille Morceaux. Depuis, James Frey a publié une suite (Mon ami Léonard) et fait beaucoup parlé de lui. En laissant croire que l’histoire de James, jeune drogué en rehab, était un récit autobiographique, l’auteur s’est attiré les foudres d’une partie des médias américains, Oprah Winfrey en tête. Nombreux sont ceux à ne pas avoir apprécié la supercherie littéraire. Quoi ?! Un écrivain qui entremêle la réalité à la fiction ? Avouez qu’il y avait de quoi pousser des cris d’orfraie… Le scandale passé, le mystificateur des lettres américaines publie aujourd’hui L.A. Story, roman total sur la cité des anges où les illusions perdues des personnages côtoient parfois les (trop) bons sentiments de leur créateur. Qu’importe, ce texte figure parmi les meilleurs de la rentrée. Interview

L.A. Story est-elle une « tentative d’épuisement » – pour reprendre l’expression de Perec – de la cité des anges ? Pensez-vous avoir tout dit sur cette ville ? N’y aurait-il rien d’autre à ajouter ?
Los Angeles est une ville immense, avec environ douze millions d’habitants. Il y aura toujours plus de choses à dire, à écrire et d’histoires à raconter à son sujet. J’ai essayé d’écrire un roman qui saisirait l’état actuel de L.A, un roman qui pour la première fois, serait une œuvre littéraire pérenne et sérieuse et qui capterait cette ville dans son intégralité. Je voulais aussi tenter d’écrire Le Grand Roman Américain. Un roman à propos d’une ville mais aussi de mon pays. Seul le temps pourra dire si j’ai réussi ou pas.
Pourquoi avoir choisi Los Angeles ? D’autres villes américaines auraient-elles pu se prêter à cet exercice littéraire ?
J’ai vécu à L.A. pendant huit ans. J’adore cette ville. Pour moi, c’est une grande ville américaine, l’une des villes les plus incroyables au monde. Je pense aussi qu’il s’agit de la ville la plus représentative des Etats-Unis en ce moment, car on y trouve toutes les forces et les faiblesses de mon pays : l’économie, l’immigration, l’environnement, les disparités entre riches et pauvres, tout cela est présent à outrance à Los Angeles. C’est la ville du futur, dans vingt ans, ce sera la plus grande et la plus influente ville des Etats-Unis. Il n’y a pas d’autre ville américaine qui selon moi vaille la peine qu’on en parle en ce moment.
De nombreux écrivains américains (James Ellroy, Bruce Wagner, Michael Connely…) ont fait de Los Angeles un personnage de roman. Leurs livres vous ont-ils inspiré ?
J’ai lu ces auteurs, j’aime leurs romans, mais chacun d’entre eux parle d’un aspect spécifique de la culture angeline, principalement le crime et Hollywood. Moi, je voulais parler de la ville comme un tout, son histoire, ses habitants, son économie, sa beauté et son atrocité. Et il n’y avait aucun modèle pour ce type de roman.
Comment avez-vous abordé ce texte ? Aviez-vous une idée précise de la forme qu’il prendrait avant d’en commencer l’écriture ?
J’avais en tête sa structure, son architecture. Je savais que L.A. Story serait un mélange de styles narratifs : des textes courts ou longs, des listes, des faits, des statistiques… Je savais quels seraient les quatre fils narratifs et leurs personnages principaux. J’avais établi que le roman mêlerait fiction et réalité, que la fiction prendrait les traits de la réalité, et vice versa. Mais je n’avais pas de plan, j’ai écrit ce livre à l’instinct, en suivant mes pulsions au fil de la plume.
L.A. Story abonde en informations. Pouvez-vous nous parler de votre travail de recherche documentaire ?
J’ai fait mes recherches au fur et à mesure que j’écrivais. J’ai trouvé toutes les informations sur internet. Et ce que je n’ai pas pu trouver, je l’ai inventé !
