L'oculiste noyé

Chroniques
Surréalisme. Les minutes passent : soixante minutes en une heure, un nouveau récit toutes les quatre minutes, quinze nouvelles sur l'heure qui passe et le rouleau compresseur de la vie qui aligne, qui nivelle, qui transperce les hommes.

Un auteur raconte la mathématique du temps, la prose universelle, le surréalisme qui tue, et rend un hommage vibrant au hasard qui décoiffe, au hasard qui réinvente, au hasard qui coïncide. Quinze auteurs européens – Pérec, Joyce, Cioran, Michaux, Pessoa, Bernhard, Calvino, Beckett, Kafka, Zorn, Pavese, Gombrowicz, karinthy, Achternbusch, Hamsun- pointent leur museau, livrent leur esprit à Patrick Roegiers, grand digéreur de mots, manitou du manifeste de la vie, gourou de l'écriture surréaliste à l'humour aussi décapant que caustique, qui magnifie et unit la chose et l'être dans une histoire poétique, forcément catastrophique. Touchante.

Quinze événements retravaillés, polis à en devenir étrangers à eux-mêmes pour s'appesantir sur les flaques, sur les tranches de vie : éclaboussures évolutives qui amènent la vie ou la mort selon la volonté de la destinée. Le fait divers se change en fait littéraire, se relance dans le surréalisme de mots agencés avec grâce par un grand manieur de mots ; une mosaïque de moments qui tresse un lien entre les protagonistes de la grande ratatouille contemporaine.

Et c'est dans ce fol carambolage d'événements sibyllins que se rencontre les sensibilités revisitées de tous et de chacun : la plume de Roegiers, érudite et bizarroïde, physique et humoristique, précise et envolée, plonge dans le burlesque, en précipitant le lecteur dans une spirale d'enchantements et de surprises. Universels ! A double tranchant : amusé dans un premier temps, cette impitoyable rhétorique devient pesante, oppressante et finalement pénalisante au fur et à mesure des pages : le trop plein perd, la soupe se fait douche, et du surréalisme découle une envie de retrouver les terres bénites des gens normaux où le banal se veut fondation, où la création tire ses origines de la " normalité ". Bref, on ne saura apprécier le livre dans sa pleine mesure qu'en le lisant épisodiquement, en prenant le temps de le fermer par intermittence.

Il n'empêche : L'Oculiste noyé est non seulement intéressant : il cache aussi une sensibilité et une créativité indiscutablement fines, une maîtrise de la langue et des idées d'écriture remarquables. A lire, donc !


Jean-Baptiste Vallet

L'oculiste noyé
Patrick Roegiers
Ed. Seuil
208 p / 16 €
ISBN: 2020367599
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:21 Read 899 times