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Les dessous du livre : Sabine Wespieser

Sabine Wespieser directrice des éditions Wespieser, est la nouvelle invitée de Zone-littéraire pour son cycle consacré aux acteurs de l'édition. Elle nous parle de sa littérature, de la rentrée et des prix. Bienvenu dans une maison qui a tout d'une grande...

Vous restez longtemps chez Actes Sud et puis un jour vous les quittez pour aller fonder votre propre maison d’édition (en 2001) : pourquoi cette envie ? Soudaine ? préméditée ?

Ça a plutôt été une envie récurrente, même et surtout lorsque j’étais chez Actes Sud. En effet, j’ai connu les débuts de cette maison, quand nous étions une quinzaine, que nous publiions entre 30 et 40 livres par an. Puis la maison a grandi, les circuits de diffusion sont devenus plus longs, la boîte plus difficile à gérer et donc le sentiment d’être tous unis derrière un auteur. Je voyais bien aussi que je n’étais pas faite pour la hiérarchie, j’ai du mal à donner des ordres, mais encore plus à en recevoir ! Surtout, je me rendais compte que j’avais une énergie qui ne pouvait s’épanouir dans une grande maison : le temps qu’un projet soit validé par le directeur éditorial, par la direction générale, ensuite que vous convainquiez en interne l’attachée de presse, le service commercial et les représentants de privilégier votre livre, l’ouvrage sortait enfin et vous n’aviez même plus envie d’en entendre parler !

Comment ça c’est passé, vous êtes vous lancée tout de suite ?

Avant de créer ma maison, j’ai passé un an chez Librio (Flammarion) dont le directeur à l’époque, Frédéric Morel, voulait développer l’édition de textes inédits. Même si ce n’était pas forcément ma tasse de thé, j’ai bénéficié d’une grande liberté éditoriale, et surtout, j’ai appris tout ce que je ne voulais pas que soit ma future maison ! Je me suis en effet retrouvée confrontée à des gens qui considéraient l’édition par le biais de l’offre et la demande, qui voyaient l’éditeur, et à fortiori l’auteur, comme des prestataires de service, répondant à une demande supposée du public, qu’ils auraient établie à partir d’enquêtes et de sondages d’opinion… J’ai regardé ça d’un air un peu halluciné et puis finalement, j’ai pris mon envol !En plus, c’était l’année symbolique de mes 40 ans, je me suis associée avec mon compagnon pour la création et nous avions à ce moment là de quoi investir suffisamment pour garantir à la maison une indépendance financière.

Comment avez-vous fait pour faire venir vos premiers auteurs ?

Ça été quelque chose de facile pour moi parce que je m’inscrivais dans un travail de relations avec les auteurs. Je considère que c’est plus facile de lancer une maison d’édition quand vous êtes déjà éditeur. J’ai fait comme beaucoup d’éditeurs lorsqu’ils quittent une maison, j’ai emmené avec moi ceux que j’avais amenés sur le catalogue d’Actes Sud. La condition sine qua non c’était de trouver un diffuseur et un distributeur, c’était fondamental. Une fois que j’ai eu fait mon programme éditorial et prévenu les agents, ne voulant les embarquer dans une aventure un peu folklorique de maisons d’éditions marginales, j’ai eu à cœur de trouver rapidement un diffuseur.
Des gens comme Vincent Borel, Rajia Banjassi, Theodoropoulos avaient une relation auteur – éditeur qui les satisfaisaient et ont décidé de m’accompagner.

Est-ce qu’au bout de deux ans d’activité, vous pouvez dresser un bilan ?

Je peux déjà vous dire qu’on ne le dépose pas encore, ce qui est déjà pas mal ! Par rapport à mes objectifs économiques, nous ne sommes pas encore à l’équilibre, mais le développement est normal pour une structure littéraire, donc exigeante. Il faut donner du temps au temps pour que les auteurs commencent à être connus, que le fond commence à tourner – créer un fond est primordial. Je suis surtout très contente et j’en remercie les diffuseurs, de ce que l’image de la maison s’est très vite installée, comme faisant partie intégrante du paysage éditorial. Pour cette troisième rentrée, les livres sont bien visibles en librairie, on en parle, etc. Revers de la médaille : je ne suis plus la chouchoute, la petite dernière !

Quel regard portez-vous sur la rentrée littéraire ? Y a-t-il des romans qui vous ont particulièrement touchés ?

Je me suis précipitée sur les auteurs que j’aimais, sur Dominique Mainard Le Ciel des chevaux, sur Jim Harrison par exemple, je n’ai pas été déçue, je me suis également précipitée sur le Philip Roth qui m’a affreusement déçue. Je trouve que ce que tout le monde s’accorde à dire est vrai, c’est à dire que c’est une rentrée très ouverte et en même temps c’est une rentrée sur le plan de la presse très difficile parce qu’il y a beaucoup de titres et énormément de pression. J’ai eu du mal à faire passer mes papiers, certains sont encore marbrés. Tout ça, parce dans cette année, plus que dans les autres, il y a une forte pression économique de la part des éditeurs. En somme, j’ai trouvé cette rentrée très tendue.

Vous publiez de la littérature française et étrangère : existe-t-il une « marque de fabrique » Sabine Wespieser ?

