Corpus Coetzee

Chroniques
Première nouvelle : J.M. Coetzee serait mort. Et c’est le prix Nobel de littérature 2003 lui-même qui nous en informe. Une manière de conjurer le sort ? Plutôt un moyen de porter un regard objectif sur son existence.  

Qui n’a jamais pensé – voire souhaité savoir – à ce qu’on dirait de lui après sa mort ? Cette interrogation narcissique, qui révèle bien plutôt une crainte, dépasse la question de la postérité. Car en ce qui concerne J.M. Coetzee, elle est a priori assurée, ne serait-ce que par le fait que son nom figure dans la liste des écrivains nobélisés du XXIe siècle. C’est pourtant la question qu’il se pose dans ce troisième volet d’une entreprise autobiographique qu’il a lancée avec Scènes de la vie d’un jeune homme et poursuivie dans Vers l’âge d’homme. Abandonnant le récit à la troisième personne retenu dans les deux précédents volumes, il dirige un concert de voix qui résonnent, sévèrement, à l’unisson pour dresser de lui le portrait d’un professeur certes compétent, d’un écrivain sans doute talentueux (sans être prodigieux), mais d’un homme dépourvu des qualités qui en font un être peu sociable, incapable de satisfaire une femme et par conséquent contraint à cohabiter avec son vieux père malade. Cinq personnes - quatre femmes et un homme - répondent ainsi à tour de rôle aux questions posées par un mystérieux biographe qui entreprend de retracer la vie du grand écrivain. Qu’il s’agisse de sa cousine Margot, des femmes qu’il a aimé ou d’anciens collègues, il leur est demandé de livrer leur image, leur perception de J.M. Coetzee tel qu’il était, qu’il se comportait avec eux. Alternant les interviews brutes et les récits retranscrits qui en sont le produit – interrogeant à cette occasion l’exactitude du travail de restitution journalistique ou fictionnel qui peut être fait à l’issue d’une discussion – Coetzee écarte tout éloge posthume glorificateur, de même que toute nécrologie académique. D’une bouche à l’autre en effet, les épithètes alimentent une surenchère permanente : il « n’est rien », « inadapté », « désincarné »… On aurait même tendance à penser qu’il en fait un peu trop dans l’autodénigrement si ce récit n’était pas empreint d’une savoureuse ironie qui dépasse la silhouette de sa seule personne et se fait le révélateur des tensions dans un pays où l’emprise de l’apartheid est encore perceptible au quotidien.

Requiem ou biographie non autorisée d’un insulaire…

Tout à la fois dur dans sa réserve et fragile dans la maladresse de son rapport aux autres, l’Afrikaan Coetzee n’est que le symptôme à échelle humaine des tensions engendrées par des années de mise à l’écart de ces deux populations. Des tensions qui imprègnent encore son mode de vie quotidien. Portant le poids des actes perpétrés par sa communauté, il s’astreint ainsi à s’occuper lui-même de l’entretien de la maison de peur de se voir reproduire un modèle qui pourrait être perçu comme une exploitation des Noirs. Mais ce n’est qu’en filigrane que surgissent ces questions car L’été d’une vie n’est certainement pas un livre-manifeste. Il participe plutôt d’une tentative de déconstruction, de compréhension et de rétablissement du dialogue avec certains êtres qui ont compté dans sa vie. Les questions qu’il leur adresse par le truchement de ce biographe spécialement mandaté, reflètent ses propres doutes et révèlent en négatif ses craintes et l’image qu’il a de lui-même. L’occasion aussi d’ interroger la notion de succès : une reconnaissance de ses talents d’écrivain à l’échelle planétaire peut-elle compenser une inaptitude patente aux relations humaines ? Mais peut-être ce retrait, qui fait de lui un observateur plus qu’un acteur, est-il la rançon nécessaire à la qualité de ses écrits… Loin de se réduire à une introspection torturée cependant, c’est bien l’autodérision et l’humour qui dominent cette autobiographie d’un genre nouveau. Outre qu’elle se lit comme un (très bon) roman, cette expérience de distanciation littéraire pourrait, si ce n’est sonner le glas, du moins élargir le spectre et inciter à reconsidérer la pertinence de bien des autofictions…

L’été de la vie
J.M. Coetzee
Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine Lauga du Plessis
Editions du Seuil
316 p. – 22 €

 

Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:21 Read 1771 times

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