Vacances en eaux troubles

Chroniques
Submergé par le flot des 659 romans de la rentrée 2009, le second livre d’Hélène Gaudy, Si rien ne bouge, mérite largement d’être repêché avant que le tsunami de septembre ne s’abatte de nouveau sur les rayons des librairies. Un texte qui fleure bon les vacances et les souvenirs d’adolescence.

Après avoir décliné les différentes facettes de l’amour et de la solitude dans Vues sur la mer (Les Impressions nouvelles, 2006), Hélène Gaudy publiait en septembre dernier un texte sous haute tension baptisé Si rien ne bouge, en référence à une chanson de Noir Désir (« Je t'écris toujours quand la menace du fond de la cour grimpe et me glace. Regarde là-bas du bout de mon doigt si rien ne bouge… », chantait Bertrand Cantat). Dans ce second roman aussi soigné que captivant, l’auteur décortique les rapports humains en s’attaquant à un moment de la vie qui les exacerbe particulièrement : l’adolescence. Comme chaque été depuis plusieurs années, Nina passe ses vacances en famille, dans une bâtisse aux murs tordus, perdue en plein cœur de la pinède corse. Deux parents aussi amants qu’aimants, une fille unique et réservée, beaucoup de temps et encore plus de soleil… une routine estivale bien huilée que la présence d’une étrange invitée va bientôt perturber. Elle s’appelle Sabine, elle est légèrement plus âgée que Nina et affiche d’emblée un caractère bien plus trempé. Issue d’un milieu défavorisé, cette jeune inconnue ne semble pas tellement reconnaissante à ses hôtes de l’avoir tirée de l’ennui citadin pour l’emmener en vacances sur l’île de Beauté. D’où vient-elle ? Quelle est la véritable raison de sa présence ? Nul ne le sait vraiment.

Huis clos infernal

Entre les deux adolescentes, le courant ne passe pas immédiatement. Pourtant, malgré une certaine gêne, Nina finit par se laisser entraîner dans le sillage de Sabine qui adopte un comportement pour le moins irrespectueux : taciturne, menteuse, aguicheuse, elle rechigne à toute activité conviviale, préférant les sorties buissonnières et les flirts pas si innocents : « Nina n’est plus le guide, ne l’a jamais été, c’est Sabine qui par la main la tire, l’entraîne dans ces rues plates où tout s’étend au soleil, sans plus de recoin ni de secret. Nina se laisse aller dans cet étalement des choses, en tout ce qu’elle trouvait vulgaire elle découvre des attraits insoupçonnés […]. » Plus les vacances avancent, plus les différences s’accroissent. Dans ce genre de situation, on le sait, les contraires s’attirent. Ainsi, Sabine et Nina ne tardent-elles pas à faire bloc. Peu à peu, leurs silhouettes se confondent et leur identité s’efface au profit d’une créature hybride que les parents appellent laconiquement « les filles ». D’escapades nocturnes en promenades le long de la plage, le mystère qui entoure la présence de Sabine s’épaissit tandis que l’indolence estivale s’amenuise. L’atmosphère se fait plus lourde à mesure que l’air se charge d’angoisse et que la chaleur étouffe les quatre personnages. Sans que le lecteur ne s’en rende bien compte, le livre bascule brutalement dans un tout autre genre et les jolies petites vacances charitables se transforment en huis clos infernal. Comme Laura Kasischke dans La Couronne Verte ou Rêves de garçons, Hélène Gaudy maitrise l’art d’explorer les secrets adolescents sans jamais céder à la facilité du stéréotype. Alternant les rythmes avec une précision exemplaire, elle parvient à tenir le lecteur en haleine jusqu’à la toute dernière page du récit. Les phrases, comme bercées par le chant des cigales, se font soudain plus incisives. Impossible de lâcher ce roman avant son dénouement qui laisse le lecteur presque déçu de l’avoir si vite terminé. Qu’importe, les vacances sont aussi propices à la relecture.

Si rien ne bouge
Hélène Gaudy
Le Rouergue
119 p. - 13€

Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:21 Read 2018 times