#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

Actu Entretiens Zoom Portraits Extraits

  Interalli�s J - 4  
  Le D�cembre pour Zone  
  Cusset , Goncourt des lyc�ens  
  Renaudot pour Mon�nembo  
  Goncourt pour Rahimi, la P.O.L position  
  Le Flore pour Garcia  
  Mort de l'�crivain am�ricain Michael Crichton  
  Femina et Medicis: c�t� �trangers  
  Melnitz et Vollmann meilleurs �trangers  
  Blas de Robl�s M�dicis�  

inscription
d�sinscription
 
Rencontre avec Aleksandar Hemon


Les critiques fran�aises ont �t� tr�s �logieuses � l'�gard de votre livre, en le saluant comme un texte avant-gardiste. Vous consid�rez-vous comme une avant-garde ? Et avant-garde de quoi ? Quelle est votre g�n�alogie litt�raire, les auteurs dont vous vous sentez proche ?

Les critiques fran�aises ont �t� tr�s g�n�reuses ! Je ne me vois personnellement pas comme quelqu'un qui est en avance sur son temps, comme un avant-gardiste ; que veut dire au juste ce terme ? Si l'on parle du concept de l'�crivain " visionnaire ", il me laisse douteux. Je pense simplement que l'�crivain doit se positionner aux confluents de diff�rentes forces culturelles, politiques et linguistiques ; au centre - ou du moins le plus proche possible - du constant renouvellement que repr�sente l'Histoire. Mais arriver � ce positionnement n'est parfois qu'une question de (mauvaise) chance, de hasard� Par contre, si l'on consid�re que l'avant-gardiste est celui qui interroge les id�es pr�dominantes et remet en question la complaisance des genres litt�raires bien �tablis, il est certain que c'est cette d�marche que je poursuis.

Danilo Kis est mon ma�tre � penser en litt�rature. C'est en lisant son oeuvre que j'ai pris conscience des responsabilit�s qui �chouent � l'�crivain sur le plan Historique. L'�crivain Bosniaque Semezdin Mehmedinovic (Sarajevo Blues), qui habite actuellement Washington DC, m'est �galement tr�s proche, c'est un bon ami, et nos centres d'int�r�t intellectuels communs sont nombreux. Je suis aussi ami de Nathan Englander, talentueux auteur qui vit en Isra�l, v�ritable carrefour de violentes puissances historiques, et dont nous parlons �videmment souvent. Concernant la g�n�alogie litt�raire : Nabokov, Kafka, Bruno Shulz, Isaak Babel, James Joyce, Flaubert, Proust.

Quel �tait votre projet de d�part en �crivant ce livre ?

Tout simplement �crire des histoires, et une � la fois. Ecrire est un moyen de compr�hension, une voie d'analyse ; j'�cris pour comprendre. Initialement je n'avais pas pr�vu de faire un livre, je cherchais juste � cr�er ces grilles de compr�hension �voqu�es via un assemblage de r�cits qui pr�sentent des interrogations aussi bien qu'ils m'offrent des r�ponses. Le r�sultat final ne m'a pas vraiment surpris, je savais ce que je faisais et o� j'allais ; mais j'ai �t� surpris du succ�s de ce r�sultat. En partie parce que je n'avais pas une grande exp�rience de la mani�re dont fonctionne l'industrie litt�raire occidentale, et parce que je suis aussi contamin� par le virus Bosniaque : le pessimisme. Vous ne vous pr�parez qu'aux mauvaises nouvelles, et si elles n'arrivent pas vous �tes vraiment perplexe.

Votre livre est un recueil d'histoires multiples, autonomes, voire h�t�rog�nes. Quel �tait l'objectif de cette narration multiple ? Peut-on y voir un miroir des d�chirures que vit actuellement votre pays, des ruptures ethniques qui l'ont conduit au chaos ?

La structure du livre n'a pas de rapport direct avec le d�chirement yougoslave, que je ne consid�re plus depuis longtemps comme mon pays - je suis Bosniaque. La trame fragment�e n'est qu'une forme artistique bien connue de la narration, dont on voit des exemples dans beaucoup d'autres oeuvres : la Bible, Ulysse� Cette structure m'est venue spontan�ment, en raison de ce sentiment que je d�crivais auparavant : cette n�cessit� pour l'�crivain d'�tre au confluents de forces diverses, d'entendre et de pouvoir s'exprimer simultan�ment en diff�rentes voix. Une position narrative plus simple, ancr�e et plus stable, donc moins sujette au questionnement, implique selon moi un savoir plus restreint, plus limit�. Mon approche y est oppos�e : le savoir na�t et �volue gr�ce � des situations d'�change, de mouvement, o� l'�crivain ne peut �tre fig� et surtout pas vis-�-vis de son lecteur. L'�crivain et son lecteur devraient parvenir � une situation de consensus, � un rapprochement via le partage intellectuel. Le savoir existe bel et bien � travers une mise en commun, une " pratique " de l'autre ; et l'�crivain, qui fait toujours face � cet autre, doit initier ce processus d'�largissement intellectuel.

