Entre chiens et loups

Enquêtes
La cellule investigation de Zone littéraire s’est essayé à la « prix-ologie » comparée. Entre un prix réputé – l’Interallié – et un autre plus contournable – le « 30 millions d’amis », lequel est le plus futile ? Zone est allé faire le beau à l’issue des délibérations.

Niveau alimentation des jurés, ça se tient dans un mouchoir de poche. Le restaurant Lasserre pour l’interalliés où de vieux journalistes – plus de 70 ans de moyenne d’âge – décernent l’Interallié. Et Chez Drouant, dans le deuxième arrondissement, pour le 30 millions d’amis, immodestement surnommé « Goncourt des animaux », ce dernier, décerné au même endroit trois semaines après le Goncourt des humains, clôt la saison des prix. La voiture balai de la rentrée littéraire est donc plus une moto-crotte. Et force est d’avouer que le parti-pris zoophile du 30 millions d’amis mis à part, rien ne le distingue à première vue des vieux cabots de l’Interalliés, pas avares de saillies grinçantes comme des portails. Question de dressage. Pour les exigences, les chartes de l’un et l’autre sont plutôt simples. L’Interallié récompense le travail romanesque d’un journaliste : purement honorifique, il a fonction de rattrapage par rapport à d’autres prix, comme nous le confiait Jacques Duquesne, chargé du dépouillement des voix. Dix fois cité sur les listes et jamais primé, Marilyn dernières séances, de Michel Schneider faisait donc bien la blague cette année. Comme Houellebecq en 2005, pour le consoler du Goncourt envolé. Au risque de conforter l’Interallié dans sa réputation de grande gentillesse vis-à-vis des auteurs Grasset, puisque l’éditeur cumule tout de même 28 décorations sur les 71 que le prix a décerné depuis ses origines. Le « 30 millions d’amis » parle de lui-même, il s’agit de récompenser la présence d’un animal dans un roman ou un essai, « qu’il soit ou non le sujet principal de l’œuvre ». Qui l’eut cru ?
Cynophiles
Si le vainqueur se juge à la densité de scribouillards, la victoire revient incontestablement à l’Interallié, d’autant plus couru cette année que Michel Houellebecq, lauréat l’an passé, figurait dans le jury. Dès le prix proclamé, c’est une bonne poignée de petites journalistes qui venait supplier à genoux le grand homme de donner la papatte médiatique : un bon mot, une exclu, peut-être ! Michel Schneider – un peu diva, un peu divan – en a fait les frais. Seul de longues minutes contre un mur avant d’avoir à son tour les honneurs mesurés des gazettes, il a du attendre que Houellebecq dévide devant les caméras le peu de joie qu’il avait à voir l’Interallié être décerné à un livre qui ne l’intéressait pas, et qu’il n’avait de son propre aveu, « pas fini ». Très corpo, la star soutenait Chemins de fer de Benoît Duteurtre appartenant à la même écurie que lui, Fayard en l'occurence. La séance photo entre les deux stars du jour qui s’ensuivit n’en eut que plus de saveur. La salle ne se vida qu’après une bonne demi-heure d’insistance des maîtres d’hôtels à poils durs de chez Lasserre.
Chez Drouant, côté 30 millions d’amis, il faut l’avouer, les choses étaient plus simples : les deux envoyés spéciaux de Zone littéraire étaient… seuls. Sur la moquette généreuse, point de midinettes, mais le chien de Françoise Xenakis, la présidente du jury, traînant sa laisse entre les pieds des chaises et ceux des jurés. Une caméra de l’émission éponyme au fameux générique sifflé et c’était marre. Surtout que le sort a frappé à deux reprises le Goncourt des animaux cette année : le prix a perdu deux jurés, Bernard Frank et… Mabrouka, le berger allemand mascotte de l’émission. Annus horribilis. Et dommage pour Littel, qui, s'il avait été sélectionné pour l'histoire du nazi Maximilien Aue narrée dans les Bienveillantes, aurait peut-être eu la voix de Mabrouka.
Au poil
Le Goncourt des animaux ne remporte pas la palme de la charte la plus improbable – voir pour cela le prix de la gendarmerie nationale ou le prix Hugues Capet. Il tire sa légitimité d’ailleurs. Reha Kutlu-Hutin, présidente de la fondation éponyme, le raconte volontiers, c’est une histoire arrivée à Françoise Sagan qui est à l’origine du prix : « elle était passée dans l’émission 30 millions d’amis, après cela tout le monde la reconnaissait dans la rue, ce qui n’était jamais arrivé après Apostrophes », fait-elle remarquer, un rien cynique – du grec kuon, chien, CQFD.
Le jury a aboyé de concert cette année, puisqu’il a élu à l’unanimité, et c’est une première, Toi, mon chat (Ed. Zulma) (sic) de la coréenne Kwon Yoonjoo (re-sic), qui raconte – tenez vous bien – « l'histoire d'un chat. Un chat qui pourrait être n'importe quel chat, un chat tigré emblématique et familier ». Il pourra en tous cas mettre un peu de beurre dans le Ronron : le prix doublera au moins les ventes de l’ouvrage. A peu près dans les mêmes proportions que l’Interallié, d’ailleurs. Ce qui décidément n’aidera pas à trancher entre nos amis à quatre pattes et nos amis à 6 pattes, en comptant le déambulateur. Egalité donc, et baballe au centre.

Laurent Simon & Marc Delaunay

Zone Littéraire correspondant



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Last modified onlundi, 26 avril 2010 18:59 Read 3957 times
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