#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Rencontre avec Christophe Paviot


Le ciel n'aime pas le bleu. (Le Serpent � Plumes)

Explique-moi ce titre curieux : le plafond �caill� de la chambre de Lebenn ? la couleur de ses yeux sur lesquels le ciel aurait d�cha�n� ses foudres ?

C'est un peu moins compliqu� Je voulais simplement partir de cette petite phrase que l'on r�p�te souvent, � savoir que la vie est rose �ou ne l'est pas. Eh bien comme ce bouquin traite d'un sujet dramatique, l'inceste, l'existence dont je parle n'est pas belle, n'est pas rose, et le ciel de cette existence est plus couverte de nuages que de bleu�


Et cette citation de Lynch " Un jour, j'ai utilis� une cr�me d�pilatoire sur une souris pour voir � quoi �a ressemblait sans les poils : c'�tait tr�s beau " : dans la directe prolongation de ce sujet grave et br�lant dont tu vas parler�

Je trouve cette phrase g�niale. Elle exprime exactement ce vers quoi je tendais en abordant le th�me : le laid n'est pas toujours l� o� on s'attend qu'il soit. La souris d�poil�e n'est pas si moche que �a ; et le monde rural, en osmose avec la nature, n'a pas toutes les vertus qu'on lui pr�te. Sous une apparente beaut� et un certain calme se cachent des atrocit�s, et l'inceste en fait partie, d'une fr�quence bien plus importante qu'on ne le croit. Tu n'imagines pas les horreurs qu'on d�couvre si l'on consulte certains documents, papiers officiels, reportages et rapports...


Tu t'es beaucoup document� pour �crire ce roman ?

Le travail de r�colte de l'information est souvent indispensable ! J'ai fouill�, pist�, explor� les archives, r�colt� des t�moignages� Lorsque l'on d�cide de traiter ce genre de sujet il faut avoir des donn�es pr�cises, des r�cits d'exp�riences v�cues, des statistiques� Je proc�de de cette mani�re pour tous mes �crits, pour certains d�tails qui le n�cessitent, comme lorsque je parle des parents d�c�d�s de Lebenn, ing�nieurs en stabilit� au Cambodge.


Pourquoi cette esp�ce de po�me avant le d�but du roman, dont les vers constituent les titres de tes chapitres ?

Pas vraiment un po�me, m�me si tu peux l'appeler comme �a. Plus pr�cis�ment, je souhaitais annoncer le crescendo, cette mont�e de la violence perceptible tout au long de l'histoire. Le " po�me " d�crit l'invasion du sang par l'alcool, donc un brouillard et une certaine forme de folie, d'�garement, sentiments et processus v�cus par Lebenn. A mesure que les chapitres -les vers- s'�coulent, le trouble grandit, ainsi que le besoin de vengeance, de violence. Alors que le d�but est assez soft. Un crescendo qui ne peut qu'aboutir � la mort de Lebenn ; le mal qu'il avait subi �tait irr�parable, son fardeau est destin� � �tre port� jusqu'� la fin, et ce malgr� la fuite, malgr� la mort du bourreau. Je ne voulais pas terminer simplement sur cette derni�re, par ailleurs accidentelle ; retourner la violence subie sur soi me paraissait l'issue la plus adapt�e. Il me semble �tre parvenu � am�liorer la structure de l'ensemble, relativement au premier roman. Par exemple, faire co�ncider dans un m�me chapitre la premi�re r�volte de Lebenn � douze ans (flash back) et sa lib�ration d�finitive par la mort brutale de No�l, me semblait constituer un parall�lisme int�ressant.


Pourquoi as-tu choisi d'�crire sur l'inceste ? Ce n'est pas une exp�rience que tu as v�cue, et pourtant tu sembles si bien te fondre dans le personnage principal, que tu mets en sc�ne en utilisant le Je�

Tu sais, moi l'autofiction �a m'emmerde. Dans mon premier roman, Les villes sont trop petites, je suis devenu une femme. J'ai explor� ses ambitions, approch� d'aussi pr�s que possible ses sensations, ses �motions, sa d�termination et les enjeux de l'aventure qu'elle vivait sous mon stylo� Ma vie est banale, l'�criture me permets d'en sortir, de conna�tre ce qui est diff�rent de moi, et qui m'int�resse dix fois plus. J'aime avoir plusieurs vies, celles de mes personnages, aussi douloureuses soient-elles ; plus elles sont oppos�es � la mienne et plus elles me plaisent. Acteur d'une multitude de r�les, de facettes, plusieurs incarnations : dans mon genre je suis un Paco Rabanne de l'�criture ! Pour le prochain roman, j'ai d�cid� de mettre en sc�ne ces enfants dont le vieillissement est acc�l�r� ; et pour ce faire j'ai d�j� commenc� le travail de recherche en amont.


