Arnaud Viviant, profession directeur

Interviews
Le numéro 11 du magazine Chronic'art ressemble à une foire d'empoigne familiale. Appartenant au tentaculaire Léo Scheer, le canard laissait une page à Dominique Carleton, auteur de Déposition 713705, ouvrage vendu sous blister avec le magazine, et, bien sûr, édité par Léo Scheer. On pouvait y lire ceci : "Je vous informe que vous allez lire un livre d'une grande rareté. Mon livre, écrit dans une langue morte mais qui bande encore. Mon livre, qui inaugure, je me demande bien pourquoi, une Collection qui en rougit d'embarras. Mon livre, publié par Léo Scheer, sous la direction titubante d'un direction de Collection improbable, que je ne reconnais pas pour tel." Cet homme "improbable" est Arnaud Viviant. Il pensait avoir publié le meilleur livre de la rentrée jusqu'à lire le dernier Beigbeder (dont nous ne parlerons peut-être pas, qui sait)... Quelques semaines avant cette histoire incestueuse, nous l'interrogions sur ses nouvelles activités. Arnaud Viviant, improbable ? Plus insaisissable tu meurs, c'est lui, à l'origine de cette photo de Télétubbies. Une ombre qu'il cherche à flouter de plein gré. Arnaud Viviant, c'est lui.



Avec Déposition 713705, Dominique Carleton essuiera les plâtres de la nouvelle collection Chroniques (éd. Léo Scheer), dont vous assurez désormais la direction. Après vos collaboration aux Inrocks, à l'émission Arrêt sur Images, au magazine Hélène et à l'écriture de vos propres ouvrages, votre ubiquité est-elle une réponse à l'ennui ?

Une réponse à l'ennui, certainement pas. J'aime m'ennuyer. Mais j'aime aussi apprendre. Action et contemplation se disputent en moi. Parfois, c'est l'une qui gagne, parfois c'est l'autre. Mon banquier adore quand c'est la première, mais c'est une autre histoire. Disons que, ne faisant pas confiance dans l'actuel gouvernement, je m'occupe personnellement de ma formation professionnelle en continu, que l'aide de camp du Medef, M. Raffarin, prône à longueur de discours soporifiques.


Comment définiriez-vous ce nouveau rôle de directeur de collection ? Quelles exigences cela nécessite-t-il ?


Mon expérience est encore courte, mais je dirais à vue de nez que pour être un bon directeur de collection, il faut être assez stalinien. J'avais en hypokhâgne un prof d'anglais qui disait : "La démocratie s'arrête à la porte (de la classe)". Je dirais volontiers la même chose : la démocratie s'arrête à la porte de ma collection. Il faut bien sûr quelques autres qualités, mais elles sont moins importantes.


D'où vient l'idée de cette collection ? Qu'en est-il de sa diffusion en kiosque ? Est-ce une démarche plus commerciale (on sait Léo Scheer> très fort sur ce plan) qu'idéologique - pensez-vous que tous les moyens sont bons pour relancer la machine littéraire ?


Je rappelle pour information que le roman de Dominique Carleton est vendu pour moitié en librairie et pour moitié en kiosque, et ce, au même prix. Pour le reste, la vente en kiosque découle bien évidemment
d'une réflexion idéologique sur le rôle actuel des libraires. Le prix
unique du livre les place dans une situation de monopole contraire à
l'idéologie capitaliste dans laquelle nous baignons, hélas. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si les libraires n'étaient pas les vecteurs inconscients d'une censure idéologique des livres. Alors que contrairement aux discours propagés par deux ou trois imbéciles, la critique littéraire française fait bien son travail, et repère à chaque fois les livres importants, le libraire, lui, impose ses choix et continue à vendre ce qu'il veut bien vendre. Pas le meilleur, disons-le tout net, comme le classement des meilleures ventes nous l'indique chaque semaine. On peut donc croire que les kiosquiers, habitués à vendre des journaux, autrement tout le spectre des sensibilités idéologiques, seront moins censeurs que les libraires.


