Les rêves d’Orient de Michel Le Bris

Interviews
L’Orient est multiple… Pour sa 17ème édition, le festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo nous a envoûté de ses couleurs et de ses senteurs. Rendez-vous a été pris avec plus de deux cents passionnés de l’Orient et de ses cultures… Michel Le Bris, le directeur du festival, en parle mieux que personne !

Dans le cadre de ce 17ième festival, consacré à l’Orient, vous évoquez une « littérature monde »…

Aujourd’hui, on assiste à quelque chose de formidable : il y a une véritable énergie, une puissance de création en orient… Quelle que soit la réalité de l’écrit, cette énergie est le signe d’une nouvelle génération, qui contraste fortement avec la morosité ou le sentiment de vieillesse qui peut régner ici. Je parle en effet de littérature monde, et j’insiste bien sur le mot « Orient », et non « Asie ». L’orient, c’est un espace imaginaire conçu par l’occident, avec les fascinations et les peurs qui vont avec. C’est un autre, un ailleurs. Ce n’est pas forcément géographique. Je dirais que ce qui se passe en orient est le résultat d’une hybridation, d’un télescopage entre l’orient et l’occident, avec l’explosion économique… Ce sont deux planètes qui se rapprochent !

Saint-Malo… La cité corsaire est-elle un mélange tout trouvé de tranquillité et d’aventure, pour le festival ? Est-elle propice à l’évasion ?

Il y a une présence extraordinaire à Saint-Malo ! C’est une très vieille ville. Avec le musée, les gens vont pouvoir découvrir toute cette histoire orientale : les malouins eux-mêmes vont apprendre beaucoup de choses, notamment à propos du café : Jean-Pierre Brown en parle très bien dans son livre Les corsaires sur la route du café (chez Cristel)… Saint-Malo, c’est une ville étonnante : elle est toute petite, avec un orgueil fou. Elle a projeté les siens aux quatre coins de l’horizon ! Les gens restent fortement marqués par cette histoire, comme Olivier Roellinger, par exemple, qui a développé cette cuisine des épices, en rêvant de l’horizon… C’est l’un des héritiers de cette histoire.

L’orient est souvent dépeint comme un Ailleurs, un accès à des civilisations forcément exotiques… Les personnes qui viendront fouler ce festival ont-elles des idées reçues, des rêves orientaux ? Le festival joue fortement sur l’« étonnement »…

En réalité, une bonne partie de ce public nous est fidèle : la moitié environ participe au festival depuis des années… Ces gens ne manqueraient cela pour rien au monde ! Ils viennent certes pour être étonnés, mais surtout pour découvrir de nouveaux auteurs, dont on ne parle pas vraiment ailleurs, et pour parler, échanger avec eux… Le rapport qui s’instaure est d’une grande simplicité. Ensuite, tout le monde, bien sûr, a ses propres idées reçues : mais on essaie le plus possible de faire en sorte que les gens soient touchés et intrigués. Le but est de remettre en cause les idées toutes faites !

Etonnants Voyageurs a pour sous-titre « Festival international de livres et de films ». Le programme s’articule en réalité autour de rencontres, de dégustations de thé… On compte aussi des lectures, des expositions, des spectacles. La diversité recherchée est-elle à l’image de cet Orient si multiple ?

Oui, cette diversité est bien à l’image du festival : on peut compter jusqu’à 250 rencontres ! Tout cela en trois jours, et sur 17 lieux. On va accueillir des milliers de personnes : il faut donc proposer de nombreux rendez-vous. Je pense d’ailleurs que tous les genres littéraires sont respectables, il est important de proposer des portes à tous les publics : des formes populaires, d’autres plus pointues… Prenez les bibliothèques roses, vertes, elles ont formé de nombreux écrivains ! Certains ont eu envie d’écrire grâce à London, pas forcément grâce à Proust… Les gens vont donc être surpris, notamment avec les cafés littéraires. Mon plus grand plaisir, c’est quand je rencontre des personnes qui me remercient de leur avoir fait découvrir tel ou tel auteur. Côté cinéma, on voulait au départ projeter des films sur des auteurs… Puis la forme du documentaire s’est imposée : car l’idée de base du festival, c’est « la littérature qui dit le monde ». On aura pu voir plus de soixante-dix documentaires – peu de festivals le font ! J’aurais aimé mettre plus de photos, aussi : beaucoup de photographes investissent dans les mêmes enjeux esthétiques… Mais nous n’avons que trois jours, pas un mois !

Le festival comprend également un vaste programme dédié à la jeunesse…

Oui, car c’est très jeune qu’on doit commencer à lire : après, ça devient plus difficile… De plus, la littérature qu’on défend, les jeunes l’acceptent volontiers. Il y aura près de 1400 mètres carrés de surface pour les stands jeunesse, une soixantaine d’auteurs seront présents, il y aura des projections… Et puis, pour la deuxième année consécutive, un jury composé d’une dizaine de lycéens bretons va décerner le prix « Ouest France – Etonnants voyageurs » à un livre présélectionné.

Le festival s’expatriera-t-il cette année encore à Bamako ?

Oui, c’est prévu ! Auparavant, Etonnants voyageurs s’est expatrié à Missoula (dans le Montana), haut lieu des écrivains de l’ouest américain. Mais aussi à Dublin, à Sarajevo… L’idée, c’est que les festivals puissent tenir tous seuls : celui de Sarajevo a ainsi pu continuer de fonctionner. Quand au festival de Bamako, il a pris une ampleur considérable ; c’est un enjeu majeur de le maintenir. Bamako, c’est 80 écrivains qui viennent de 10 villes du Mali ! C’est, en définitive, un lieu qui rassemble toute une nouvelle génération d’écrivains, et c’est une prise de parole primordiale au sein de la francophonie. Plutôt que de durer éternellement, j’aimerais que le festival reste vivant, ancré dans l’aventure. La « littérature monde » gagne du chemin !

Julien Canaux


Michel Le Bris
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