Faits historiques, listes et autres miscellanées alternent avec quatre histoires principales. Les chiffres et les informations factuelles que vous avancez dans votre livre sont-ils vrais ?
Environ 70 % des informations sont réelles et vérifiables. Le reste ne l’est pas.
Amberton, Esperanza, Vieux Joe, Dylan et Maddie… Pourquoi avoir choisi de suivre ces cinq personnages en particulier ? Sont-ils représentatifs de l’ensemble des habitants de Los Angeles ?
Ce sont des archétypes de Los Angeles. Ils vivent dans des quartiers différents, et ont des cultures différentes. Ils représentent différents idéaux angelins.
Par endroits, votre écriture se fait très cinématographique. Vous avez été scénariste et réalisateur pendant près de dix ans. Ces expériences ont-elles influé sur votre style ?
Oui, cela m’a influencé. Cela m’a appris l’économie, l’usage d’une langue simple et directe. Cela m’a appris la structure et la narration. Cette expérience m’a montré qu’il ne fallait jamais céder au compromis, et ne jamais se laisser influencer par qui que ce soit. Hollywood a tendance à abâtardir les bons écrivains. Ceux-ci doivent se plier aux règles des personnes qui les financent. J’étais comme ça avant… plus maintenant.
Dans tous vos romans – L.A. Story ne déroge pas à la règle –, le réel et la fiction s’entremêlent. Ces deux dimensions sont-elles indissociables en littérature ?
Nous vivons dans un monde où il est difficile de faire la part des choses. Aujourd’hui, tout ce que les hommes politiques nous disent ne sont que des mensonges, la téléréalité domine la télévision, les infos changent selon la chaîne qui les diffuse, des religions basées sur des dieux fictifs déclenchent des guerres… C’est donc tout naturel que ces problèmes dérivent dans le monde littéraire.
Sous votre plume, Los Angeles se métamorphose en cité des illusions perdues. Pensez-vous que l’on soit forcément déçu par L.A. ?
L’Amérique est le pays des rêves. Los Angeles est la ville des rêves. Cette idée que n’importe qui peut venir y vivre et réaliser son rêve est bien réelle. C’est possible. C’est pour cela que la plupart des immigrés sont venus et viennent encore s’installer dans ce pays. Ils viennent pour réaliser leur rêve : pour certains, c’est la célébrité, l’argent, pour d’autres, c’est la carte verte et un repas sur la table tous les soirs. Parfois, leur rêve se réalise, mais la vérité, c’est que la plupart du temps, tous ces espoirs s’effondrent et ces personnes doivent affronter les conséquences de cet échec.
Votre premier roman, Mille morceaux, a fait l’objet d’une vive polémique outre-Atlantique. Près de cinq ans se sont écoulés depuis. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur cette affaire ?
C’était vraiment ridicule.
En 2004, vous confessiez à Zone Littéraire : « J’ai l’intention d’écrire beaucoup de livres. Je veux être l'un des auteurs les plus importants de mon temps. » Qu’en est-il aujourd’hui ? Êtes-vous toujours dans le même état d’esprit ?
Oui, tout à fait.
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Je suis en train d’écrire un roman intitulé : Le Testament ultime de la Sainte Bible. Mon interprétation du Messie s’il arpentait les rues de New York en quelque sorte. À quoi il ressemblerait, en quoi il croirait, comment il vivrait, et comment les gens réagiraient. Je me suis bien amusé à écrire ce roman et j’ai hâte qu’il soit publié.
James Frey
L.A. Story
Ed. Flammarion
Thursday, 12 November 2022 17:38
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aurelienrecoingZone Littéraire relance un rendez-vous de lecteur : régulièrement, une personnalité revisite les lectures marquantes de sa vie. C’est l’acteur Aurélien Recoing, actuellement au cinéma dans Demain, dès l’aube, qui a accepté d’inaugurer ce nouveau départ.