Zone-litteraire vous interrogeait à la sortie de vos carnets, Ego Surf (cf. ci-dessous). Vous déclariez alors : "Je me fous complètement du tirage, d'une cible, du chiffre de vente et autres détails de ce genre. C'est le job et le souci de mon éditeur, moi j'écris. Je me soucie bien plus du processus de création lui-même." En tant que directeur de collection, êtes-vous amené, aujourd'hui, à vous contredire ?


Disons qu'il me plairait assez que Dominique Carleton vende suffisamment pour ne plus toucher le RMI, comme c'est son cas actuellement. J'ai mes pauvres, moi aussi.


Par ses ennuis judiciaires (Une bête de somme racontait comment l'auteur se faisait envoyer gratuitement des produits de luxe), par ses ennuis éditoriaux (Denoël lui demanda le remboursement de ses à-valoir), Dominique Carleton n'est-elle pas trop marketée pour jouir d'une réelle crédibilité littéraire ? Son passé a-t-il influencé, ne serait-ce qu'à la marge, votre choix ?


Dominique Carleton est la personne la moins marketée que je connaisse. personnellement, je la surnomme Louise-Ferdinande Céline,
c'est dire. C'est un grand écrivain. Et c'est aussi un grand personnage comme tous les grands écrivains.


Comment définiriez-vous ce premier livre ? La démarche stylistique semble venir avant toute chose. Est-ce une réponse aux romans de plus en plus linéaires ?


La haine de la société vient avant toute chose chose chez Carleton. Et son livre est pour moi une réponse aux romans de plus en plus compromis politiquement et socialement.


Le mot "chronique", étymologiquement, désigne ce qui est relatif au temps. Pour vous, quelles sont les caractéristiques d'un roman contemporain ?


Le roman ne m'intéresse pas en soi. Le deuxième livre de la collection n'en sera d'ailleurs pas un. A paraître en octobre-novembre, ce sera un document, un livre de journaliste. Sujet top secret. Quant à la chronique, c'est une maladie chronique chez moi.


Maintenant que les bouquins de la rentrée sortent, pouvez-vous nous donner une impression sur les nouveautés ? Y.D. a fait la une des Inrocks ; la question de l'Islam serait-elle définitivement au centre de la réflexion romanesque française ? Tous les prochains septembres donneront-ils leur lot de romans estampillés 11 septembre ?


La rentrée 2003 est un excellent millésime. Les gens écrivent de
mieux en mieux. J'ai lu au moins six très bons livres, ce qui n'est pas rien. Le plus important est le Beigbeder. A côté de lui, Carleton a l'air d'écrire en ancien français, comme je n'ai pas manqué de le lui dire... Et portant, qu'est-ce qu'elle écrit bien... J'ai aussi été très impressionné par Amoureux & vendus de Basile Panurgias chez Fayard. Quel immense écrivain! Le Jauffret est impeccable. Quant à mon ami YB, il n'a pas failli à la tâche de faire rire un pays qui allait depuis longtemps au cinéma pour ça.


Enfin, la sortie de plusieurs centaines d'ouvrages vous donne-t-il à réfléchir sur le rôle des journalistes quant à la question du défrichage ? La presse n'est pas à son mieux... question de connivences ?


J'ai déjà répondu à cette question. La critique littéraire française est l'une des meilleures au monde, sinon la meilleure. Il faut au moins habiter Grenoble pour ne pas s'en rendre compte. Chaque année, nous avons le droit aux mêmes déplorations sur le nombre de livres publiés, à croire que certains rêvent que les éditeurs soient soumis comme les agriculteurs à des quotas de production fixés par Bruxelles! Et pourquoi pas à des plans quinquennaux... Personnellement, je remarque simplement que les faillites de maisons d'édition sont assez rares dans ce pays. Preuve qu'il n'y a pas surproduction littéraire...

Ariel Kenig


Arnaud Viviant
Ed. Léo Scheer
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Last modified ondimanche, 17 mai 2009 11:56 Read 7490 times