Tu es d'une crudit� effarante lorsqu'il s'agit de d�crire les sc�nes d'inceste. Cela n'a pas �t� trop difficile ?

Si, bien s�r, dans la mesure o� lorsque je cr�e une histoire, un personnage, je me fonds directement et imm�diatement en lui. L'identification est totale ou presque, et ce ph�nom�ne m�ne � des extr�mes que l'on a du mal � imaginer si on ne le vit pas. Pendant l'�criture, et encore quelques semaines apr�s l'aboutissement du roman, j'�tais encore enferm� en Lebenn, hant� par la vie que je lui avais donn�e, par les d�mons que je lui avais inflig�s. Et puis �a finit par te quitter, jusqu'� ce que tu prennes encore une autre peau�


On ressent une certaine nostalgie lorsque tu parles de cette belle Bretagne d�natur�e, viol�e par la technologie � outrance et une course effr�n�e � la modernit� �

Attends, je suis carr�ment �colo ! La Bretagne, non seulement c'est mon enfance, mais c'est devenu �malheureusement- le symbole de tout ce que j'aborrhe ! Cette sur-cr�ation de b�timents, de voies d'acc�s �. Plus de paysage ! Tu vas pas me dire qu'on a besoin de toutes ces autoroutes ! Si on les emprunte, c'est parce qu'elles existent ! Le besoin n'est pas pr�-existant, il est cr��, et je ne supporte pas �a.


Quel engagement� Le cadre de cette histoire te permet d'exprimer des convictions " politiques "�

C'�tait aussi le moyen de d'explorer l'oppos� de ce que j'avais fait avant : des villes on passe au monde rural, avec tout son lot de probl�mes, sa violence, ses habitants qui parfois se r�v�lent n'�tre qu'une bande d'adolescents attard�s, de d�linquants�


N'as tu pas l'impression de sombrer dans un mis�rabilisme aga�ant ?

Je l'ai redout�. Mais finalement je ne pense pas. Je me contente d'observer la r�alit� ; et les r�miniscences de Lebenn sur les violence sexuelles et sur la mort de ses parents sont d�crits avec un �il froid, assez neutre je trouve. L'�criture est comme � distance du texte lui-m�me, sans v�ritable sentimentalisme, ce qui oblige aussi le lecteur � se repositionner face au r�cit, comme Lebenn qui se repositionne vis � vis d'un pass�, des personnages de son pass�.


On peut justement observer un dr�le de positionnement face � la femme�

Ah, on ne va pas recommencer, je ne suis pas misogyne ! Gis�le le d�go�te, mais c'est aussi parce qu'elle est t�moin passif et m�me indiff�rent de son calvaire. Son silence est r�voltant, � la limite Lebenn lui en veut plus � elle qu'� No�l, qu'il consid�re comme un fou donc dans un certain sens comme irresponsable de ses actes� Sa s�ur Guizeh est un clin d'�il � mon premier roman, elle porte le m�me pr�nom que mon h�ro�ne pr�c�dente et lui emprunte une existence similaire. Dans Le ciel n'aime pas le bleu, la distance qui existe entre elle et Lebenn, le rejet qu'elle lui inspire � la fin, a pour origine le refus de celle-ci � affronter le pass� alors que son fr�re en a �perdument besoin. Elle a opt� pour la solution de facilit� : tourner la page, fuir, oublier. Et il ne peut le tol�rer. Quant � Anita, il est pris de remords face � la mani�re dont il s'est comport� plus jeune avec elle, face � la l�chet� dont il a fait preuve. Anita repr�sente une bou�e de sauvetage pour lui, puisque les rapports qu'il vit avec elle le r�concilient avec une forme de sexualit� belle et souhait�e, pure.


Et au milieu de ces puret�s et atrocit�s, tu n'as pas l'impression de te moquer de ton lecteur lorsque tu lui expliques le fonctionnement technique de l'ensilage ou encore du "copier-coller" sur Mac ?

Ces passages �taient n�cessaires. Le reste est tellement lourd, tellement grave, qu'il fallait bien que je trouve un moyen d'a�rer le texte, de cr�er des �chapp�es pour ne pas justement tomber dans le mis�rabilisme. Les d�lires de la bande, la chasse, l'ensilage, la traite, tout �a permet de ne pas enrayer la progression du r�cit tout en lui m�nageant des pauses. Et puis c'est un bon truc pour faire culpabiliser le lecteur : tu le fais rigoler un moment et tu le replonges au c�ur de la noirceur. Il se dit " merde, j'aurais pas d� rire, c'est horrible ". J'aime bien jouer avec le lecteur�

Propos recueillis par J. L. N.


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