Entretien avec Lauren Henderson

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Qui êtes-vous, Lauren ? Un écrivain depuis toujours ?



Une auteure. J’ai toujours eu envie d’écrire, depuis que je suis teenager au moins, et j’ai commencé par être journaliste à Londres dans des magazines de musique, de mode... Je n’arrivais alors pas à écrire quelque chose de plus long que mille mots environ, je ne pouvais me concentrer suffisamment, ce qui est problématique quand on a décidé d’être écrivain !
Une amie, qui habitait en Toscane, m’a invitée chez elle et j’ai pu travailler là-bas. J’ai réussi à écrire mon premier livre, tout en vivant au milieu de fêtes, de soirées... Pas franchement le climat de sérieux qui semble s’imposer, mais il s’est révélé hautement favorable pour moi.



Quel est votre meilleur public ?



Le marché allemand est excellent pour le genre de livres que j’écris, les allemands lisent beaucoup plus que les autres européens. Mais c’est la France qui m’accueille le mieux. Je trouve que l’approche des journalistes français est souvent plus intéressante, plus pertinente et plus fine, plus intellectuelle. Ils ne me posent pas les questions auxquelles j’ai toujours droit aux US, et ils entrent dans des détails qui me surprennent ! Hier, j’ai fait une interview (Radio Aligre) qui m’a révélé beaucoup sur moi-même et sur mon écriture, la reporter a vu et compris des choses dans le livre auxquelles je n’avais pas pensé, qui sont venues inconsciemment dans mon travail. Elle m’a mise en lumière plus que je ne l’aurais imaginé !

Mon public est surtout féminin. Je me souviens de cette femme texane qui m’avait chaudement remerciée, lors d’une signature, pour ce que mes livres lui apportaient en termes de divertissement, de légèreté.



Pourquoi le polar humoristique féminin ?



Pour échapper au livre que j’étais en train d’écrire il y a neuf ans. J’adore le polar, et cette nouvelle vague de polars dont le personnage principal est féminin font de la femme une femme trop féministe, contre les hommes, paranoïaque, presque agressive. J’ai voulu construire des personnages beaucoup plus positifs, dont les relations avec l’homme sont plus pacifiées ; je voulais créer des protagonistes plus légers. On prend toujours les choses trop au sérieux, et je me sens libre, abordant de cette manière les sujets importants. Mon personnage est libre, beaucoup plus léger et libre que la plupart des femmes américaines, qui subissent encore le poids d’une société bourrée de préjugés.



Votre livre Chained et le public français (puisque vous semblez l’apprécier) ?



Je viens en réalité de terminer mon neuvième livre, et Déchaînée n’est que le sixième... Je vais trop vite !



Ou bien nous sommes en retard...



Là, je vais bientôt sortir, avec d’autres auteurs, une Anthologie sur les femmes et le polar. Mais c’est surtout la traduction qui prend du temps...



Vous qui parlez si parfaitement le français, avez-vous été satisfaite des traductions des aventures de Sam Jones ?



Même si je comprends bien votre langue, et que je ne la parle pas trop mal, j’ai du mal à m’exprimer sur la qualité de la traduction, à la juger. Tout ce que je peux dire, c’est que lors d’un festival qui avait lieu place de la Bastille, je lisais Y’en a marre des blondes (pardon, vous êtes blonde) devant un public qui riait aux endroits stratégiques et sensés être drôles avec moi (je riais presque autant que lui, surtout au cours de quelques dialogues). Il me semble que c’est un bon indicateur.

En revanche, on m’a dit que la traduction en allemand était moins bonne. Le titre de l’ouvrage en question a été transformé en une formulation vulgaire, et cela m’a beaucoup fâchée. Mais on peut difficilement tout surveiller, tout contrôler, surtout lorsqu’il s’agit de traductions en Grèce, au Portugal.



Vous dites que Chained est inspiré du tournage de How do you want me 2.



J’ai une amie productrice free-lance qui travaille pour la BBC, et qui m’avait proposé de venir assister à une journée de tournage. Elle faisait alors une série pour la télévision. L’air malicieux, elle a accepté et je n’ai compris pourquoi qu’à la fin de la journée. Qu’est-ce que c’est ennuyeux ! Rien à faire ! On ne fait que manger, un peu comme je le décris dans le livre ! On vous apporte des sandwiches, des jus, des petites choses à grignoter sans arrêt... Moi qui m’attendais à une expérience incroyable...

A la fin de la journée, mon amie m’a demandé si je voulais revenir le lendemain. Et je me suis exclamée : Non ! Je t’en prie, je t’en prie, par pitié... Elle m’a répondu qu’elle se doutait de ma réaction finale.



Mais je croyais que vous aviez voulu devenir actrice à une époque...