Quel est le rapport entre l'exp�rience de l'�migration et l'acte d'�crire ? Etes-vous porteur d'un message, en tant qu'�migr� ?

L'�crivain est d�j� en tant que tel un migrateur, de par les diff�rentes positions qu'il occupe dans le domaine Historique, et �tant ce voyageur qui ignore tout type de fronti�re. Dans ce monde marqu� par la migration du travail et par la perp�tuelle recomposition des fronti�res g�ographiques, les immigrants, �migr�s et r�fugi�s sont pr�cis�ment les gens qui se trouvent aux carrefours dont je parlais - souvent contre leur gr�. En ce sens, ce sont leurs histoires qui ont besoin d'�tre cont�es et recont�es, plut�t que les mythes obsol�tes qui repr�sentent le gros des litt�ratures nationales. Nombreux sont les auteurs �migr�s qui ont offert ces t�moignages capitaux, qui les offrent toujours et qui continueront � les offrir - ma position n'est donc pas tr�s originale, quoi que mon t�moignage ne constitue pas non plus un �chantillon repr�sentatif de l'�migration en g�n�ral ou de l'�migration Bosniaque en particulier. J'ai juste �t� capable d'exprimer certaines choses, de soulever des questions, et j'esp�re continuer dans cette voie encore longtemps.

Le titre de votre livre a �t� l'objet d'une pol�mique, en fran�ais son titre est De l'esprit chez les abrutis et n'a strictement rien � voir avec le titre original. Etiez-vous d'accord ? Comment expliquez-vous cette traduction, �tiez-vous � son origine ? Souhaitiez-vous exprimer quelque chose d'autre, ou souligner certains caract�res de votre histoire ?

J'�tais tout � fait d'accord avec le changement de titre, qui est n� d'une suggestion de mon �diteur fran�ais. Je ne suis pas s�r de comprendre clairement en quoi ce changement lui semblait n�cessaire, mais j'ai une enti�re confiance en son jugement. M�me si mon titre pr�f�r� est et restera toujours l'original The question of Bruno�

Vous qui venez de Bosnie, pourquoi le choix de venir vivre � Chicago ? L'ambition de revenir un jour vers vos origines ? Avez vous adopt� votre pays d'adoption ?

Je suis n� et ai �t� �lev� � Sarajevo, jusqu'� ce qui devait �tre une courte visite aux Etats-Unis. C'est alors que la guerre en Bosnie a �clat� ; j'�tais � Chicago chez un ami, et j'y suis donc rest�. Je n'avais pas vraiment le choix, mais je suis tr�s heureux de m'�tre retrouv� ici. Je ne reviendrai pas vivre en Bosnie, m�me si je retourne plusieurs fois par an � Sarajevo. Ma soeur y est pour le moment, mais devrait revenir aux Etats-Unis bient�t. J'ai encore beaucoup d'amis et de membres de ma famille en Bosnie, avec lesquels je suis toujours en contact. J'�cris �galement une colonne deux fois par semaine pour un magazine de Sarajevo appel� bh dani. Chicago est ma ville d'adoption, mais malgr� ma citoyennet� am�ricaine, je n'ai pas adopt� les Etats-Unis pour tout ce qu'ils repr�sentent ; ce qui est am�ricain n'est absolument pas bon simplement parce que c'est am�ricain. Cette soci�t� est un organisme compliqu� et qui pr�sente des ressorts auxquels je ne peux adh�rer. Le puritanisme et l'�go�sme ambiants me d�rangent. Je ne peux non plus accepter ce conservatisme r�actionnaire et pathologique caract�ristique de la droite am�ricaine, et surtout de la droite chr�tienne. L'administration Bush est pratiquement une dictature de l'extr�me droite r�publicaine. Toute forme de nationalisme m'est insupportable, et jamais je ne pourrais consid�rer George W. Bush comme mon Pr�sident ; sa stupidit� est de plus bien trop visible et embarrassante� D'un autre c�t�, cette si complexe Am�rique est un pays intellectuellement tr�s riche, dot� d'une culture qui a engendr� le jazz et les meilleurs films qu'il m'ait �t� donn� de voir. N'a-t-elle pas vu na�tre un Miles Davis, un Saul Below, un Howard Hawks, un Spike Lee ? N'a-t-elle pas permis � de nombreux d'�migr�s d'exprimer leur talent ? L'Am�rique est un endroit incroyablement vivant et vibrant, bouillonnant exemple de tous les foisonnements du monde - � la fois culturels et conflictuels...

O� en est aujourd'hui votre travail ? D'autres projets que l'�criture ?

Je suis � la moiti� de mon prochain livre. Parlant d'autres choses, je suis passionn� de football, et j'ai quelques ambitions cin�matographiques� Mais rien ne sera plus jamais important � mes yeux que mon �criture.

Propos recueillis par F.Z.


Lire la critique Zone De l'esprit chez les abrutis

 
Tristan Garcia
Thomas Pynchon
Jean-Marc Roberts
Richard Powers
Enrique Vila-Matas
William Gibson
Lise Beninc�
Julien Blanc-Gras
Bernard Soubiraa
Claro
  ARCHIVES
 
contact | © 2000-2008  Zone littéraire |