Quel est le premier livre que vous avez lu ?
Les premiers « vrais » livres ont été Des Souris et des hommes de Steinbeck, et À l’Ouest, rien de nouveau de Erich Maria Remarque, que j’ai lus très jeune, vers 7 ans. Je sais que ça fait jeune pour lire ça… En fait, on lisait beaucoup dans ma famille, initiés par ma mère qui reste une grande lectrice. Nous étions quatre frères. On se réunissait au salon et on partageait des moments de lecture à voix haute, notamment Jules Verne ou des contes, de Grimm à Andersen en passant par Marcel Aymé, Perrault, etc. Ceux-là ont été les premiers livres.

Le livre de vos 17 ans ?
Ça doit être Au dessous du volcan, de Malcolm Lowry. À la même époque, Tête d’or, une pièce de Claudel. J’ai énormément lu de littérature jusqu’à 17-18 ans : trois ou quatre livres par semaine.

Le livre que vous avez le plus lu ?
L’œuvre de Paul Auster peut-être. Le Livre des illusions, notamment, reste pour moi un chef d’œuvre. Mais je ne les ai pas relus beaucoup. Je sais que je suis pas mal revenu à Steinbeck, à Victor Hugo : plusieurs fois Les Travailleurs de la mer, également Quatre-vingt treize. En fait, je relis plutôt des classiques. Et puis aussi, encore et surtout, Au dessous du volcan.

Le livre qui vous a fait le plus rire ?
(Silence) Peut-être n’ai-je pas lu de livres drôles ! Si, quand même, je crois que Le Procès de Kafka m’avait fait vraiment rire. Vers 14-15 ans, Kafka a beaucoup nourri mon imaginaire. Ses livres dégageaient un humour auquel j’étais sensible.

Le livre qui vous a le plus ému ?
Ce sont Guerre et paix, et Anna Karénine, de Tolstoï, Un héros de notre temps de Lermontov, La Montagne magique de Thomas Mann, ou encore récemment Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Les auteurs russes en général m’ont souvent ému. Dernièrement, Sarinagara de Philippe Forest, ou le dernier livre aussi d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, m’ont vraiment bouleversé.

Le livre qui vous a le plus donné à réfléchir ?

Le Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa, ainsi que La Montagne magique.

Le livre que vous avez le plus offert ?

Le Village de l’Allemand, de Boualem Sansal, un livre qui m’a été offert et que j’ai offert à mon tour souvent. Au dessous du volcan également, bien sûr. Pessoa en général. Belle du seigneur aussi. Sans parler de Cent ans de solitude, ou L’Automne du Patriarche de Gabriel Garcia Marquez, Aurélien d’Aragon, qui sont des références absolues et des livres que tu as, du coup, précisément envie de transmettre.

Le livre qu'on n’aurait pas dû vous offrir ?
Ça c’est vache ! Le problème c’est que les livres qui me tombent des mains, je les oublie…
Peut-être pour moi s’agit-il plutôt d’ouvrages que je ne suis pas près à lire tout de suite… Par exemple, À la recherche du temps perdu de Proust ou Les Versets sataniques de Salman Rushdie : c’est remarquable mais ça me tombe des mains ! Je sais que j’y reviendrais plus tard. Je crois qu’en fait, je suis assez classique : j’aime les histoires construites, à partir desquelles je peux me faire un film.

Le livre que vous n'avez pas encore lu ?
Un livre qu’on m’a offert récemment, le dernier de Claude Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie : celui-là, j’ai vraiment hâte de m’y mettre.

Y a-t-il des livres dont vous auriez voulu parler ici ?
Il y a des livres dont on aimerait qu’ils reviennent à la mémoire : c’est le cas des Âmes mortes de Gogol, que personne, ou presque, n’a lu. C’est pourtant absolument extraordinaire. Les gens disent « Ah oui, ça doit être formidable », mais en fait, ils ne le lisent jamais. C’est pourtant un des premiers documentaires sur la société pré-contemporaine.

Et s'il ne devait en rester qu'un ?

(Long silence). C’est un peu une pirouette, mais je pense que c’est La Construction d’un personnage chez Stanislavski. Il y aurait aussi L’Évangile selon Saint-Jean, sans aucune religiosité de ma part. Cela fait sens, en tout cas au niveau de la transmission. Du coup, je pourrais citer l’Ancien Testament, incroyable récit où l’on voit comment les histoires ont été édifiées sur une tradition orale, qui est aussi à l’origine de Babel.

Y a-t-il quelqu'un à qui vous aimeriez proposer ce questionnaire ?

Il y aurait Florence Aubenas, la journaliste, dont j’ai lu dernièrement le livre sur l’affaire d’Outreau, La Méprise. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est qu’au-delà du documentaire, il y a une vraie force littéraire qui dépasse le fait-divers. Sinon, ce grand homme de théâtre qu’est Jean-Pierre Vincent, lequel doit trimballer avec lui une sacrée bibliothèque ! Enfin, il y a Laurent Cantet, à la fois direct et discret dans son rapport au monde. Trois personnes différentes mais qui constituent le parcours qui est le mien : comment raconter une histoire en passant par l’effet documentaire tout en restant d’abord de la littérature.

Propos recueillis par Maïa Gabily
Tuesday, 10 November 2022 00:10
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