Cela m’a vite passé, je me suis rendue compte que ça n’était pas mon truc. Je préférais écrire mes mots, plutôt que voir les mots des autres mis dans ma bouche.

En ce moment je suis en train d’écrire une sitcom avec une partenaire américaine qui a déjà fait des BD animées pour MTV. Elle possède des instruments et des techniques de travail incroyables !
Chaque épisode ne doit pas dépasser les 25 minutes, donc je suis obligée de me plier à certaines règles et certains formats. C’est tout un exercice !



Vos livres “Sam Jones”pourraient d’ailleurs faire l’objet d’une adaptation...



La BBC m’a fait quelques propositions, mais je n’ai pas été convaincue, ni satisfaite. Ils n’avaient pas vraiment compris qui est Sam. Ils m’en suggéraient une image qui ne m’a pas parlé du tout, une Sam qui ne se positionnait que “contre” tout ce qu’elle rencontrait dans la vie… au lieu d’avoir une approche vraiment personnelle. Et moi, je n’aime pas les gens « contre » !



Et votre amie productrice a lu le livre Chained ensuite ?



Oui, et elle m’a dit l’avoir aimé. Mais attention, elle n’est pas le personnage Red. Elle travaille dans le bureau que j’ai décrit, elle a les cheveux un peu roux, mais la ressemblance s’arrête là. Je ne l’ai pas pastichée. Tous les gens que j’ai rencontré au cours de ce tournage ont trouvé que j’avais bien rendu l’atmosphère, que j’avais donné une bonne idée de ce milieu.



Justement, ils n’ont pas été agacés par l’ironie font vous faites preuve à l’égard du cinéma et de ses petits travers, si comiques et ridicules dans le livre ?



Mais franchement, quand j’étais en train d’écrire le livre, je n’ai pas voulu être sarcastique ou moqueuse. Ce n’était pas mon intention d’être aussi piquante. Mais j’ai compris que je l’avais été, lorsqu’on m’a interrogée comme vous le faites sur le livre. J’ai voulu simplement décrire, peindre, sans idée parallèle. Par exemple, mon amie Stella, également actrice, n’est pas Sarah. Je crois que c’est simplement parce que l’univers du cinéma se prête bien aux pastiches, que cela a donné ce résultat. Ce que je souhaite faire, lorsque j’écris, c’est caricaturer. Pas me moquer ou descendre. Le milieu cinématographique est déjà une caricature en soi, donc la caricature de la caricature ne peut que donner que quelque chose d’assez drôle...



L’ironie va aussi en direction des écolos, ces gens qui sabotent les chasses à la courre...



J’ai effectivement un ami qui participe à ce type d’activités. Il a pu me renseigner... Mais ce n’est pas vraiment une attaque contre ce milieu et ces pensées, puisque l’on découvre à la fin qu’il n’y a là qu’une couverture, et que le “gros méchant” a été viré du groupe d’écolos parce qu’il était trop violent... Il fallait surprendre un peu le lecteur !



Il vous arrive de prendre parti politiquement dans vos livres ?



Ca ne me réussit pas trop, même si j’ai toujours voulu m’exprimer sur certains sujets. Trop grave, pour moi qui veux être légère, malgré mon passage en tant que journaliste dans un mag politiquement orienté à gauche. Et pourtant, j’ai des tas d’amis qui le font, de manière brillante. Moi, j’ai du mal. Chained est le seul livre où j’ai exprimé quelques infimes parcelles d’opinions politiques. Et c’est le max que je puisse faire !



Pourquoi faire de Sam une artiste d’art contemporain ?



Vous connaissez cette histoire de l’Empereur nu ? Tirée d’un conte ?



Oui, là où le grand Prince pense qu’il a dépensé une fortune pour s’habiller et qu’il se met à parader dans la rue complètement nu, mais très fier ?



Je voulais singer ces jeunes artistes contemporains, en particulier des jeunes artistes britanniques dits conceptuals, qui font toujours des choses extraordinaires, dont tout le monde parle sans retenue, alors qu’il s’agit souvent de pièces très simples, voire bêtes et sans grand intérêt.

Sam fait partie de cette vague là, qui se prend très au sérieux pour des oeuvres qui font crier au génie sans toujours le mériter, et que je prends plaisir à caricaturer. J’ai décris cet univers surtout dans Tatouage à la fraise l’année dernière.
Ma Sam, je l’ai voulue un peu différente de ces femmes que l’on rencontre traditionnellement dans les polars. Elle ne fait ni régime, ni sport, ne karaté... Mais son art est assez physique, puisqu’elle manie la lampe à souder pour ses sculptures sur le métal. C’était une manière comme une autre de montrer qu’elle n’est pas une femme trop fragile et vulnérable.