C’est difficile de répondre. Je n’ai pas vocation, ni compétence, ni envie de créer une école littéraire. Je publie donc des choses assez différentes (pas de points communs entre Rhamani et Ofulen, la première est plus dans l’expérimentation, dans la pensée, la philo ; la seconde plus dans la narration, le page turner). Moi, ce que j’attends de mes auteurs, c’est qu’ils me bluffent. J’ai besoin de les admirer, d’éprouver de l’enthousiasme pour défendre un livre. Peu m’importe de publier des choses diverses si chaque texte rend à lui-même un son plein, qu’il soit cohérent (forme et fond), qu’il y ait une vraie nécessité à ce qu’il soit publié.Ceci étant, lorsque je regarde mon catalogue, je vois que j’ai très peu d’auteurs franco-français. S’ils le sont, leur œuvre est particulière : ainsi, André Buscher raconte l’histoire de vastes territoires, tandis que Vincent Borel est plongé dans la période baroque. En fait, j’aime que les livres soient des fenêtres ouvertes sur le monde, que les gens soient à cheval sur deux imaginaires. Rhamani par exemple a une double culture, berbère d’abord, franco-intello ensuite. Bref, je m’intéresse surtout à des auteurs creusant le sillon d’une liberté d’écrire et de pensées oscillant entre deux sortes de cultures.

Est ce que vous vous imposez quelques publications ou dès que vous avez un coup de cœur, vous publiez ?

Ça marche réellement à l’affectif même si je m’impose d’en faire peu. Ce qui me frustre depuis que je suis à mon compte c’est l’apprentissage du refus. Nous ne sommes que deux à travailler au quotidien et je cherche à offrir aux auteurs toute l’attention et tout le soin que je ne pouvais pas donner par manque de temps dansune grande boîte. Je veux vraiment m’engager sur leurs textes. Cette année, j’ai sorti 13 livres, je n’en sors pas en novembre et décembre, l’année prochaine je n’en ferai que dix, parce que la structure ne me permet pas plus et l’idée c’est de réduire au
maximum la production pour ne faire que des choses dont on soit totalement convaincu et pour les faire le mieux possible. Mais c’est vrai que ce refus peut parfois faire regretter, semer des doutes, mais il faut bien choisir, c’est comme ça…

On ne vous voit pas beaucoup dans les sélections des prix : est-ce un regret ?

Je crois surtout que ce serait une divine surprise que d’y être ! L’année dernière, Rhamani était dans la sélection du Femina et elle y est restée jusqu’à la décision finale. Avec mon compagnon, nous avons fait comme si elle avait des chances de l’avoir : nous étions en week-end (on a su le vendredi qu’elle était dans la dernière sélection et le prix était décerné le lundi), nous savions pour toutes les raisons que l’on sait qu’elle ne gagnerait pas, mais nous avons joué le jeu. Du coup, on a appelé l’imprimeur pour avoir des devis de réimpression, le traiteur pour le cocktail, bref la simulation absolue ! C’était très drôle…

Pour ce qui est des premiers romans, est-ce un choix de ne pas en publier trop ?

C’est un choix induit par le fait que je veux en faire peu, et cette année je n’ai pas publié de premiers romans car un nouveau roman cela veut dire un roman de plus l’année suivante, ce qui accroît la production et ça devient difficile à gérer.
Evidemment j’aime découvrir des nouveaux auteurs, et pouvoir les placer dans mon catalogue mais en même temps il faut laisser la place aux miens. Il est important de respecter un certain équilibre, et cette année j’ai fait les mêmes auteurs. C’est difficile de publier des deuxièmes romans car il n’a pas la nouveauté que certains recherche. Mais c’est formidable de construire un catalogue en grandissant avec les auteurs

En tant que « petite » maison que pensez-vous du paysage éditorial actuel ?

Je le vois comme André Schiffrin le décrit dans son livre L’Edition sans éditeurs (éditions La Fabrique) : je le considère avec consternation car on va vers un modèle à l’américaine, c’est-à-dire des grosses boîtes amenées à faire de plus en plus de titres pour amortir les frais généraux de plus en plus importants, et donc tombant dans une uniformisation massive de la production. Pour une Christine Angot, véritable écrivain, on a trente clones, pour un Houellebec, il y en a quarante etc. Je trouve ça sinistre mais c’est comme ça.
Par chance, nous avons le prix unique du livre en France, qui permet aux libraires de pouvoir nous défendre contre les offensives des gros groupes, très massives. L’idée est de résister en gardant le cap.
Cependant, étant de nature optimiste, je me dis que si j’arrive à tenir assez longtemps pour que tout ce bordel se stabilise, on finira par retomber forcément sur nos pieds.
Quelque part, on y est déjà puisque ma maison arrive à vivre dans ce cirque, que des boîtes comme Viviane Hamy, Métailié, Joëlle Losfeld, Verticales ou l’Olivier existent : cela veut bien dire que l’idée d’une fidélisation du public, de la construction d’un catalogue, de l’originalité d’une production finit par payer. Les lecteurs ne sont pas aussi crétins que les directeurs de marketing des multinationales veulent les penser !

Maïa Gabily et Charles Patin O'Coohoon

Zone Littéraire correspondant


Sabine Wespieser
Ed.
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Dernière modification le Thursday, 04 June 2023 22:27

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