Et puis avec ce métier, je peux la transporter dans de multiples et divers univers, pour des aventures renouvelées.



Sam Jones est née d’un pari ?



Pas vraiment. En fait, j’ai commencé à écrire avec une amie, nous voulions créer un protagoniste féminin inédit (une décision prise un soir de beuverie !). J’ai conçu un chapitre, elle en a fait un autre, etc. Mais nous nous sommes rendues compte que nos idées ne coïncidaient pas vraiment, que cela ne pouvait fonctionner et j’ai décidé d’écrire seule, et de créer Sam Jones quoi qu’il arrive... Mon amie analysait trop, était probablement trop introvertie, dans une démarche trop intellectualisante...



Quel est le pire des défauts de Sam Jones ?



Elle est très têtue. Très enfant. Elle a du mal à gérer ses relations amoureuses, son affect. Dans le prochain livre, Hugo son petit ami, souhaite qu’elle emménage avec lui. Un gros dilemme pour elle. Elle ne sait pas si elle est capable de faire le saut... comme moi !



Ah, on arrive aux similitudes... L’appartement de Sam ressemble au vôtre ? Est-ce qu’on peut mettre le pied dans votre salle de bain sans écraser un cafard ou en espérant en ressortir au moins aussi propre qu’on y est entré ?



Non, mon appartement est moins effrayant de désordre et de saleté... Je fais le ménage, moi. Je ne lui ressemble pas pour tout. Elle vit plutôt comme un jeune homme, comme un petit macho !



Malgré son côté baroudeur, elle est assez sexy...



J’espère ! Comme c’est un peu moi, version cartoon... Je la voulais assez féminine ; physiquement elle est voluptueuse, sensuelle. Je ne voulais pas qu’on assimile son côté “garçon manqué” à son physique, à son corps.



Alors qu’y a-t-il de plus ressemblant entre vous et elle ?



Sans doute notre façon de critiquer les autres ! Notre manière de voir le monde, de le penser... J’ai Sam dans la tête, même si je ne m’assimile pas à elle bien entendu, et que la frontière est très claire. Je sais ce que Sam pense et aime, ce que je pense et ce que j’aime. Sam va dans les extrêmes que je ne veux pas atteindre, dans des limites que je ne pousse pas. Elle est une caricature bien dissociée de moi-même. Même si ma sœur trouve en Sam ce que je pourrais être... Et par exemple, moi, je sais très bien cuisiner !



Vous êtes aussi légère que Sam ?



Elle est sculptrice et moi je suis écrivain. Deux activités fondamentalement différentes. Je suis obligée de m’arrêter plus sur les choses, de les analyser un minimum si je veux avancer. Sam, elle, se jette au cœur des choses sans plus de réflexion. Une tête brûlée que je suis pas. Du moins, pas autant.



Les détails sur son Passé, qui sont distillés dans ce roman ?



Je n’avais pas l’intention de révéler le parcours de sa vie d’enfant, de ses origines. Tout est venu dans l’écriture, j’ai découvert des détails sur Sam au cours de l’écriture, qui sont assez drôles je crois... Je vais probablement continuer à enrichir le personnage, à lui donner de la profondeur, au fil de mon imagination du moment. J’aime aussi à être surprise par ma propre écriture, à découvrir presque en même temps que le lecteur certaines infos...



Mais dans ce livre, Sam, toujours immobilisée, ne s’introspecte pas trop, et c’est dans d’autres occasions qu’on découvre son passé.



Elle a beaucoup combattu dans les autres livres. Ici, j’ai voulu qu’elle soit prisonnière, qu’elle révèle un autre combat. Elle pense, et ses pensées sont cristallisées sur la manière de s’en sortir, de s’échapper. Il fallait faire quelque chose de nouveau, qui détonne des scènes de bataille d’avant...



Et les prochains livres ?



Mon huitième livre est un anti-Bridget Jones, pour lequel pas mal de lectrices m’ont complimentée et encouragée, sur l’idée et la démarche. J’ai aussi travaillé sur cette Anthologie de femmes dans le polar qui paraîtra en avril en Grande Bretagne. Et là, je suis sur un thriller.



Les aventures de Sam ne sont pas terminées j’espère ?



Le dernier Sam Jones - le septième livre- la place dans une situation de choix, de changement. Un carrefour, et je ne sais pas encore où cela la mènera. J’avais besoin de faire un break dans la carrière de mon héroïne... Sam se trouve actuellement dans une situation un peu à la “Autant en emporte le vent”, et je ne suis pas sûre de savoir quelles seront ses prochaines péripéties, quelles vont être les directions pour lesquelles elle va opter.

Jessica Nelson


Lauren Henderson
Ed.
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Last modified onlundi, 04 mai 2009 21:40 Read 3206 times